Mario Pasquali, CEO d’Ellisys et membre de l’USB-IF : « Le passage prévu à une alimentation de 100 W sur un lien USB est une véritable révolution qui va modifier l’usage de l’USB »

Le 15/10/2011 à 18:54 par La Rédaction

Mario Pasquali est à l’origine, avec sa société Ellisys, des suites de tests de l’USB 3.0, utilisées en particulier pour la certification à ce standard des contrôleurs hôte et des périphériques mis sur le marché. Il explique ici comment évolue l’USB 3.0, et en quoi l’augmentation prévue par l’USB-IF de la puissance électrique véhiculée par un lien USB, jusqu’à 100 W, est une évolution majeure à venir de ce standard.

Selon un rapport de la société d’études de marché In-Stat, 1,7 milliard de systèmes dotés d’un port USB 3.0 seront commercialisés dans le monde en 2014. En attendant, en 2010, les ventes ont été plus faibles que prévu, en raison de retards dans l’implantation de la technologie. Où en est-on aujourd’hui ?

Mario Pasquali : D’abord il faut souligner que la spécification USB 3.0 est désormais extrêmement stable. Et, dans les suites de tests utilisées pour certifier les produits auprès de l’USB-IF, qu’il s’agisse de circuits contrôleur hôte ou de circuits pour périphériques, les cas d’incohérences avec la spécification sont inexistants. On peut seulement noter qu’il existe un petit risque avec certains contrôleurs USB 3.0 qui ont été certifiés il y a un ou deux ans, et qui peuvent présenter quelques soucis de comptabilité par rapport à des produits testés en 2011 avec des suites de test stabilisées. Mais aujourd’hui les suites de tests pour la certification sont très complètes, jusqu’à 40 tests différents, dont l’émulation d’un contrôleur hôte pour analyser le comportement du périphérique, ou l’émulation du périphérique pour analyser le host(1). Avec comme objectif, grâce à une couverture de fautes très large, d’assurer une très bonne interopérabilité entre produits ayant reçu le label de l’USB-IF. Quant au marché, on peut dire qu’il existe d’ores et déjà des centaines de périphériques qui sont équipés d’un port USB 3.0 et du côté des contrôleurs hôte, l’offre s’étoffe elle aussi. On peut citer les circuits de Renesas, sans doute le leader sur ce marché, Cypress, Fresco, Etron Technology, VIA et plus récemment Texas Instruments qui a obtenu la certification de son contrôleur en avril dernier. Quant à Intel et AMD, leurs contrôleurs hôtes respectifs sont attendus pour le début de l’année 2012. Tous les feux sont donc au vert, et l’USB 3.0 va investir les PC, notebook, tablettes, disques durs externes, smartphones… D’autant plus que Microsoft a récemment annoncé que Windows 8 intégrerait de manière native le pilote USB 3.0.

L’interface SuperSpeed USB supporte théoriquement, selon les spécifications, un débit de 5 Gbits/s, c’est-à-dire 625 Mo/s, proche des 6 Gbits/s du SATA 3. Ces caractéristiques sont-elles réellement atteintes par les circuits actuels ?

Mario Pasquali : Il est tout d’abord nécessaire de noter que de par l’encodage utilisé (8b/10b, aussi utilisé par le SATA, le PCIe, le gigabit ethernet, etc.), qui utilise 10 bits pour envoyer une information utile de 8 bits, l’efficacité maximum est limitée à 500 Mo/s. Les disques Flash USB 3.0 les plus performants du marché atteignent des débits de l’ordre de 360 Mo/s avec un contrôleur hôte parfait. Car à l’heure actuelle, ce qui bloque la performance, ce sont les caractéristiques du host. Et il y a encore beaucoup de travail à accomplir sur ces circuits pour dépasser les 400 Mo/s. Aujourd’hui, avec les contrôleurs hôtes existants, on obtient plutôt des valeurs de l’ordre de 200 Mo/s. En effet il faut comprendre que réaliser un circuit pour périphériques est relativement facile. Ce dernier doit « seulement » répondre à une sollicitation du host. D’où d’ailleurs le nombre élevé de circuits récepteurs sur le marché, une vingtaine, sans différentiations majeures entre eux. En revanche, l’effort à réaliser pour concevoir un contrôleur hôte, un circuit réellement complexe, est beaucoup plus élevé, d’un facteur 10 au moins. On estime qu’il faut une équipe d’environ 50 ingénieurs sur 2 à 3 ans pour concevoir un contrôleur hôte. Un effort qui n’est pas à la portée de tout le monde !

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Quel est alors le facteur limitant des performances de ces circuits ?

Mario Pasquali : Le problème principal vient du logiciel embarqué, plus précisément de l’optimisation du pilote (driver) qui intègre la couche xHCI (extensible Host Controler Intereface), qui réalise l’interface entre le matériel et les couches logicielles applicatives. La plupart des utilisateurs USB 3.0 aujourd’hui utilisent le mode Bulk Only de la class Mass Storage, qui avait été défini à l’époque d’USB 1.0. Ce protocole ne permet pas de paralléliser les opérations, ce qui limite les possibilités du host. Pour profiter des performances maximales d’USB 3.0, l’USB-IF a défini un nouveau protocole nommé UASP (USB Attached SCSI Protocol). Cette couche UASP tient compte de l’avancée des spécifications SCSI, et permet de paralléliser les opérations pour atteindre des performances similaires à un système SATA natif, utilisant la même approche. Or, à l’heure actuelle il n’existe pas de driver réellement optimisé avec cette couche logicielle, tous les fournisseurs de host utilisant plus ou moins la version de Renesas. Heureusement, Microsoft a annoncé qu’ils introduiront un driver UASP optimisé dans Windows 8.0, allant de pair avec le nouveau driver xHCI optimisé.

Une des nouveautés de l’USB 3.0 est le fait que le courant de sortie disponible pour la recharge d’accessoires est de 900 mA sur 5 V, soit le double de la version 2.0. Mais très récemment l’USB 3.0 Promoter Group(2) a annoncé qu’il va lancer un groupe de travail sur une spécification qui assurera aux câbles et ports USB la possibilité de transporter jusqu’à 100 W de puissance. Pourquoi un tel bond en avant ?

Mario Pasquali : D’abord, il faut noter que cette spécification devrait cohabiter avec le standard USB Battery Charging 1.2, publié en décembre 2010 par l’USB-IF, qui permet d’alimenter et/ou de recharger des périphériques avec une puissance limitée à 4,5 W. Ensuite, ces 4,5 W disponibles sur une liaison USB 3.0 ne modifient pas le schéma général d’alimentation de l’USB. Il apporte seulement plus de confort. En fait dans cette approche, c’est toujours le host qui décide de délivrer ou non 500 mA sur la ligne, avec une limitation à 100 mA lorsqu’il y a un hub. Mais avec la proposition de passer à 100 W, en cours d’étude, c’est toute cette architecture qui est remise en cause. En effet, dans cette nouvelle spécification, on inverse la donne : ce sera le périphérique qui pourra alimenter le contrôleur d’hôte. Ainsi, un écran pourra alimenter directement un notebook, via sa carte graphique USB. In fine, le chargement de la batterie d’un ordinateur portable ou tout simplement la mise sous tension d’un PC sera possible en utilisant une seule connexion USB. Avec à la clé bien évidemment des mécanismes complexes à mettre en oeuvre, puisque chaque circuit USB peut être vu comme un host à n’importe quel moment du point de vue de l’alimentation. C’est donc une véritable révolution qui est en marche, puisque théoriquement on pourra par exemple charger son téléphone portable ou son Smartphone sur la prise USB d’un notebook, qui lui-même pourra être alimenté par la prise USB du hub supportant cette nouvelle spécification ! Ou bien encore alimenter son imprimante préférée directement à partir du PC, ou utiliser des disques durs externes autoalimentés.

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La publication de ce standard devrait être faite par l’entremise de l’USB-IF (USB Implementers Forum), au début de l’année 2012, avec une perspective de produits commerciaux à l’horizon 2013. Quels sont les principaux obstacles à franchir pour arriver à ce niveau de puissance ?

Mario Pasquali : Le plus gros obstacle à surmonter est lié au respect de l’ensemble des normes de sécurité en vigueur en Europe et dans le monde. Car passer à 100 W de puissance est un véritable challenge technique en termes de sécurité. L’idéal serait d’utiliser les mêmes connecteurs USB qu’actuellement et donc que cette nouvelle spécification soit rétrocompatible avec les câbles et ports USB 2.0 et 3.0. L’idéal serait aussi de mettre en oeuvre une tension variable pouvant aller jusqu’à 100 V, en continu ou en alternatif. Mais l’ensemble de ces choix n’est pas encore fait pour l’USB-IF.

Une autre problématique propre à l’USB est l’utilisation ou non de la fibre optique. Où en est-on ?

Mario Pasquali : L’USB-IF n’a jamais été fermé à la mise en oeuvre de la fibre optique sur l’USB. Une option qui permet de monter en puissance en termes de débit de manière efficace, jusqu’à 100 Gbits/s sans difficultés. Cependant l’USB est avant tout un lien utilisé sur des appareils grand public avec un coût faible (moins de 10 euros pour un chip USB). L’intégration de la fibre optique nécessiterait d’utiliser un nouveau connecteur, forcément plus onéreux. De plus, cela créerait une rupture par rapport aux spécifications antérieures et empêcherait toute compatibilité descendante ou ascendante avec l’USB 2.0. Or, la compatibilité est un des axes forts de l’USB-IF. Enfin, on sait que le cuivre a encore de la marge et qu’il est tout à fait possible de monter jusqu’à 20 Gbits/s sans difficultés majeures. Pour toutes ces raisons la mise en oeuvre de la fibre optique sur l’USB 3.0 n’est pas la priorité actuelle de l’USB-IF.

Propos recueillis par François Gauthier

(1) Les outils de test de l’USB d’Ellisys sont commercialisés en France par la société Neomore.
(2) Groupe composé des sociétés Hewlett-Packard, Intel, Microsoft, Renesas Electronics, ST-Ericsson et Texas Instruments.

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