Olivier Peyrat (Afnor) : « La Chine fait une percée spectaculaire dans les instances de normalisation »

Le 17/10/2013 à 13:17 par Jacques zzSUEAYGhcIE

La Chine a déjà œuvré à plusieurs reprises pour promouvoir activement ses normes au niveau international. Aussi, les Européens se doivent-ils d’être plus actifs dans les comités de normalisation, être présents aux réunions, être forces de proposition, préconise Olivier Peyrat. Une interview que vou pourrez également lire dans le numéro d’octobre de notre revue “ElectroniqueS”.

Les entreprises françaises et européennes sont-elles assez impliquées dans les organismes de normalisation ?

OLIVIER PEYRAT J’ai tenu l’année dernière une conférence à l’Ecole des Mines Paris-Tech au cours de laquelle je mettais en garde contre le manque d’implication des entreprises françaises et européennes dans les organismes de normalisation volontaire au plan international, et à contrario, de la percée spectaculaire des chinois dans ce domaine(*). Cette participation est particulièrement perceptible au sein des comités de normalisation technique de l’ISO (International Organization for Standardization), organisation internationale de normalisation, par exemple dans les domaines de l’énergie, des smart-grids ou encore de la ville durable. Le comptage de l’énergie est l’un des sujets-phares, car il induit la notion de performance énergétique qui est l’un des grands défis de demain. Imaginer une ville aussi économique que possible, relier les villes les unes aux autres, suppose un bon niveau d’infrastructures. L’aide à l’autonomie et au confort des personnes âgées constitue aussi un sujet majeur, notamment dans le domaine des dispositifs de surveillance à distance. Dans ce contexte, il est vraiment stratégique, et nos collègues chinois l’ont bien compris, de prendre une part active à l’animation des travaux de normalisation car celle-ci conduit à la possibilité de proposer un agenda et à mettre en avant ses propositions. Les Chinois ont constaté l’importance de l’apport de la normalisation volontaire et ne s’en privent pas. Le sujet de l’aide aux personnes âgées [que la France a également mis en avant récemment via lancement de la filière de la « Silver Economie », ndlr], préoccupe particulièrement la Chine du fait de sa politique d’enfant unique. Aussi, l’ambition des Chinois est-elle d’offrir, à l’issue de leur plan quinquennal actuel, une autonomie complète à 80% des personnes de plus de 80 ans. Le risque de voir ce marché se développer sans nous est donc réel.

Dans certains domaines, les Chinois ont-ils déjà tenté d’imposer leurs normes ?

OLIVIER PEYRAT Oui, rappelons-nous qu’il y a sept ans déjà, dans le domaine des réseaux sans fil, les Chinois ont activement promu le Wapi comme alternative du protocole de sécurité IEEE 802.11i développé par l’Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE). Et ils ont été très près de réussir ! En mars 2006, la proposition 802.11i a été approuvée et la proposition Wapi a été rejetée. Les acteurs chinois ont également eu la même démarche dans le domaine du « cloud », mais les sociétés américaines ont été sur la brèche pour ne pas laisser la voie libre aux propositions chinoises. Alors qu’elle n’a pris ses premières responsabilités qu’à partir de 2004, la Chine assure d’ores et déjà la présidence d’une trentaine de comités et sous-comités. Dès qu’un siège est vacant, elle présente sa candidature. Son implication et sa contribution dans les structures techniques ont également beaucoup progressé.

Quelle attitude les autres parties prenantes dans les organismes de normalisation doivent-elles avoir face à l’offensive chinoise ?

OLIVIER PEYRAT En tant que vice-président de l’ISO, ma préoccupation est que la Chine joue pleinement son rôle au sein de l’ISO. Etant donnée la taille du marché que la Chine représente, il serait préjudiciable de nous en passer. Essayons, nous aussi, européens, de travailler en amont, de manière volontaire, dans les instances internationales de normalisation. En France, en particulier, nous n’y participons pas assez par rapport à nos voisins allemands ! Leur implication sur les enjeux des prises de recharge de voitures électriques illustre une réelle capacité à transformer leurs produits en normes et donc en avantage concurrentiel. Etre actif dans les comités de normalisation, être présent aux réunions, être force de proposition, être capable de rédiger des propositions en anglais, nouer des communautés d’alliance, voilà la meilleure manière de réagir, car l’approche politique n’est pas suffisante. Rappelons-nous que celui qui impose sa norme possède le marché.

Quelle est précisément la place de la France en matière de normalisation internationale ?

OLIVIER PEYRAT Au niveau de l’ISO, il faut savoir que l’Allemagne est le seul pays à avoir réussi à accroître son influence au cours de ces dernières années. Les Allemands détiennent 19% des postes de responsables de comités techniques, 17% reviennent aux Américains, 10% à la France, 9% au Royaume-Uni, 9% au Japon et 5% à la Chine, mais comme je l’ai déjà évoqué, l’influence des Chinois devrait augmenter rapidement. La Chine demande aujourd’hui à devenir également membre permanent de l’instance de gouvernance technique de l’ISO, le TMB (Technical Management Board), à l’instar des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France. Elle souhaite ainsi être présente à la fois au niveau politique et au niveau technique. Cela suppose qu’elle assure le pilotage d’un certain nombre de travaux internationaux, d’où son implication croissante depuis 2004 au sein de l’ISO.
Après un président russe et, actuellement, un président britannique, le prochain président de l’ISO sera chinois. Zhang Xiaogang prendra en effet ses fonctions en janvier 2015. C’est une première dans l’histoire de l’organisation internationale de normalisation.
Le dernier gouvernement chinois est plus orienté vers le marché intérieur. Il existe désormais plus de normes en Chine que dans n’importe quel autre pays du monde : près de 150 000, soit sept fois plus qu’au niveau de l’Union européenne. Les dirigeants chinois ont la conviction que leur marché dispose d’une taille critique et qu’il peut s’imposer au reste du monde. Il est alors de notre devoir de leur rappeler, si nécessaire, les règles de l’OMC. Un très grand nombre de mesures parfois interprétées comme protectionnistes par certains observateurs ont été adoptées juste avant l’adhésion à l’OMC. Aujourd’hui, l’OMC est en train de procéder à l’évaluation de cette adhésion en vérifiant si la Chine a tenu les engagements qu’elle avait pris. L’un des critères étudiés est celui du système de normalisation. Il s’agit de vérifier si les normes définies par la Chine ne constituent pas, dans certains cas, un obstacle technique au commerce.

Propos recueillis par Jacques Marouani, avec le concours de « ParisTech Review ».

(*) Cette conférence a été retranscrite sur le site Internet de la publication en ligne « ParisTech Review », de l’Ecole des Mines Paris-Tech. Cette retranscription est consultable à l’adresse suivante : http://www.paristechreview.com/2012/10/09/normalisation-chinoise/
 

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