Tribune : « La télémédecine, ce n’est pas du e-commerce ! »

Le 19/12/2013 à 12:24 par Jacques zzSUEAYGhcIE
Les Docteurs Pierre Simon et Jacques Lucas, respectivement, président de l’Antel (Association nationale de télémédecine), et vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom), ont récemment exprimé souhaiter recadrer le recours à la télémédecine dans une tribune publiée sur le site Internet de l’Antel et dont l’intégralité figure ici. Ils reviennent notamment sur la distinction à apporter entre télémédecine et e-santé. En voici les principaux extraits.

A une période où le milieu industriel de la santé recherche, de façon légitime, une vision sur le marché à long terme des applications du numérique dans le vaste champ de la santé, et où les professionnels de santé s’engagent dans les nouvelles organisations de soin structurées par la télémédecine, il importe de remettre dans leur contexte légal et réglementaire les concepts de l’e-santé et de la télémédecine, d’analyser pourquoi l’e-santé peut dans certains domaines relever de la directive européenne sur le e-commerce, alors que la télémédecine clinique ne peut en relever.
 
Dans les pays développés, la télémédecine est essentiellement clinique, correspondant à un véritable acte médical à distance, alors que dans les pays en développement la télémédecine est davantage informative. On entend par télémédecine médicale ou clinique « une activité professionnelle qui met en oeuvre des moyens de télécommunication numérique permettant à des médecins et d’autres membres du corps médical de réaliser à distance des actes médicaux pour des malades ». A contrario, la télémédecine informative est définie comme « un service de communication audiovisuelle interactif qui organise la diffusion du savoir médical et des protocoles de prise en charge des malades et des soins dans le but de soutenir et d’améliorer l’activité médicale ».
 
C’est bien la pratique de la télémédecine clinique que la France a légalisée le 22 juillet 2009. Le décret et l’HAS (Haute hautorité de santé) rappellent les conditions d’exercice de la télémédecine clinique : le respect des droits du patient en matière d’information sur son état de santé et les traitements dont il relève, en matière de libre choix des soins, de recueil préalable du consentement et de confidentialité des données personnelles en santé, la nécessité d’un accès au dossier médical notamment lorsque le patient est atteint d’une maladie chronique, la possibilité de faire appel à un tiers compétent par télé-expertise lorsque le médecin traitant de premier recours le juge nécessaire.
 
L’usage d’Internet pour la réalisation des actes de télémédecine, ne peut être envisagé que si toutes les conditions de mise en oeuvre précisées dans le décret sont réunies. C’est ainsi que le décret ne considère pas comme des actes de télémédecine le téléconseil médical gratuit ou tarifé donné sur Internet.
 
Il ne peut donc y avoir aujourd’hui de confusion ou d’assimilation entre la télémédecine clinique et l’e-santé, la première répondant bien à une prestation médicale à distance visant à améliorer l’égalité d’accès à des soins de qualité, prestation régie par le Code de déontologie médicale, la deuxième répondant à une prestation industrielle visant à développer un marché de l’industrie de la santé pour améliorer le bien être et/ou le bien vieillir des personnes.
 
Certains champs de l’e-santé ou de la télésanté peuvent relever du droit communautaire du e-commerce. On peut citer en particulier tout ce qui relève de la télésurveillance sociale à domicile pour favoriser le maintien au domicile, prévenir les chutes, améliorer les conditions d’isolement, équiper l’habitat de divers capteurs pour le rendre plus sécurisé chez les personnes seules ou handicapées (bâtiment intelligent ou domotique), la télé-observance des dispositifs médicaux par des prestataires de santé chez les patients traités à domicile, ainsi que tout ce que les technologies du numérique peuvent offrir pour améliorer l’information en santé des personnes, que ce soit sur les sites internet ou les nombreuses applications médicales sur les smartphones ou tablettes numériques qui concourent à l’éducation en santé des personnes (Quantified Self), et ainsi à la prévention primaire ou secondaire des maladies. Toutes ces applications de l’e-santé ou de concepts encore plus récents que sont la Mobile Health ou le Living Labs peuvent être régies par le droit communautaire du e-commerce.
 
Le domaine des systèmes d’information pour la coordination des soins en santé relève également de l’e-santé. Le dossier médical des patients, qu’il soit professionnel, personnel (DMP), ainsi que le dossier pharmaceutique, sont des dossiers partagés dans divers activités de l’e-santé, ainsi que dans certains actes de télémédecine (téléconsultation, télé-expertise, télésurveillance médicale). Ce domaine peut donc correspondre à des services de soins en santé et pharmaceutiques parce qu’ils sont les pivots d’une meilleure coordination des soins délivrés aux patients par les professionnels de santé médicaux et non médicaux.
 
En conclusion, près de 15 ans après l’apparition du concept de e-santé, qui pour certains devait remplacer celui de la télémédecine, force est de constater que l’ambigüité du concept et de ses périmètres demeure. S’il est admis que la e-santé désigne tous les aspects numériques touchant de près ou de loin la santé et que cela correspond à du « contenu numérique lié à la santé, appelé également santé électronique ou télésanté », qu’il s’agit de « l’application des technologies de l’information et de la communication à l’ensemble des activités en rapport avec la santé dans son acceptation la plus large », que ses enjeux sont « nombreux et concernent divers pans de notre société », dont l’aspect économique avec « l’émergence d’un marché spécifique générateur de croissance et moteur de gains économiques », la définition de ses périmètres demeure ambigüe pour une stratégie claire de son développement, puisqu’y figurent pêle-mêle, la télémédecine, la prévention, le maintien à domicile, le suivi d’une maladie chronique à distance, les dossiers médicaux électroniques, la domotique, les textiles intelligents, l’information et la formation, etc.

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