Couverture ElectroniqueS n°127

Bernard Bismuth, président de la Fien, revient pour nous sur les grandes lignes de la présentation qu'il a faite lors de la conférence d'hiver de l'association européenne des fabricants de circuits imprimés (EIPC) à Rome en janvier dernier. Vous faites état d'un recentrage des valeurs dans la filière électronique, d'une évolution dans la prise en compte du pôle « fabrication ». Quelles en sont les raisons ?Bernard Bismuth : la production électronique – et pas seulement la politique industrielle qui n'est pas le même domaine – est en effet revenue au c&oelig;ur des débats. Partout dans le monde, l'industrie électronique prend conscience du fait que la façon dont est fabriqué le produit électronique est tout aussi importante que sa conception. C'est un phénomène nouveau. Il y a peu, ce segment de notre industrie était considéré avec une certaine suffisance. Mais voyez l'i-Phone d'Apple : c'est un prodige de conception, mais aussi d'interconnexion, ce qui lui donne toute sa valeur. Pourquoi ce revirement des mentalités ?Bernard Bismuth : parce que l'industrie électronique française – voire occidentale – s'est bâtie sur un raisonnement fallacieux : à savoir que nous étions un pays d'une très grande créativité, avec beaucoup de têtes bien pleines et qu'en conséquence, nous allions inventer les produits que les autres fabriqueraient pour nous. Ce péché d'orgueil a contribué aux erreurs commises lorsque le choc de 2000 a sérieusement ébranlé la filière électronique. Cette idée de supériorité créatrice prévalait, et d'ailleurs, nos centres de recherche étaient là pour conforter cette certitude. Sauf que les centres de recherche ont suivi la production et se sont installés ailleurs…Qu'aurait-il fallu faire en 2000 ?Bernard Bismuth : réfléchir différemment, et surtout ne pas imaginer que la production puisse disparaître sans entraîner le reste. Cet aveuglement a poussé les jeunes à se détourner des études techniques liées à la production de l'électronique, à les orienter vers la conception limitée aux produits et aux services ; c'est pourquoi nous subissons maintenant une carence de techniciens. Et pourtant, il était facilement concevable que la compétence tout au long de la chaîne de production serait un facteur essentiel de compétitivité. C'est un fidèle reflet de notre société, forte d'économistes brillants qui sont dans la continuité d'un schéma de pensée, et pour qui le virage à prendre n'entre pas dans les analyses. Ils en concluent que les mouvements enclenchés sont inéluctables. En imaginant que la production était condamnée à disparaître entièrement de notre territoire pour sauver « le reste », on en est venu à exclure pendant longtemps des aides sur la recherche pour l'amélioration des procédés industriels !L'amélioration des process prend une grande importance… Parce qu'elle est une condition de la survie des entreprises et de la qualité de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Si un industriel parvient à améliorer constamment ses processus de fabrication, il renforce sa compétitivité. C'est ce qui va générer de l'emploi dans l'entreprise et dans le pays. Une partie de la production a été délocalisée dans les pays à bas coût, le mouvement continuera. C'est normal : on ne peut pas s'opposer au développement économique des autres pays. Mais il y a une partie de la production électronique où la France garde une emprise, et c'est justement celle-là qui nous intéresse. Quels sont les atouts de la France ?Bernard Bismuth : ils partent d'abord de cette capacité infinie d'innovation, de création dont nous sommes restés porteurs. Nous devons nous concentrer sur la production de proximité qui englobe trois données clés : la réactivité, l'innovation partagée entre celui qui conçoit et celui qui fabrique, et la sécurité des approvisionnements. Avec pour corollaire, la fabrication en petites quantités, les délais courts, les grandes variétés de produits. Nous pouvons aussi nous battre sur des segments spécifiques adaptés aux besoins occidentaux. Ce sont par exemple les technologies visant aux économies d'énergie et à la réduction de l'émission des gaz à effet de serre, celles qui gèrent le vieillissement de la population. Les moyens à mettre en &oelig;uvre pour prolonger l'autonomie des personnes âgées et leur maintien à domicile. Et enfin la sécurité qui devient une préoccupation sociétale de premier plan : sécurité sur la route, dans les transactions bancaires, chez soi, le champ est vaste. Nous avons des besoins sociétaux spécifiques et l'innovation dans l'électronique – qui irrigue tous les secteurs de l'industrie – va nous permettre de répondre à ces besoins, de bâtir notre futur et de ne pas le subir. Quelles sont les conditions d'une embellie pour la production électronique nationale ?Bernard Bismuth : après les turbulences de l'année 2000, le mouvement de transfert des usines vers les pays à bas coût a commencé, et il n'est pas terminé. Personnellement, je suis moins choqué par la fermeture des usines que par le coup d'arrêt à de nouvelles implantations chez nous. Si l'on souhaite changer cela, il faut avoir une stratégie pertinente adaptée à notre pays pour créer un tissu de PME fortes, exportatrices, qui puissent grandir et innover, en mettant en &oelig;uvre deux idées simples. J'estime criminel d'avoir bloqué une mesure qui aurait permis de générer des centaines de milliers d'emplois dans l'industrie. En premier lieu, les seuils sociaux, placés beaucoup trop bas. Pour une entreprise de cinquante personnes, les obligations relatives à sa taille sont énormes ; si ce seuil est porté à soixante-quinze personnes, elles sont plus digestes, et l'entreprise a des chances de se développer. Le deuxième obstacle à la compétitivité est la flexibilité. Il est inimaginable pour les unités de production de ne pas en bénéficier ; il constitue un obstacle à la création de nouvelles usines. Il faut trouver des solutions : un dialogue autour d'une table avec les partenaires sociaux sincèrement animés, comme les industriels, du désir de créer des emplois, est nécessaire. Sous condition de revoir les notions de seuil et la flexibilité, des investissements pourraient se réaliser, des projets voir le jour. Ces conditions, il faut les créer, car la production n'est plus une conséquence induite par la politique industrielle. Sur quels critères les unités de production vont-elles baser demain leur réussite ?Bernard Bismuth : la production la plus recherchée offrira un facteur de différenciation, d'innovation et de compétitivité pour ses clients. L'unité de production idéale doit participer à la valeur de toute la chaîne d'approvisionnement et chacun des acteurs doit être pleinement conscient du rôle de chacun des maillons de cette chaîne. Ainsi, il nous faut développer d'autres types de rapports entre PME de production et concepteurs pour qu'ils apprennent à être meilleurs ensemble. Dans ce sens, les pôles de compétitivité, le Pacte PME, le rôle de Oséo Anvar et d'Ubi France par exemple sont en train d'ouvrir des voies pour permettre une production électronique différente. Je voudrais en conclusion souligner que dans l'histoire des technologies, l'électronique est encore dans sa jeunesse. Elle porte cependant de grands espoirs pour nos industriels, comme pour nos concitoyens. Pour nous, le défi sera de faire partie intégrante de cette révolution industrielle en marche, et non d'en demeurer les spectateurs passifs.

« L’amélioration des procédés est une condition de la survie des entreprises »

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure

« L’amélioration des procédés est une condition de la survie des entreprises »

Dans la même rubrique

Couverture ElectroniqueS n°127

IBM grave les premières puces en 2 nm en abandonnant les FinFET

Zeta, le protocole LPWAN made in China, arrive en Europe

Harting invente le connecteur électronique sur mesure