La science-fiction regorge d’exemples passionnants montrant comment l’ingénierie pourrait évoluer dans un avenir lointain. Dans l’Univers cinématographique Marvel, Tony Stark conçoit et modifie ses costumes en dialoguant avec son assistant numérique Jarvis.
Dans Star Trek: Voyager , l’équipage utilise le célèbre holodeck pour créer une représentation virtuelle d’une navette, dont la conception évolue en temps réel en fonction des décisions prises par l’équipage. Aucun clavier et aucune souris ne sont visibles dans ces exemples.
Le secteur de l’aérospatiale et de la défense (A&D) est encore loin d’utiliser quoi que ce soit d’aussi sophistiqué que Jarvis ou le holodeck pour concevoir des avions et des engins spatiaux, mais les choses commencent à changer avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle. L’IA transforme déjà les processus d’ingénierie existants et peut être la clé pour ouvrir de nouvelles possibilités qui, il y a seulement quelques années, ne relevaient que de la science-fiction. Investir dès maintenant dans cette technologie peut non seulement permettre au secteur A&D de résoudre des problèmes plus immédiats, mais aussi rapprocher l’avenir du présent.
L’IA dans les outils actuels
L’IA est d’ores et déjà en cours d’intégration directement dans les outils logiciels afin d’accélérer les processus d’ingénierie. Mise en œuvre sous forme de copilotes et d’assistants numériques, elle peut exécuter des commandes exprimées en langage naturel. Au lieu d’être obligés d’effectuer de multiples clics, les ingénieurs peuvent s’adresser oralement à leurs outils et demander au copilote d’effectuer automatiquement des tâches courantes telles que la gestion des données. Ils ont ainsi plus de temps pour se concentrer sur des tâches d’ingénierie de plus haut niveau.
En outre, l’IA peut être utile pour former la prochaine génération d’ingénieurs aérospatiaux. Un copilote IA peut permettre un accès rapide à une bibliothèque spécialisée contenant toutes les informations relatives à un outil, ce qui permet aux nouveaux utilisateurs d’apprendre plus rapidement à s’en servir. Mais ce qui est encore plus incroyable, c’est la façon dont l’IA peut apprendre des utilisateurs experts de l’outil et de leurs flux de travail pour rationaliser les tâches et créer un ensemble de meilleures pratiques, et ainsi aider les ingénieurs dans tous les domaines, du placement des composants à l’optimisation de la géométrie.

Intégrer l’IA dans les outils logiciels peut permettre aux utilisateurs de devenir plus rapidement des experts (crédit image : iStock/Gorodendkoff).
Les possibilités de l’IA peuvent être particulièrement utiles au secteur A&D, qui fait face à une pénurie croissante de main-d’œuvre. Selon une étude PWC/AIA consacrée à la main-d’œuvre, « plus de 29 % de la main-d’œuvre du secteur a plus de 55 ans, ce qui va créer des vagues de départs à la retraite dont les effets se feront sentir au cours des 10 à 20 années à venir ». Cela pose un problème, car des experts seront nécessaires pour former les ingénieurs aérospatiaux nouvellement embauchés. Le fait que les outils logiciels intégrant l’IA apprennent des experts avant qu’ils ne prennent leur retraite peut réduire l’ampleur de cette perte de compétences et permettre aux nouveaux venus d’être opérationnels plus vite et d’acquérir de l’expérience dans l’utilisation des outils.
L’IA à l’horizon
Si parler à votre ordinateur afin de créer automatiquement des conceptions de composants vous fait penser aux interactions avec Jarvis, vous avez raison. Bien qu’elles soient loin d’être aussi sophistiquées que ce que l’on voit au cinéma ou à la télévision, les capacités actuelles de l’IA constituent les prémices de ce qui sera possible à l’avenir.
En investissant continuellement, les entreprises peuvent trouver des moyens d’utiliser l’IA pour améliorer leur transformation numérique. Par exemple, les outils de conception générative qui automatisent certains aspects du processus de conception existent depuis longtemps, mais ils sont largement confinés à des domaines d’ingénierie très spécifiques. Toutefois, étant donné les progrès continus de l’IA et de ses capacités de gestion des données, il se peut qu’un jour elle puisse organiser les données entre l’ensemble des outils et des domaines pour créer un modèle de données universel pouvant conduire à une conception générative multidisciplinaire basée sur la physique. En outre, ce modèle de données pourrait également s’auto-valider des centaines de fois, voire des milliers, jusqu’à ce qu’il devienne le produit le plus idéal possible.

Les outils d’ingénierie futuristes relèvent peut-être de la science-fiction, mais l’IA est un tremplin vers leur concrétisation (crédit image : Siemens).
En outre, lorsqu’elle est associée à la réalité augmentée ou virtuelle, l’ingénierie immersive atteint un niveau supérieur. Les ingénieurs pourraient ainsi se connecter par téléphone à un environnement virtuel depuis n’importe quel endroit du monde, afin d’élaborer ensemble une représentation virtuelle de leur produit. Grâce à l’IA, ils pourraient voir cette représentation se générer et se modifier en temps réel sous l’effet de leurs commandes vocales. Cela ne ressemble-t-il pas au holodeck ?
Le secteur A&D développe actuellement de nombreuses innovations passionnantes, de la propulsion écoresponsable aux appareils militaires de nouvelle génération, en passant par les programmes spatiaux qui amènent l’humanité là où elle n’est encore jamais allée. L’IA n’inventera pas les technologies permettant de concrétiser ces projets, mais elle leur permettra de porter leurs fruits le plus tôt possible.
Obtenir l’adhésion des équipes
Bien entendu, l’adoption de l’IA aux niveaux décrits ci-dessus ne se déroulera pas sans rencontrer d’obstacles. Dans le domaine de l’A&D comme dans de nombreux autres secteurs, des efforts doivent être faits pour que le personnel fasse confiance à la technologie et apprenne à l’utiliser.
Comme toute nouvelle technologie révolutionnaire, l’IA suscite le scepticisme de nombreuses personnes. Pendant des décennies, le secteur A&D s’est appuyé sur des processus d’ingénierie bien particuliers. Aujourd’hui encore, bien que les ingénieurs soient des esprits curieux désireux de découvrir de nouvelles technologies, certains d’entre eux font davantage confiance aux méthodes traditionnelles qu’aux capacités de l’IA, surtout quand ils ne les comprennent pas.

L’IA offre de nombreux moyens d’accélérer les processus d’ingénierie aérospatiale et d’amener le secteur vers de nouveaux sommets (crédit image : Siemens).
D’autres préoccupations affectant la confiance sont liées à la sécurité des données. Le secteur A&D en particulier traite beaucoup de données constituant de la propriété intellectuelle, et si l’IA doit les utiliser, par exemple pour concevoir un nouveau composant, les entreprises voudront s’assurer que ces données ne sont pas exposées à des tiers ou sur Internet.
Toutefois, à mesure que la technologie continuera de faire ses preuves, les gens finiront par voir les bons côtés de l’IA et apprendront à lui faire confiance. Les étapes pour parvenir à ce stade sont relativement simples. Pour commencer, la question des données confidentielles est plus une question d’infrastructure qu’une question d’IA. Les outils utilisant l’IA peuvent facilement être conçus pour ne puiser que dans le lac de données privé d’une entreprise, ce qui permet de garder la propriété intellectuelle et les autres données sensibles en sécurité à l’intérieur de l’entreprise.
Pour accélérer la compréhension de l’IA, les efforts de formation peuvent être étendus afin d’enseigner aux ingénieurs comment l’utiliser plus efficacement, par exemple en leur apprenant à saisir les bonnes instructions ( prompts ). Heureusement, de nombreux cours sur l’IA sont disponibles gratuitement sur Internet, de sorte que les possibilités de formation existent déjà et sont faciles d’accès.
Il est particulièrement important que les ingénieurs aéronautiques se familiarisent avec l’IA, ainsi qu’avec les logiciels en général. L’époque où l’équipe comptable appelait le service informatique pour régler un problème d’ordinateur est révolue. Cela vaut également pour l’équipe d’ingénierie. L’intégration des logiciels dans les processus et produits d’ingénierie actuels est déjà en cours, qu’il s’agisse de génie civil ou d’aérospatiale, et elle ne fera que s’accentuer avec l’introduction de l’IA.
Ciel dégagé en vue
La bonne nouvelle, c’est que l’intérêt pour l’IA ne se dément pas et que les entreprises semblent prêtes à surmonter les inquiétudes évoquées ci-dessus. Selon le Wall Street Journal : « les résultats d’une enquête effectuée par KPMG auprès de 220 entreprises indiquent que 43 % des entreprises américaines réalisant un chiffre d’affaires annuel d’au moins 1 milliard de dollars prévoient d’investir au minimum 100 millions de dollars dans l’IA générative au cours des 12 prochains mois ». Le potentiel de transformation radicale qu’offre l’IA est bien réel et reconnu par les plus grandes entreprises du monde, et le secteur A&D peut lui aussi en récolter les fruits.
Qu’il s’agisse des agents conversationnels ( chatbots ), des outils d’assistance, de nouvelles formes de conception générative ou d’une technologie qui n’a pas encore été inventée, l’IA offre de nombreux moyens d’accélérer les processus d’ingénierie aérospatiale et d’amener le secteur vers de nouveaux sommets. Jarvis et le holodeck appartiennent peut-être encore à la science-fiction, mais chaque nouveau bond dans la technologie de l’IA les rapproche de la réalité.
Auteurs :
Todd Tuthill, vice-président responsable du secteur Aéronautique et Défense chez Siemens Digital Industries Software.

Barclay Brown, Ph.D., ESEP, directeur associé de la recherche en IA chez Collins Aerospace et responsable du groupe de travail sur les systèmes d’IA à l’INCOSE.