Couverture ElectroniqueS n°127

Quelques semaines après avoir proposé leur plan de relance des industries high-tech, les membres de la Fien restent très critiques quant à la façon dont leurs activités subissent les contrecoups de la crise financière. Entre tristesse et colère, le président de la Fien (filière des industries électroniques et numériques), Bernard Bismuth, affiche une position très ferme, à juste titre, devant le désolant spectacle des dégâts collatéraux engendrés par des principes de survalorisation basée sur du fictif. En d'autres termes, de faire de l'argent sur de l'argent, d'oublier que l'argent est censé représenter une richesse, un travail, et n'en possède pas de façon intrinsèque. Il y aurait un véritable travail de rééducation à mettre en place pour induire un retour à des bases plus saines, plus proches du monde réel. Emoi donc, quand cela fait à peine trois ou quatre ans que les métiers de l'électronique commencent à se relever du précédent effondrement d'une bulle d'illusoire opulence… Et qu'une autre, bien plus conséquente et révélatrice qu'aucune leçon n'a été tirée depuis, arrive et oblige à serrer des vis déjà en butée… Avec les inévitables ruptures dont on témoigne tous les jours. Ainsi, début avril, on pouvait entendre parler d'une chute de 15 % dans les métiers de l'électronique. Reste qu'aujourd'hui la tendance à la baisse de l'activité semble ralentir, et qu'un simple fait permet de justifier un relatif optimisme : l'électronique se trouve partout dans notre environnement, et cela continuera demain. Cette seule évidence est un des piliers de la démarche de relance du marché de l'industrie électronique et de ses syndicats professionnels. Mais pour éviter d'entrer dans une spirale d'appauvrissement collectif, la filière électronique insiste sur le besoin impérieux d'agir dès à présent sur trois leviers de reconquête. Premier point : relancer à court terme l'activité, maintenir les emplois et les savoir-faire pour ne pas rendre le territoire exsangue de ses potentiels d'innovation et de production de valeur ajoutée. Deuxième point : investir dans les infrastructures productives et les technologies d'avenir pour faciliter le rebond et créer des opportunités dès la sortie de crise. Troisième point : renforcer les moyens de croissance et de productivité des acteurs du high-tech et développer des programmes sociétaux, moteurs de développement de l'export. Ces programmes, une dizaine proposée en première instance, généreraient un retour sur investissement rapide pour l'ensemble du tissu industriel et la société et s'appuieraient sur un fond d'amorçage baptisé « Fivat », en gestion commune entre public et privé, à hauteur d'un milliard d'euros. Parmi ces programmes, nous pouvons citer celui de la télésanté, un sujet auquel, par exemple, les deux géants américains Intel et General Electric ont annoncé il y a quelques semaines un projet d'investissement commun de 250 M$ pour développer ce marché à fort potentiel. Il s'agirait donc de ne pas se mettre en action trop tard…Les emplois qualifiés peu impactésEt il y a des forces sur lesquelles nous appuyer, méconnues faute d'attirer l'intérêt des médias par leurs dimensions plus modestes et moins dramatiques que l'annonce d'une fermeture d'usine et de licenciements massifs. Ainsi, la Fien témoigne du constat de peu de pertes effectives dans les emplois qualifiés. Comment, par quelle opération d'inspiration divine ? Point de miracle : tout simplement par un transfert rapide des salariés dans des structures plus petites de type PME, après avoir été remerciés par leur précédent employeur. D'où l'importance aujourd'hui aussi, de lâcher un peu de lest aux petites activités, de leur permettre de s'étoffer en allégeant la pression des critères sociaux, afin que la France aussi puisse compter sur quelques grosses PME assez solides, ne serait-ce que pour échapper aux rachats qui concluent généralement leurs parcours honorables sur le territoire. Depuis des années même, le constat est à une petite pénurie constante dans ces emplois qualifiés, en moyenne moins touchés par le chômage et généralement mieux rémunérés que dans les autres industries. Cela dit, les professionnels de l'activité électronique maintiennent le signal d'alarme au sujet du vieillissement des gens du métier, et des lacunes de forces vives que ce dernier annonce pour les années à venir. La faute à qui ? La Fien dénonce notamment une image faussée de l'industrie électronique qui serait véhiculée auprès de la jeunesse, y compris au sein même de l'éducation nationale. Pour Bernard Bismuth, « ce qui nous tue, c'est l'idée fausse qu'il n'y a pas d'avenir dans la technique ». L'écart entre la réalité sur le terrain et ce que se représente la jeunesse parait parfois effarant. L'électronicien a pourtant quitté le câblage de cartes à la chaîne depuis plusieurs décennies et l'image de l'ingénieur, homo sapiens electronicus agitant son fer à souder, appartient à une époque révolue. Pas étonnant non plus que la présence de la gente féminine dans cette industrie soit si marginale à ce jour. Et pourtant la réalité des métiers de l'électronique se trouve à des années-lumière de cette caricature et connaît actuellement une nouvelle évolution. Ainsi la profession comptera de moins en moins d'électroniciens au sens actuel du terme, les techniciens très spécialisés devenant des technologues enrichis d'une large panoplie pluridisciplinaire. Les emplois qualifiés convergeront de plus en plus vers des activités de simulation, de mesure, de vérification. Egalement et surtout vers l'innovation, la recherche, la conception à niveaux élevés d'abstraction, tant sur les aspects matériels que logiciels. L'ingénieur électronicien de demain sera autant un gestionnaire de projet, un concepteur au niveau système, qu'un initié aux sciences des nano et microélectroniques, ou encore des matériaux. Cette tendance se fonde sur le besoin croissant d'intégration dans les dispositifs qui nous entourent, qui doivent être de plus en plus riches de fonctionnalités, et de plus en plus fiables : la quadrature du cercle ne se fera qu'avec des individus dotés d'une belle palette de couleurs qui leur permettra d'exprimer leur potentiel créateur. Cette évolution est naturelle et connue de ses acteurs pour cette industrie en adaptation permanente qu'est l'électronique. La formation continue est une nécessité, autant qu'une chance pour qui ne souhaite pas cesser d'en apprendre chaque jour davantage. Mais il est un fait que ce mouvement continu s'accompagne aussi d'une migration géographique que le futur ingénieur ou technicien doit intégrer à son mode de vie. Loin des mains dans le cambouis, sans être non plus un espace d'expression du génie humain dénué de contraintes, l'industrie électronique devrait tout de même pouvoir bénéficier d'une image un peu plus réaliste et moins dévalorisante que celle qui fait que les filières de formation de ces métiers connaissent aussi une crise durable. L'électronique et le numérique « made in France » sont depuis des années un des fers de lance de la valeur ajoutée produite sur notre territoire et en Europe. Et nos syndicats professionnels s'en mordent les doigts de devoir réclamer le soutien des pouvoirs publics, alors que la nécessité d'investir dans le high-tech devrait être implicite pour nos dirigeants. Heureusement, il n'y a pas loin à regarder pour miser sur un peu d'optimisme. Outre-Rhin par exemple, le gouvernement allemand n'a pas eu à réfléchir longtemps avant de mettre en place un plan de relance des activités électroniques et numériques, à hauteur de 500 M d'euros, voilà quelques semaines. Gageons que le nôtre saura saisir l'urgence et l'importance de parier sur l'avenir de l'électronique française.

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