Didier Lamouche, Pdg du groupe Bull: «L’Europe peut gagner la prochaine bataille de l’informatique»

Le 15/02/2006 à 10:00 par La rédaction

L’échec de l’Europe dans le domaine de l’informatique n’est pas une fatalité. Les applications liées à Internet mettent en oeuvre des échanges électroniques pour lesquels l’Europe peut jouer un rôle de leader. Explications de Didier Lamouche. Comment percevez-vous l’évolution de la position européenne dans le domaine des systèmes d’information au cours des dernières décennies ?

Didier lamouche: Entre 1970 et 1985, ce sont les grands systèmes qui ont dominé l’informatique ; de 1985 à 1995, nous sommes passés aux systèmes distribués ; puis, sur la période 1995-2003, le phénomène Internet a explosé. Désormais, nous sommes en présence d’un monde ouvert, et cette ouverture peut permettre à l’Europe de reprendre le leadership qu’elle a perdu au cours des précédentes décennies. L’Europe a clairement perdu la bataille de l’informatique des années 1985 à 2000. Mais une ère nouvelle s’est ouverte devant nous, avec une demande pleine de diversités et d’opportunités : communications en réseau, mobilité, connectivité, technologies large bande, standardisation de technologies, interopérabilité. Nous assistons à l’émergence d’une profusion de nouveaux types d’échanges électroniques. Dans certains pays européens, 10 % des appels téléphoniques utilisent déjà le protocole Internet, alors que ce phénomène était marginal il y a encore un an. 500 000 personnes ont souscrit en France à un service permettant la vidéo sur leur téléphone mobile, alors que ce service n’existait pratiquement pas dans notre pays il y a un an. Le dossier médical personnel sécurisé et centralisé est déjà une réalité au Royaume-Uni et un projet du même type est en cours de réalisation en France : il s’agit de traiter plus de 150 millions de dossiers médicaux disséminés dans le pays, dossiers interrogeables par plusieurs millions d’accès différents. Autre exemple : la déclaration d’impôt sur le revenu via Internet, qui a rencontré un immense succès en 2005, mais qui s’est heurtée à une infrastructure sous-dimensionnée dans notre pays. Enfin, les passeports équipés de puces RFID sont sur le point d’arriver en Europe et ouvrent de nouvelles opportunités aux acteurs européens. Tous ces exemples sont autant de débouchés et occasions de rebondir pour l’informatique européenne dans les années à venir.

Quelles conditions considérez-vous comme nécessaires pour que l’Europe reprenne une certaine avance internationale ?

Didier lamouche: Trois axes de travail pourraient aider l’Europe à regagner son leadership : les serveurs à haute performance de calcul (HPC), les logiciels libres, notamment Linux, et la sécurité. Les serveurs HPC représentent un marché européen de 2 milliards d’euros et pourraient faire l’objet de projets dans le 7e PCRD [Programme-cadre de R&D de la Commission européenne]. En partenariat avec plusieurs sociétés européennes, Bull a déjà développé et fabriqué le plus puissant système HPC d’Europe. Et ce système est équipé à 70 % de logiciels libres. La propagation de Linux est un facteur d’innovation. Elle répond à une demande de réduction des coûts et de flexibilité de la part des utilisateurs. L’Europe est un acteur leader dans ce domaine, avec en particulier le consortium ObjectWeb. Il réunit notamment Redhat [qui est à l’origine de Linux] et une communauté d’utilisateurs qui compte, entre autres, Thales, Schlumberger, Dassault Aviation, le CEA, Air France, Telefonica, Nec et les participants du programme Itea [programme de R&D Eureka dédié aux logiciels “ middleware ”]. Concernant la sécurité, l’explosion du nombre de transactions dans des environnements interopérables crée un besoin sécuritaire incontournable, induisant une croissance forte du marché de la sécurité, dans lequel le leadership de telle ou telle région du monde n’est pas encore un fait acquis.

Dans le domaine des logiciels, n’assiste-t-on pas à une certaine délocalisation des développements vers l’Inde ?

Didier lamouche: L’Inde dispose de ressources importantes dans le domaine du développement de logiciels. Mais il existe également un gisement important de ressources compétitives de développement de logiciels en Europe de l’Est. Désormais, grâce à la communauté du logiciel libre, vous avez accès en permanence à un réservoir de développeurs incommensurable. Ainsi un “ bug ” logiciel peut être identifié et corrigé en une seule nuit, sans que l’on sache in fine qui en est le “ correcteur ”.

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