Alain Bravo (Supélec) : « Innover, c’est savoir traduire la demande des citoyens en produits finis »

Le 29/10/2009 à 16:00 par Jacques zzSUEAYGhcIE

Alain Bravo, coordinateur d’un rapport sur les enjeux et perspectives de l’économie numérique, nous présente les conditions pour que la France et l’Europe réussissent leur virage vers les technologies numériques. Vous avez remis à Nathalie Kosciusko-Morizet un rapport sur les enjeux et perspectives de l’économie numérique à l’horizon 2025. A quelles conditions celle-ci sera-t-elle génératrice d’emplois nouveaux, de croissance et de gains de productivité ?

Alain Bravo : L’économie numérique ne prendra son essor en France et en Europe que si l’Etat français et les instances européennes sont décidés à agir pour que soit créé un environnement réglementaire favorable, simultanément sur six axes qui nous paraissent essentiels et que nous détaillons dans le rapport. Eduquer et former afin de permettre à chacun de maîtriser les outils numériques, agir à l’échelle européenne pour construire un marché unique des technologies de l’information et de la communication, mettre en place des politiques publiques d’innovation par des incitations financières et fiscales, renforcer la confiance dans les ou-tils et réseaux numériques, sécuriser les infrastructures, et enfin, déployer les réseaux très haut débit sur une partie significative du territoire. L’une ou l’autre de ces mesures, prise de façon isolée, ne sera pas suffisante, il faudra les mettre en œuvre conjointement. Pour chacune des actions engagées, nous recommandons au gouvernement de s’interroger sur les métiers et les formations nécessaires pour aller vers le succès. La réussite ne pourra intervenir que si les acteurs du numérique, c’est-à-dire les citoyens, s’approprient les outils. Innover, c’est savoir traduire la demande en produits finis. Il faut donc mettre en place une politique d’innovation stimulée par la demande des citoyens.

Quelles seront les innovations essentielles qui changeront ou, du moins, qui modifieront nos modes de vie au cours des prochaines décennies ?

Alain Bravo : Commençons d’abord par l’apport des technologies à l’environnement. On entend beaucoup parler de la nécessité d’utiliser les technologies numériques à des fins de développement durable, mais il ne faut pas oublier que les services numériques sont fortement consommateurs d’énergie. Aussi, pour un bon usage de ces services, il faudra faire en sorte d’aboutir à un bilan énergétique positif. Au niveau individuel, les technologies numériques devront permettre de mieux gérer son temps, son espace, sa santé, de se former tout au long de la vie, mais cela ne sera possible que si les utilisateurs ont confiance dans les nouveaux outils et savent correctement s’en servir. Enfin, au niveau des entreprises, les outils d’optimisation de la production, de la logistique et de la gestion des stocks devront s’adapter à une économie très réactive dans laquelle un minimum de capital devra rester inactif. Les produits devront évoluer dans un marché européen sans coutures, c’est-à-dire avec des règles commerciales qui ne varieront pas lorsqu’ils passeront les frontières. Nous connaissons des exemples de réussites exemplaires en matière d’optimisation de la production telles que celles de Dell, Benetton, Toyota, ou encore Dassault Aviation. La diminution des cycles a par exemple permis de grandes avancées dans l’industrie automobile. Ce sont encore des coups de génie industriels qui permettront de trouver de nouvelles combinaisons et de continuer à progresser.

Que risquons-nous si nous ne réussissons pas cette évolution ?

Alain Bravo : Les grands acteurs s’en tireront en allant ailleurs, c’est-à-dire en désertant la France et l’Europe. Mais ce sera une grande désillusion pour les PME et pour nos concitoyens, et c’est notre société toute entière qui sera pénalisée. Elle sera confrontée à des situations de blocage, tant sur le plan économique que social. Nous risquerons de retarder les démarches de progrès et d’amélioration de la productivité que peut nous procurer l’économie numérique. En revanche, une société qui aura un usage bien maîtrisé et confiant des techno-logies numériques, améliorera la qualité de vie des citoyens et saura répondre aux défis économiques qui se présentent à nous, et entre autres, à celui que pose notre système actuel de santé public. 

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