Jean-Michel Gliner, Coprésident d’InnovaFonds : « Il faut que les fonds d’investissement soient plus patients »

Le 13/01/2011 à 17:49 par La Rédaction

Des fonds à connotation plus industrielle, une meilleure dotation pour Oséo et la « corporate governance » (ou « gouvernement d’entreprise ») instaurant des liens étroits entre dirigeants et investisseurs, permettront de muscler les PME et d’en faire des ETI, estime Jean-Michel Gliner, coprésident de la société d’investissement InnovaFonds. Créée en 2008, votre société de capital-investissement se démarque-t-elle des autres entreprises de votre domaine ?

Jean-Michel Gliner : En tant que société de gestion de fonds, nous avons la spécificité de regrouper des dirigeants issus du monde financier et de l’industrie du secteur des technologies de l’information. J’ai moi-même créé la société d’ingénierie en informatique Silicomp, et nous possédons, avec mon associé Emmanuel Arnould, une bonne culture industrielle. Nous investissons sur des entreprises à fort potentiel de croissance et partons du principe que pour identifier les bonnes entreprises à financer, il faut bien connaître le milieu industriel dans lequel on évolue. Une approche industrielle minimise fortement les risques, car elle est basée sur des fondamentaux, du vécu, du solide. Les équipes de la CDC (Caisse des dépôts et consignations), du FSI (Fonds stratégique d’investissement) et, d’une manière générale, les sociétés de capital-investissement qui fonctionnent bien ont des approches sectorielles.

Vous venez de créer un premier fonds. Quelle est sa taille et dans quel type d’entreprises va-t-il investir ?

Jean-Michel Gliner : Par rapport aux gros fonds que l’on connaît dans le secteur des technologies de l’information, et qui sont de l’ordre de 150 M€, le premier fonds que nous avons créé est plus modeste puisque son montant est de 20 M€, ce qui nous oblige à être très sélectifs. Il s’appelle Obeddis (Objets communicants, énergie, développement durable, industrie et services). Ce fonds se focalise sur les usages de technologies de l’information et de la communication dans les domaines de l’énergie, la santé et la mobilité. CDC Entreprises, de grandes banques régionales et une institution de prévoyance sont entrés dans notre fonds. Nous avons à ce jour bouclé trois investissements dans les domaines suivants : la communication multimédia (diffusion de contenus numérique distribuée), le M2M (communication de machine à machine) en situation de mobilité, et les outils d’analyse acoustiques et vibratoires.

Envisagez-vous des durées d’investissement plus longues lors de vos prochaines opérations ?

Jean-Michel Gliner : Dès que l’on constitue des fonds avec une caractéristique industrielle plus marquée, il faut envisager une durée d’investissement plus longue. Cela est dû à la contrainte de certains secteurs comme l’électronique, où les équipements sont parfois très onéreux et réclament une longue durée d’amortissement. Les retours sur investissement ne peuvent donc être obtenus qu’à plus long terme. Dans le monde industriel, il est difficile d’obtenir un retour sur investissement en 5 à 7 ans. Il ne faut pas non plus compter sur un TRI (Taux de rentabilité de l’investissement) de 25 % sur cette période. Nous préférons tabler sur un taux de rentabilité de 10 % et avoir affaire à une valeur sûre. Il est indispensable de mettre en place des fonds patients qui éviteront ainsi des « clashs » entre financiers et industriels avec par exemple, des financiers qui ne réinvestissent pas ou des industriels qui ne veulent pas ouvrir leur capital. En général, il n’y a pas assez de dialogue entre financiers et chefs d’entreprise. Il faut que les industriels n’hésitent pas à nous ouvrir leurs livres, à nous montrer leur bilan, car nous sommes à leurs côtés pour les aider à trouver des solutions et à créer une dynamique.

Avez-vous des projets dans le domaine de l’électronique ?

Jean-Michel Gliner : Nous avons entamé des réflexions avancées avec la Fieec qui s’inscrivent dans la lignée des états généraux de l’industrie, pour lever un fonds sectoriel « patient » qui permettra aux adhérents de bénéficier d’outils de financement spécifiques. La condition sera de mettre la notion de développement durable au coeur de la stratégie d’entreprise. Le montant de ce fonds, que nous souhaitons créer d’ici la fin de l’année, sera d’environ 100 M€.

Quel est votre sentiment sur les dispositifs et les outils de financement existants destinés aux PME, et quelles seraient, selon vous, les solutions pour améliorer leur efficacité ?

Jean-Michel Gliner : Il est clair qu’il n’y a pas assez d’ETI en France. Il y a une peur des chefs d’entreprise envers les financiers, car ces derniers sont souvent vus comme des prédateurs. Parmi tous les outils à la disposition des PME, Oseo est d’une efficacité fantastique, car c’est un organisme fait pour les PME et qui travaille tous les jours avec les PME. Mais ses moyens ne sont pas assez importants. Ils sont par exemple trois fois moins importants que ceux du Tekes, en Finlande. Résultat : nos PME ont une taille trois fois moins importante que les PME finlandaises. En revanche, je suis un peu plus réservé sur l’utilité des pôles de compétitivité pour les PME. Certes, les pôles sont nécessaires pour les entreprises de grande taille dans leur quête de partenaires, mais pour les PME, cela est beaucoup moins évident. Elles ont déjà du mal à développer des collaborations en interne. Aussi, pour que les PME françaises se développent et deviennent des ETI, il faut créer des fonds à connotation plus industrielle, accorder une meilleure dotation pour Oséo et développer la « corporate governance » (ou « gouvernement d’entreprise ») instaurant des liens étroits entre dirigeants et investisseurs afin de faire en sorte que les entreprises soient moins isolées.

Propos recueillis par Jacques Marouani

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