Marc Pasquier, Directeur général d’Éolane : «Interfacer R&D et fabrication est un métier»

Le 15/06/2011 à 19:11 par La Rédaction

On le sait, les activités de R&D et la fabrication doivent s’enrichir mutuellement. C’est pourquoi les acteurs de la sous-traitance ont intérêt à cultiver ces deux domaines. Mais pour y parvenir, la France se doit de conserver un tissu industriel afin de rester une terre d’innovation.

En 2010, le marché français de la sous-traitance a progressé de 17 % alors que celui de la sous-traitance mondiale a, lui, enregistré une hausse de 33 %. Est-ce que le marché de l’Hexagone est condamné à des croissances plus modestes que le marché mondial ?

Marc Pasquier : C’est effectivement la tendance depuis que les grands projets sont davantage le fait des économies émergentes que celui de l’Europe et notamment de la France.

Quelles sont alors, outre l’aéronautique et la Défense, les « locomotives » du marché français de la sous-traitance ?

Marc Pasquier : Si, avec des projets comme Airbus, l’aéronautique civile est toujours une locomotive, la Défense, elle, représente aujourd’hui pour la sous-traitance un marché en retrait. En effet, sous l’impulsion du gouvernement, la DGA est entrée dans une ère d’austérité. Le ferroviaire est aussi moins porteur qu’avant, la SNCF limitant, elle aussi, ses dépenses. Les grands projets de ce secteur sont à l’étranger, notamment dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde et les pays du Maghreb. Quant au marché de l’électronique médicale, s’il progresse, sa croissance ne suffit cependant pas à combler les défaillances du ferroviaire et de la Défense. Les énergies renouvelables qui, en France se réduisent au solaire, constituent pour leur part un secteur d’activité en forte croissance depuis plusieurs années. Le solaire y est demandeur de produits « aval » comme les onduleurs, ainsi que de matériels utilisant de nouvelles technologies comme le photovoltaïque à concentration. Par contre, l’éolien est très peu présent dans notre pays à la différence de l’Allemagne et de l’Espagne. Enfin, le domaine des communications entre objets ainsi qu’entre hommes et objets, domaine où s’impose le sans fil, est en pleine effervescence et promis à un très bel avenir. Notre filiale Eolane Caen étudie d’ailleurs de telles communications.

Faut-il que les sous-traitants français investissent davantage en R&D ?

Marc Pasquier : Nous avons commencé chez Eolane à faire de la R&D dès 1978. Actuellement, nous nous appuyons sur quelque 200 personnes en études. En effet, avec l’acquisition de Martec fin 2009 (150 personnes, 22 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2008), nous avons doublé notre potentiel d’études. Début 2010, nous nous sommes aussi adjoints le bureau d’études grenoblois Cybersys. En tant que sous-traitant, Eolane a joué d’emblée la carte de la valeur ajoutée. Aujourd’hui, nous sommes une société ODM (sous-traitance en conception et fabrication) offrant aux équipementiers des services d’études en électronique. Les clients qui font appel à nous peuvent ainsi se consacrer à des recherches circonscrites à leur métier, car ils ont en effet la possibilité de nous déléguer des aspects plus standard des conceptions de matériels qu’ils ont entreprises. Ce faisant, ils optimisent leurs ressources en R&D en éliminant les aléas de charge de travail pour cette activité. Sans compter qu’ils en retirent aussi des bénéfices immédiats : les coûts de conception sont minimisés, et nous leur apportons des solutions originales issues de notre implication dans des domaines d’application très différents. Toutefois, l’enrichissement de notre palette de services avec la R&D a aussi signifié davantage de responsabilités et de risques. Enfin, s’il y a complémentarité entre études et fabrication, l’interfaçage entre ces deux activités ne va pas de soi ; il représente en lui-même un travail et davantage même un métier.

Les productions au Maghreb sont devenues des compléments indispensables de l’offre des grands sous-traitants français. Comment voyez-vous évoluer la palette de services de ces filiales ?

Marc Pasquier : Les contraintes du marché, qui résultent de la pression des clients et de celle de la concurrence, obligent le sous-traitant à proposer des offres de services de plus en plus compétitives. Inéluctablement donc, il y aura progression en valeur de la palette de services en provenance des centres installés dans les pays où la main-d’oeuvre est à faible coût, comme le sont les pays du Maghreb. Actuellement, les offres de ces régions ne répondent pas complètement à la demande du marché. Dans la pratique, la montée en puissance des services de ces pays se fera progressivement et avec prudence. En outre, il est primordial que la France conserve un tissu industriel fort, ne serait-ce que pour continuer à innover.

Faut-il établir des droits de douane en Europe de façon à, au moins, décourager les délocalisations industrielles ou doit-on continuer dans la voie actuelle ?

Marc Pasquier : Pour un pays, fermer ses frontières c’est fatalement se heurter au protectionnisme ailleurs dans le monde. Or, aujourd’hui, le marché est mondialisé. Aussi, passé l’effet de mode de la délocalisation de production en Asie, la solution au déséquilibre industriel actuel semble être un retour progressif à une fabrication au sein de chaque grande zone de consommation*. D’autant plus que, au plan du fonctionnement, les entreprises françaises ont amélioré leur productivité et continuent de le faire. Et que, parallèlement, dans les économies émergentes, les salaires progressent vite, notamment en Chine. De plus, les réévaluations des monnaies de ces économies sont à l’ordre du jour. En outre, au niveau de la stratégie d’entreprise, les équipementiers prennent aujourd’hui davantage en compte les frais associés aux délocalisations de production. En particulier, ils mesurent les conséquences des délocalisations sur les productions restantes et non délocalisables ; et ils se sont aperçus que, privées de l’appui des grandes séries, les fabrications demeurant dans l’Hexagone reviennent plus cher, les coûts structurels à amortir restant les mêmes que lorsqu’il y a de grands volumes.

Propos recueillis par Didier Girault

* Voir à ce sujet notre revue Electroniques n°17 page 3 parue en juin 2011.

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