Couverture ElectroniqueS n°127

Jacques Chirac et Gerhard Schröder ne lanceront probablement pas de grands programmes industriels à court terme (voir notre précédent numéro) ; seulement des bouche-trous. Ils n'ont pas les moyens de faire mieux. Jacques Chirac et Gerhard Schröder ont évoqué jeudi dernier la possibilité de mettre en place dix projets communautaires susceptibles de relancer la machine économique européenne. Le positif dans l'affaire, c'est qu'il y ait une volonté de faire quelque chose. Le négatif, c'est que les premières informations sur le contenu de ces projets montrent qu'ils sont vagues et dénués d'un volontarisme s'attaquant à nos problèmes structurels. Leurs initiateurs semblent en particulier avoir oublié la raison et la finalité d'un grand programme industriel : il s'agit de donner un objectif et des moyens à une ou des objectif et des moyens à une ou des industries pour que d'autres industries ou services, en nombre encore plus grand, puissent se développer dans de bonnes conditions ; il peut aussi s'agir d'améliorer nos cadres de vie à un coût admissible. Les développements de nos autoroutes, du téléphone numérique, du nucléaire, de notre réseau TGV sont des exemples de ces grands programmes qui ont aidé toutes nos industries : non seulement ils ont mis les industriels français au travail pour deux décennies mais, une fois ces programmes terminés, ils ont laissé des infrastructures qui ont aidé la France à bien fonctionner et à attirer des industriels étrangers. Cerise sur le gâteau, en incitant les entrepreneurs français à faire le mieux possible, ils ont encouragé le développement de la recherche et ont renforcé la puissance des industriels concernés. Sans grands programmes, aucune initiative d'origine privée n'aurait conduit au même résultat si rapidement, tout simplement parce qu'ils sous-entendaient trop de prises de risques de la part de sociétés isolées. Espoirs et réalités… Que nous révèlent donc les “ indiscrétions ” sur les projets à l'étude ? En télécommunications tout d'abord, sont cités « le développement des réseaux haut débit et la numérisation des réseaux terrestres TV et radio ». Ces expressions sont très générales. S'il s'agit, pour les réseaux, de l'ADSL, le projet arrive trop tard ; s'il s'agit en revanche de passer tous les foyers à 20 Mbit/s (VDSL), alors là, oui, c'est un grand programme (environ 10 Md euros d'investissement pour la seule France) qui permettra le développement et/ou la création de nouveaux services innovants et puissants. Quant à la numérisation des réseaux terrestres TV et radio, s'il est question de la TNT et du DAB actuels, nous n'avons besoin d'aucune impulsion ou presque ; s'il s'agit de s'attaquer à de nouvelles applications de mobilité et de portabilité, cela change tout. Une proposition insisterait sur la R&D en semiconducteurs. Attendons pour juger car on peut toujours mieux faire. Mais le grand programme du secteur, nous l'avons : il s'appelle Medea+ (rien n'est dit par contre sur les afficheurs, la grande honte de la R&D européenne). Un autre projet permettrait de relier par réseau les chercheurs encore plus rapidement qu'aujourd'hui : gageons que ce n'est là qu'un petit objet de luxe. Un programme voudrait assurer l'interopérabilité entre le TGV et l'ICE allemand, et terminer la liaison TGV Est : une suite donc, et non un nouveau grand programme, qui plus est sans grandes conséquences économiques démultiplicatrices. Un vrai grand programme dans le domaine consisterait par exemple à monter un réseau TGV européen pour les marchandises : là, il y aurait des conséquences démultiplicatrices… Un autre projet se donnerait pour objectif de réguler les trafics routiers, entre autres en informant mieux les usagers. Rien à dire : petit, mais il est vrai que nous sommes en retard dans ce domaine. Une autre proposition vise le développement de l'éolien. Là aussi, il faudrait que les choses soient claires : pour la France, si l'on dépassait 3 % de notre énergie produite avec de l'éolien, nous commencerions à défigurer nos paysages, créerions une pollution sonore dans nos campagnes et augmenterions de façon significative la facture d'électricité du consommateur. Par contre, s'il s'agit de créer des fermes d'éoliennes à 100 km de nos côtes en produisant le kilowatt-heure à 0,03 euros, il s'agirait sûrement d'un bel objectif (inenvisageable, en pratique, à notre avis, avant au moins 30 ans, et encore…). Une autre mobilisation vise à développer des carburants qui ne seraient polluants ni lors de leur consommation, ni lors du leur fabrication. Une mobilisation légitime, de très longue haleine… Et le financement dans tout ça ? Jacques Chirac et Gerhard Schröder l'ont généreusement confié à la Banque européenne d'investissement. Comme si notre monde économique était capable d'investir sans difficultés à un horizon de plus de 4 ans !

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