Pierre-Jean Albrieux, président du GFIE et de l’Iftec : ”L’enseignement des règles de fabrication est devenu urgent”

Le 17/02/2010 à 15:49 par La Rédaction

Hier, la fabrication pouvait rattraper certaines erreurs de conception. Aujourd’hui, la miniaturisation et le passage au sans-plomb ont tellement diminué les possibilités d’intervention en production qu’il n’y a plus de droit à l’erreur en amont de celle-ci. D’où l’importance pour tous de connaître les règles de base régissant la fabrication. Pierre-Jean Albrieux, président du GFIE, fait le point sur ce problème. Les fabricants de circuits imprimés et les sous-traitants se plaignent de plus en plus que leurs clients leur fournissent des cahiers des charges approximatifs. Qu’en est-il ?

Pierre-Jean Albrieux : Effectivement,les informations livrées par les donneurs d’ordres sont de moins en moins précises ou incluent des contraintes inutiles, ce qui induit parfois de mauvaises interprétations de la part des sous-traitants sans évidemment que ce soit la faute de ces derniers. Les technologues des grands groupes remarquent aussi depuis quelques temps « des problèmes qui ne devraient pas exister » car ils proviennent d’une méconnaissance de règles basiques de fabrication. Or, le nombre de ces problèmes semble croître aujourd’hui de façon exponentielle. En fait, leur apparition n’est que la conséquence de la difficulté croissante de la fabrication à corriger les erreurs de conception. La miniaturisation en électronique et le passage au RoHS ont en effet réduit les possibilités de correction en même temps qu’elles ont amplifié les interventions correctives à envisager.

D’où vient cette perte de connaissance technique ?

Pierre-Jean Albrieux : Elle est le résultat de trois phénomènes : les délocalisations de production, le manque de transmission des savoirs lors du remplacement des personnels chevronnés par des débutants, et, surtout, le non-enseignement des fondamentaux de la fabrication des cartes électroniques à l’école, au lycée, à l’université et dans les écoles d’ingénieurs. Concernant ce dernier point, rappelons qu’en France l’enseignement de l’électronique privilégie la conception, le calcul par rapport à la fabrication. Ainsi, dans les écoles d’ingénieurs, de techniciens et dans les sections électroniques des lycées, les travaux pratiques ne servent principalement qu’à vérifier la justesse des calculs et/ou du design. Aussi, la fabrication de carte électronique, dont tout un chacun peut aujourd’hui entendre parler, n’est-elle enseignée nulle part ! C’est d’autant plus dommage que les rudiments en fabrication sont relativement simples à apprendre comparé à d’autres matières qui nécessitent, elles, des calculs et des opérations mathématiques souvent complexes. Alors que nous avons réussi, en France, à créer des filières d’excellence dans l’enseignement de l’électronique et que nous sommes capables d’innover et de concevoir des systèmes électroniques de très haute technologie parmi les plus complexes au monde, nous avons laissé la fabrication au bord de la route… Quel manque de cohérence !

Quid de la “formation sur le tas” en entreprise ?[

Pierre-Jean Albrieux : Traditionnellement,il y a une transmission de savoir technique au sein de l’entreprise. Toutefois, aujourd’hui, les personnels expérimentés ont de moins en moins le loisir d’enseigner toutes les connaissances qu’ils ont accumulées au cours de leur carrière. En outre, même quand cela est possible, il manque toujours au nouveau venu les fondamentaux qui lui permettraient de hiérarchiser les nouvelles connaissances. Faute de quoi, ces savoirs ont du mal à être utilisables dans d’autres situations, à être généralisables.

Quels sont les remèdes à ce problème ?

Pierre-Jean Albrieux : Le seul remède est d’enseigner au minimum les règles de base de la production aux futurs employés de l’électronique, opérateurs, techniciens et ingénieurs : il ne doit plus y avoir d’enseignement de l’électronique sans enseignement des technologies de fabrication adaptées aux différents niveaux.

Peut-on espérer des résultats rapidement ?

Pierre-Jean Albrieux : A l’Iftec, l’expérience nous a montré que des élèves ingénieurs pouvaient s’initier en deux semaines aux règles de base concernant le circuit imprimé et l’assemblage de cartes. Les formations par alternance ou par apprentissage ont donc toutes les chances d’aboutir rapidement à des résultats satisfaisants. Encore faut-il que des productions demeurent sur notre territoire afin que les entreprises industrielles conservent la maîtrise des technologies pour l’industrialisation de leurs produits. Si, ces dernières années, les délocalisations furent la règle, aujourd’hui, une réaction à ce phénomène s’est fait jour. En témoignent la structuration récente de nos métiers en une filière de l’électronique et la renaissance d’une stratégie industrielle accompagnant la constitution de cette filière.

Propos recueillis par Didier Girault

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