Nathalie Kosciusko-Morizet : ”J’attends des propositions précises et rapides de l’industrie électronique”

Le 28/05/2010 à 14:25 par Jacques zzSUEAYGhcIE

A la veille de l’ouverture du CIEN (Carrefour de l’Industrie Electronique et Numérique), Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique, nous explique que l’industrie électronique est loin d’être délaissée par les pouvoirs publics, et que la réflexion stratégique pour ce secteur doit être fortement coordonnée, voire englobée, dans une réflexion plus large sur le numérique.

Si mes informations sont exactes, vous avez accepté d’inaugurer le nouveau salon de la filière électronique, le CIEN (Carrefour de l’Industrie Electronique et Numérique) qui se tiendra début juin à Paris. Cela fait très longtemps qu’un officiel n’avait pas inauguré un salon dans ce secteur. Est-ce la marque d’un regain d’intérêt politique pour l’industrie électronique qui est généralement un parent pauvre de l’action du gouvernement comparativement aux secteurs du logiciel et de l’Internet et des usages du numérique ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Je ne sais pas si nous pouvons parler de parent pauvre. En réalité, l’industrie de l’électronique est un secteur stratégique en France, et ce depuis bien des années. Technicolor, STMicroelectronics sont là pour rappeler l’intérêt des pouvoirs publics pour cette filière. Mais il est vrai que, dans la communication sur le numérique, on a un peu rapidement fait l’impasse sur cette industrie, en focalisant le discours quasi exclusivement sur les infrastructures.
Dès ma nomination comme secrétaire d’Etat en charge du Développement de l’économie numérique, j’ai voulu rééquilibrer l’action gouvernementale en prenant également en compte les secteurs des contenus et du logiciel. Cela fait des années qu’on en parle mais vous noterez désormais que l’on parle de plus en plus des logiciels et des contenus innovants français, et de leur apport en termes de compétitivité et surtout de création d’emplois dans notre pays. Cela ne signifie pas que le secteur de l’électronique est délaissé, bien au contraire !
Avec les investissements d’avenir, un effort sans précédent est engagé par le gouvernement pour soutenir cette industrie, par ailleurs encouragée par des dispositifs existants, tels que le crédit impôt recherche ou des pôles de compétitivité comme Systematic ou Images et Réseaux. La nanoélectronique, les technologies de base du numérique, les “smart grids”(1), le “cloud computing”(2), sont autant de sujets sur lesquels j’attends des propositions précises et rapides de l’industrie de l’électronique. Le lancement, courant juin, d’une grande consultation publique sur le volet des usages, des contenus et des applications dans le cadre des investissements d’avenir sera l’occasion pour cette filière de s’exprimer clairement.
J’ajoute que d’autres sujets d’investissement, dans le développement durable, avec la voiture électrique par exemple, ou encore dans le calcul haute performance, doivent impliquer nos champions et nos PME de l’électronique. Nous veillerons, avec Christian Estrosi [le ministre en charge de l’industrie, ndlr] et René Ricol, le Commissaire général aux investissements, à ce que l’ensemble du tissu industriel de l’électronique soit partie prenante de cette dynamique.

Quels sont, selon vous, les chantiers prioritaires et les enjeux sociétaux que le gouvernement pourrait soutenir dans le domaine de l’électronique ? Les professionnels souhaitent notamment s’investir sur les dossiers de la télésanté, de la confiance numérique, de la sécurité et de l’environnement. Etes-vous prête à les soutenir en ce sens ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : J’ai cité quelques exemples, que vous complétez fort justement. La résilience des réseaux me semble être une piste formidablement intéressante. La résilience, c’est un problème d’infrastructure, d’architecture logicielle, et bien entendu, d’équipement, donc d’électronique. Il y a des choix à faire aujourd’hui qui engageront l’avenir, et ce marché est par nature, au minimum, européen. J’attends beaucoup de la filière française dans ce domaine. J’entends soutenir les professionnels, mais pour cela, il faut qu’ils s’organisent en consortium et présentent des propositions innovantes, afin que nous puissions, avec René Ricol, retenir les meilleurs projets. Je rappelle néanmoins les deux critères essentiels pour la sélection des projets : qu’ils soient créateurs d’emplois et qu’il y ait un retour sur investissement pour l’État.

Est-il envisageable de prévoir des incitations à l’investissement dans le domaine du semiconducteur comme le font certains pays volontaristes dans ce domaine comme Taïwan ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Il est toujours un peu hasardeux de se lancer sur un seul élément économique dans une comparaison internationale des incitations aux investissements. Nous n’avons pas les mêmes règles en Europe que celles de Taïwan.
Encore une fois, nous comptons développer ce secteur. Pour le reste, nous ne sommes pas dans une période propice à la création de nouveaux dispositifs d’exemption fiscale. Je pense qu’il faut regarder la réalité en face.

[img=411932_604.jpg]“J’entends soutenir les professionnels, mais pour cela, il faut qu’ils s’organisent en consortium et présentent des propositions innovantes, afin que nous puissions, avec René Ricol, retenir les meilleurs projets.”

Les professionnels de l’électronique souhaitent un fonds d’investissement spécifique à leur industrie. Y êtes-vous favorable ? Dans le même ordre d’idées, le FSI (Fonds stratégique d’investissement) a soutenu la filière des biotechnologies, une action similaire est-elle envisageable pour l’électronique ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : J’ai eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises avec les équipes du FSI de leur stratégie concernant le numérique. Je crois d’ailleurs que ces discussions ont en partie porté leurs fruits et je constate aujourd’hui que le FSI investit dans le numérique, qu’il s’agisse d’entreprises de contenus, d’électronique, de services, et de logiciels. Ensuite, il faut laisser le FSI maître de sa stratégie d’investissement.[/br] Nous avons abordé le thème des fonds sectoriels. Le FSI a indiqué, ce qui s’entend parfaitement, qu’un fonds sectoriel n’avait de sens que s’il s’adressait à un secteur ayant une grande cohérence en matière de fondamentaux économiques. En ce qui concerne les biotechnologies par exemple, il y a un effort substantiel en R&D, mais également des frais de commercialisation très importants. De ce fait, les entreprises du secteur des biotechnologies ont toutes une courbe de maturation plus ou moins semblable, ce qui justifie une approche sectorielle de la part du FSI et des industriels qui sont d’ailleurs majoritaires dans le fonds dédié, Innobio. Je ne crois pas que ce soit le cas aujourd’hui du secteur de l’électronique, qui est bien plus vaste.

Le secteur attend également beaucoup du travail fourni dans le cadre des Etats Généraux de l’Industrie. Des actions concrètes en ce sens sont-elles prévues rapidement ? L’instance de réflexion stratégique pour la filière électronique sera-t-elle constituée rapidement ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : Les Etats généraux de l’industrie ont représenté un travail fondateur essentiel, pour lequel mon collègue Christian Estrosi a décidé de mettre tous les sujets sur la table. Il s’agissait de lister les atouts industriels de la France, et de voir comment contribuer à ce qu’ils soient renforcés. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui opposent industrie et services. Quand je soutiens le logiciel, par exemple, ce n’est pas au détriment de l’électronique. Je pense qu’une filière du numérique efficace doit comporter des champions dans chacun des domaines qui font la société de l’information aujourd’hui, et l’électronique en fait partie.
Je suis favorable donc à une réflexion stratégique pour la filière électronique, mais je pense qu’elle doit être très fortement coordonnée, voire englobée, dans une réflexion plus large sur le numérique.
Il ne sert à rien d’opposer les services et les infrastructures. Sinon, comment définit-on une entreprise comme Google aujourd’hui ? Est-ce le premier moteur de recherche ? Est-ce la plus grande infrastructure de communication privée du monde ? De la même façon, il ne sert pas davantage d’opposer l’électronique et l’équipement au logiciel. Sinon, comment doit-on considérer une entreprise comme Apple aujourd’hui ? Comme un fabricant de téléphones ? Comme un éditeur de systèmes d’exploitation et de services marchands ?
Pour moi, il faut sortir de certains clichés en silo et j’aspire à ce que toute la filière du numérique puisse travailler sur des projets communs. Les pôles de compétitivité jouent déjà un rôle remarquable dans ce domaine et je mise sur les investissements d’avenir comme catalyseur puissant pour accélérer ce mouvement.

Enfin, comment comptez-vous harmoniser la politique industrielle française dans le domaine high-tech avec celle des autres pays européens ?

Nathalie Kosciusko-Morizet : C’est un sujet essentiel… et difficile. Aujourd’hui encore, les institutions européennes se voient trop souvent comme régulatrices, et nous souffrons collectivement de ne pas élaborer de stratégie industrielle. J’avais déjà connu cela dans le domaine de l’environnement, et aujourd’hui, au sein du Conseil des Telecoms, je me heurte encore à de fortes réticences quand j’aborde la question de la stratégie industrielle. Ceci dit les choses bougent, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, l’Europe est en train de se doter d’une véritable stratégie de croissance. C’est une première, et j’ajoute qu’au sein de cette stratégie, que l’on nomme Europe 2020, l’agenda numérique fait partie des sept initiatives phares. Il y a donc du grain à moudre.
Ensuite, nous travaillons en bonne intelligence avec Nelly Kroes, la nouvelle Commissaire à l’agenda numérique. Son expérience passée comme Commissaire à la concurrence lui a montré l’importance, mais également les limites, d’un exercice de pure régulation, sans ambition industrielle et économique fortement affichée. Je suis largement d’accord avec la stratégie numérique qu’elle vient de publier, pour peu que l’on se donne les moyens, collectivement, de la mettre en œuvre. Enfin, la Présidence espagnole de l’Union européenne, qui a coordonné les discussions sur ce document que nous devrions approuver — c’est ce que je souhaite — lundi 31 mai, a été une alliée de poids pour que nous puissions introduire l’idée qu’à côté d’une politique européenne pro-consommateurs, nous devions également avoir une politique en faveur des producteurs et de l’emploi.
Désormais, il nous faut matérialiser cela par la mise en place de programmes européens d’ampleur, et sur des sujets majeurs qui devront être portés rapidement à l’échelle du continent, tels que la sécurité des réseaux et le “cloud computing”.

Propos recueillis par Jacques Marouani

(1) Réseaux de distribution d’électricité “intelligents”.
(2) “Informatique en nuages” visant l’utilisation de la mémoire et des capacités de calcul des ordinateurs et des serveurs répartis dans le monde entier.

Crédit photos : Arnaud Perrin

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