Jean-Pierre Velly, délégué général du GFIE : ”Le fabricant impose des priorités de livraison au distributeur”

Le 23/09/2010 à 17:35 par La Rédaction

Alors que la pénurie de composants fait perdre du chiffre d’affaires aux PME de sous-traitance et les obligent à stocker des matériels « presque terminés », Jean-Pierre Velly, délégué général du GFIE et grand spécialiste de la distribution de composants, fait le point sur cette pénurie, précisant le mécanisme de cette dernière ainsi que les raisons de son apparition. Quand peut-on considérer que les délais d’approvisionnement en composants sortent de la normalité ?

Jean-Pierre Velly : Quel que soit le composant, le cycle de fabrication dépasse rarement 12 semaines. Si un délai supérieur est annoncé, cela signifie que la fabrication en cours est réservée, déjà vendue ou allouée. Les délais peuvent aussi s’avérer beaucoup plus courts. Tout dépend de l’état d’avancement du lot en cours de fabrication. Ainsi, il ne faut que quelques semaines pour réaliser l’encapsulation des puces, puis le test et le marquage des circuits en boîtier. Actuellement, des délais inhabituellement longs, jusqu’à 52 semaines et plus, sont annoncés pour pratiquement toutes les familles de composants (actifs, passifs, connecteurs, afficheurs…). C’est la pénurie. Car quand un fournisseur annonce un délai de 40 ou 52 semaines à son client, c’est juste pour ne pas dire à ce dernier qu’il préférerait se passer de la commande !

Les fabricants de composants sont souvent suspectés d’organiser les pénuries pour augmenter les prix des composants. Qu’en pensez-vous ?

Jean-Pierre Velly : Ceux qui pensent que les pénuries sont créées pour augmenter les prix n’ont pas totalement tort. Toutefois, elles concernent aussi des composants à très faible coût (résistances, condensateurs, afficheurs…) pour lesquels seules des usines hautement automatisées peuvent assurer une fabrication rentable. L’adéquation entre offre et demande se heurte à des problèmes de fond. La finance, ce n’est un secret pour personne, pèse sur la production de composants, imposant des comportements risqués, comme la limitation des stocks. L’obsession du retour sur investissement conduit à arrêter des fabrications quitte à laisser les clients se débrouiller tout seul. Aujourd’hui, à la décharge des fournisseurs, il est aussi certain que les clients sont allés trop loin dans le déstockage. L’industrie des composants adresse des marchés de grande diffusion pour lesquels les besoins et la décision d’achat du consommateur sont difficiles à cerner et à prévoir. Si le produit plaît, tout va très vite – beaucoup plus vite aujourd’hui qu’hier et avec une ampleur plus grande – et la demande explose. Enfin, tous les clients ne sont pas égaux aux yeux du fabricant de composants. S’il suit en direct le grand OEM ou le grand sous-traitant, il confie le reste de sa clientèle à la distribution. Bilan : en période d’allocation, l’OEM constitue des stocks qu’il remet sur le marché quand il n’en a plus besoin. Il lui arrive même de surévaluer ses commandes de façon à revendre une partie des composants livrés, ce qui lui permet de financer partiellement ses achats matière. A l’opposé, les stocks du distributeur sont définis régulièrement, par lui-même et son fournisseur. Ce dernier pouvant aller jusqu’à imposer au distributeur des priorités de livraison !

Il est étonnant que les distributeurs n’aient pas plus de liberté quant à leurs stocks !

Jean-Pierre Velly : Malgré le fait qu’ils représentent plus de 80 % des ventes mondiales de la distribution et que leurs chiffres d’affaires dépassent ceux de leurs producteurs, les quatre plus grands distributeurs mondiaux n’arrivent pas à faire pression sur leurs fournisseurs. Etant livrés par ces derniers, ils ne disposent que d’une liberté d’action toute relative. Dans la pratique, toutefois, si les clients stratégiques sont livrés en priorité, tout est fait pour éviter les arrêts de production.

Comment se fait-il qu’une pénurie prenne de l’ampleur si rapidement ?

Jean-Pierre Velly : L’utilisation de nouveaux outils informatiques favorise l’apparition de pénuries. Quand le système informatique d’un client reçoit une mise à jour automatique de la part d’un fournisseur annonçant le passage d’un délai initial de 4 à 8 semaines, tous ses voyants virent au rouge et il passe commande. Tous les systèmes ayant reçu la même information passent commande. Alors que le besoin réel des clients est resté le même, un besoin virtuel a été créé. Pour peu qu’en même temps, sous la pression de sa hiérarchie, des financiers, des actionnaires…, le commercial de la société révise ses prévisions de ventes à la hausse, la conjugaison des deux phénomènes génère alors une demande virtuelle qui n’a plus rien à voir avec le besoin réel… Les fabricants de composants ne peuvent plus répondre à cette nouvelle demande et le marché passe en mode allocation. Et là, il n’y a plus de loi ! Le fournisseur oublie toutes les promesses qu’il a faites. Le client se met à passer des doubles commandes (on les estime à 20 %). C’est peut-être plus. En tout cas, c’est loin d’être négligeable.

Toujours est-il qu’aujourd’hui, les industriels français se plaignent amèrement de cette pénurie.

Jean-Pierre Velly : L’exception française voisine parfois avec les mauvaises habitudes ! Ainsi, les entreprises françaises n’ont pas crû à la reprise et ont réagi tardivement aux signaux avant-coureurs de la pénurie… Dans l’Hexagone, trop de donneurs d’ouvrage jouent encore la carte de l’opportunisme avec leurs fournisseurs et leurs sous-traitants. Ils manquent de transparence, se montrent avares de prévisions − quand ils n’en livrent pas des fantaisistes –, passent des doubles commandes, etc. A l’heure où le « chasser en meute » se voudrait la nouvelle règle du jeu, les acteurs de la supply chain préfèrent trop souvent encore « se repasser la patate chaude ». Ce qui ne favorise ni le partage de risque ni l’engagement.

Propos recueillis par Didier Girault

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