Dominique Potier, Directeur Recherche et Technologie du pôle de compétitivité Systematic : « Les systèmes embarqués modifient notre vie »

Le 31/08/2011 à 10:33 par La Rédaction

En octobre dernier, Dominique Potier remettait un important rapport sur les briques technologiques génériques du logiciel embarqué (1). Au sein duquel une analyse approfondie des enjeux du logiciel embarqué a permis de faire émerger de grandes orientations pour ce secteur en pleine évolution. Et pour M. Potier, les systèmes embarqués modifient notre vie en transformant les objets physiques en objets numériques, intelligents et communicants. Pourquoi porter spécifiquement son attention sur ce domaine des logiciels et systèmes embarqués ?

Dominique Potier : Un constat d’abord. Les systèmes embarqués ne constituent plus un marché de niche mais concernent désormais l’ensemble de la société. On est passé d’un marché structuré autour de secteurs historiques, comme l’avionique ou l’automobile, qui ont porté ces technologies, vers un marché très ouvert, qui va bien au-delà : le bâtiment intelligent, la voiture communicante, la médecine à domicile, la maîtrise de sa consommation d’énergie sont des exemples parmi d’autres où l’on voit que les systèmes embarqués modifient ou vont modifier en profondeur la vie des citoyens. Comment ? En transformant les objets du monde physique en objets numériques, intelligents, autonomes et communicants. Avec des interactions fortes entre les domaines visés par ces systèmes. En fait, on passe d’un contexte en silo, verticalisé (le monde de l’automobile par exemple), à un contexte global, avec des interdépendances très fortes entre les domaines (Automobile-Energie, Bâtiment- Energie, Médecine-Bâtiments, Transactions sécurisés-Energie, etc.). C’est une formidable opportunité pour les industriels français et européens impliqués dans les systèmes embarqués, qui sont désormais une composante à part entière du domaine du numérique. D’ores et déjà, nous estimons qu’en France 75 000 emplois directs concernent les logiciels embarqués, soit une activité annuelle d’environ 10 milliards d’euros, et 220 000 emplois (y compris les développeurs logiciels) ont un rapport direct avec le développement de systèmes embarqués, soit une activité annuelle d’environ 30 milliards d’euros. Au-delà, ces études montrent que 50 % de l’industrie française est impactée de manière plus ou moins forte par les systèmes embarqués.

Malgré ce très fort potentiel, vous avez mis le doigt sur un certain nombre de faiblesses structurelles du domaine. Quelles sont-elles ?

Dominique Potier : Aujourd’hui, près des 2/3 des emplois dans le logiciel embarqué se situent au sein des industriels, 1/3 chez les SSII et seulement 6 % chez les éditeurs de logiciels. Avec pour ces dernières une moyenne de 11 personnes par entreprise. Seul dans le paysage français l’éditeur Esterel Technologies, spécialiste des produits pour la conception de systèmes critiques, figure dans le classement Truffle100 France des 100 premiers éditeurs français. C’est une première faiblesse : les capacités technologiques au niveau des éditeurs ne sont pas en rapport avec le marché et le savoir-faire des industriels français qui préfèrent encore garder en interne des équipes dédiées. Cette fragmentation excessive des capacités en logiciel embarqué, que l’on retrouve d’ailleurs également dans le secteur de la recherche publique où il faudrait structurer davantage la constitution de masses critiques de recherche, entraîne une seconde faiblesse : la fragilité de l’écosystème vis-à-vis de nouvelles normes et standards dont le secteur a besoin, qui pourraient venir de l’extérieur et qui mettraient en difficulté les industriels. Enfin, on peut pointer la prise en compte encore limitée de ce thème par le système d’enseignement supérieur, situation qui freine l’émergence d’ingénieurs formés aux problématiques des systèmes et logiciels embarqués et maîtrisant les compétences multiples nécessaires (liées au logiciel, au matériel, au capteur, aux exigences de certification…).

Quelles sont vos préconisations pour l’avenir ?

Dominique Potier : Le plus important, me semble-t-il, est d’aller vers un décloisonnement des technologies. En effet, on voit très nettement un glissement des frontières entre les différents domaines d’applications des systèmes embarqués : la santé, la maison intelligente, le smart grid ont de plus en plus d’exigences critiques en termes de sûreté de fonctionnement et de sécurité. Autant de caractéristiques qui sont l’apanage des domaines traditionnels de l’avionique, de l’automobile ou du nucléaire. Il est donc crucial de structurer des projets qui visent à faire émerger un ensemble de briques logicielles génériques, transverses à ces domaines. Au-delà, il faut penser en termes d’architectures et de standards (comme Autosar dans l’automobile, l’approche IMA (Integrated Modular Avionic) dans l’aéronautique) afin de développer des plates-formes logicielles embarquées, à la fois respectueuses des contraintes de chaque écosystème applicatif mais dans le même temps bâties sur des briques logicielles génériques. Enfin, troisième étage, il faut réfléchir à l’intégration de ces plates-formes dans un monde communicant, c’est-à-dire aller vers le Web des objets. Concrètement, ces priorités vont voir le jour à travers l’important appel à projets « Briques Génériques du Logiciel Embarqué » (2) qui s’inscrit dans le cadre du volet des Investissements d’avenir consacré au développement de l’économie numérique.

Propos recueillis par François Gauthier
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(1) http://www.industrie.gouv.fr/logiciel-embarque/
(2) http://www.industrie.gouv.fr/fsn/logiciel-embarque/

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