Luc Burgun, Cofondateur et Pdg d’Eve : ” Sans le crédit impôt recherche, nous n’aurions pas pu nous développer comme nous l’avons fait’’

Le 26/05/2010 à 17:00 par La Rédaction

Pour des PME innovantes, l’investissement dans des équipes de R&D est vital pour leur développement. Et l’apport du crédit impôt recherche s’avère décisif dans bien des cas, comme l’explique ici Luc Burgun. Créée en 2000, Eve est parvenue en dix ans à être le deuxième fournisseur au monde de systèmes d’émulation et de prototypage de circuits complexes. Cette aventure (la société compte aujourd’hui une centaine de collaborateurs) nécessite d’innover en permanence. A ce niveau, la France est-elle un pays où peuvent s’épanouir des sociétés comme la vôtre qui sont dans l’obligation d’investir en R&D ?

Luc Burgun : Oui, incontestablement. Pour plusieurs raisons. D’abord, la France, et de manière plus générale l’Europe, possède un vivier d’ingénieurs talentueux et très qualifiés issus d’un réseau d’écoles d’ingénieurs et d’université en pointe. Avec, en outre, des compétences « système » très intéressantes pour nous. Ensuite, la pérennité des équipes de R&D en France où le « turn over » est relativement faible, permet de travailler sur le moyen terme et de capitaliser de l’expérience. Enfin, les dispositifs de soutien de l’Etat aux activités de R&D des PME, notamment via le crédit impôt recherche (CIR), permet de rester compétitif dans le concert mondial en terme de coûts salariaux.

Pourtant, il est souvent dit que les coûts salariaux en France sont dissuasifs pour investir dans des projets de R&D ?

Luc Burgun : C’est un constat trop simpliste. Chez Eve, nous avons une filiale aux Etats-Unis et une autre en Inde. Nous avons pu analyser en détail, pour notre activité, les forces et faiblesses de ces différentes régions du monde vis-à-vis de la R&D. Aujourd’hui, grosso modo, le coût annuel d’un jeune ingénieur français, avec les charges, est de l’ordre de 65 000 euros annuels sans le CIR et de 45 000 euros avec l’apport du CIR alors que ce coût atteint de 100 à 110 000 dollars aux Etats-Unis et qu’il est de 20 à 25 000 dollars en Inde. En d’autres termes, la France est environ deux fois moins cher que les Etats-Unis et deux fois plus cher que l’Inde en ce qui concerne le coût annualisé d’un jeune ingénieur impliqué dans des travaux de R&D au sein d’une PME. Bien que cet écart se resserre avec l’âge, la valorisation de l’expérience étant nettement plus faible aux Etats-Unis qu’en Europe ou en Inde, il reste que la France, avec l’apport du CIR, demeure encore très attractive pour réaliser des investissements de R&D industriels. D’ailleurs, aujourd’hui 80 % de notre force en ce domaine est basée en France, les 20 % restant se partageant entre l’Inde et les Etats-Unis. Nous prévoyons d’embaucher en 2010 environ une dizaine d’ingénieurs supplémentaires, en France, pour cette activité de R&D.

L’impact du CIR est-il crucial dans le développement d’une jeune entreprise comme Eve ?

Luc Burgun : Oui, c’est une évidence. Depuis la création de la société, nous avons bénéficié du CIR en tant qu’entreprise innovante qui développe des technologies concurrentielles sur un marché donné, celui de l’émulation. Et à un certain moment de la vie de la société, en 2001/2002, sans l’apport du CIR, il est vraisemblable que nous n’aurions pas pu développer une activité R&D comme nous l’avons fait. De plus, l’évolution du CIR va, selon nous, dans le bon sens. En effet, au début de notre activité, le calcul du CIR était basé sur l’évolution des dépenses de R&D d’une année sur l’autre, un dispositif incitatif pour les augmenter qui trouve naturellement ses limites. De plus, avant les récentes évolutions de 2008, les délais de remboursement des dépenses de R&D pouvaient être longs, ce qui constituait un handicap très important en terme de trésorerie pour de jeunes entreprises. Aujourd’hui, les évolutions du CIR gomment ces imperfections. D’une part, ce crédit est désormais calculé sur la base du volume annuel des dépenses de R&D, une approche incitative pour en pérenniser les activités. De plus, depuis 2008, le remboursement des dépenses de R&D, à hauteur de 30 % pour nous, est immédiat, dès la présentation des pièces justificatives.

Si le CIR est positif, quels sont les freins au développement de sociétés innovantes en France aujourd’hui ?

Luc Burgun : Même si le CIR est devenu incontournable, il ne faut pas perdre de vue que l’effort en R&D en France, de l’ordre de 2 % du PIB, est inférieur à celui consenti par le Japon (3,5 %) ou des Etats-Unis où le ratio est de 2,7 %. Augmenter l’assiette pour le CIR permettrait de réduire cet écart et de motiver encore d’avantage les PME à investir dans la recherche. Deux freins principaux concourent à limiter les investissements en R&D et le développement des PME innovantes qui exportent. L’un est lié aux variations importantes de l’écart entre l’euro et le dollar, sachant que les ventes en dehors de la zone euro sont typiquement libellées dans cette devise. Des mécanismes de régulation qui amortiraient ces hausses ou baisses brutales seraient très bénéfiques. L’autre obstacle est lié à l’assouplissement du marché du travail. Sans forcément aller vers les excès de la dérégulation observés outre-Atlantique, de plus grandes facilités pour embaucher ou se séparer de collaborateurs, favoriseraient les décisions d’investissement en R&D en France.

Propos recueillis par François Gauthier

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