Couverture ElectroniqueS n°127

Linux et Eclipse sont devenus, en l'espace de cinq ans, incontournables dans le petit monde des systèmes embarqués, modifiant radicalement les stratégies des principaux éditeurs d'OS enfouis. Linux a restructuré le marché des OS enfouis Il est des annonces qui font figure de symboles. Lorsque Wind River révéla à la fin 2003 ses ralliements à la fondation Eclipse et à l'OSDL (Open Source Development Lab), un prescripteur de spécifications Linux, les observateurs du marché de l'électronique embarquée comprirent que le logiciel libre (ou Open Source *) n'était plus un simple épiphénomène dans le monde de l'enfoui. Jusqu'alors fermement agrippé à ses deux produits phares « propriétaires » (VxWorks et Tornado), le numéro un des systèmes d'exploitation temps réel tournait en effet une page de son histoire en s'engageant, sans états d'âme, derrière Linux et Eclipse, les deux projets Open Source majeurs intéressant l'embarqué. Un engagement qui se confirmait dès l'année suivante par les annonces d'une première plate-forme logicielle préintégrée basée sur l'OS libre et de la première version d'un environnement de développement intégré fondé sur Eclipse. Trois ans après, Wind River réalise désormais plus de 10 % de son chiffre d'affaires annuel avec Linux ! La volte-face de 2003 a donc payé. Il faut dire qu'aujourd'hui, selon le cabinet d'analystes VDC, le marché des distributions Linux dédiées à l'embarqué progresse de plus de 20 % par an, alors que celui des OS enfouis traditionnels n'augmente que de 12 % à 13 %. On comprend mieux pourquoi la majorité des éditeurs d'OS temps réel historiques ont adapté leurs stratégies en conséquence… Dès la fin des années 90 En réalité, l'OS libre s'était invité bien avant 2003 dans le petit monde de l'enfoui. De fait, un certain nombre de constructeurs de matériels d'électronique grand public et de jeunes équipementiers télécoms et réseaux avaient succombé dès la fin des années 1990 aux charmes du modèle de distribution Open Source auquel obéit Linux. La gratuité du code source, la possibilité de modifier ce code à volonté (dès lors que les modifications sont remises dans le domaine public), l'accès aisé aux évolutions, aux corrections et aux mises à jour apportées par la vaste communauté Linux, la disponibilité d'un large éventail d'applicatifs, de pilotes ou de protocoles conçus pour cet OS… tous ces arguments, qui restent valables aujourd'hui, les avaient déjà séduits. C'est d'ailleurs à cette même époque qu'émergèrent les premiers éditeurs spécialisés dans la fourniture et le support de distributions Linux adaptées aux contraintes de l'embarqué, en particulier au niveau de l'encombrement mémoire, des caractéristiques temps réel et/ou de leur disponibilité sur de nombreuses architectures de processeurs. Fondé par Jim Ready, l'un des pionniers du marché des OS temps réel, MontaVista Software a ainsi lancé en 1999 l'une des toutes premières déclinaisons enfouies de l'OS libre sous le nom de Hard Hat Linux. Rebaptisé MontaVista Linux et désormais décliné en trois moutures différentes – une édition générique (Professional), une édition pour équipements d'infrastructure télécoms (Carrier Grade) et une édition pour terminaux mobiles (Mobilinux) –, ce logiciel va connaître en 2007 sa cinquième version majeure, alors que l'éditeur a réussi fin 2006 à lever encore plus de vingt millions de dollars pour continuer à financer ses activités ! De ce côté-ci de l'Atlantique, c'est aussi à la fin des années 1990 que la firme allemande Sysgo a lancé ELinOS, la première distribution Linux enfouie commerciale « made in Europe ». « L'Allemagne a suivi de peu les Etats-Unis au regard de l'adoption de Linux, notamment dans les domaines du contrôle de process industriel et des télécoms », précise Bruno Privat, directeur des ventes Europe du Sud de Sysgo. Les grands équipementiers télécoms furent en effet les premiers à véritablement s'emballer à grande échelle pour Linux. Et cet engouement a largement contribué à ce que Wind River décide de proposer sa propre distribution Linux embarquée aux côtés de VxWorks. Wind River ne fut pas, néanmoins, le premier éditeur d'OS temps réel à agir ainsi. D'une manière particulièrement opportuniste, Lynx Real-Time Systems, l'éditeur de LynxOS, l'avait précédé en livrant courant 2000 la première version de son BlueCat Linux. D'ailleurs, cette même année, l'Américain n'hésitait pas à se débaptiser pour prendre le nom de… LynuxWorks. Les grands équipementiers télécoms séduits par l'OS libre L'engouement des grands équipementiers télécoms pour Linux s'était en fait cristallisé dès janvier 2002 par la création du groupe de travail « Carrier Grade Linux » (CGL) au sein de l'OSDL. Initié par Alcatel, Cisco, Ericsson, Fujitsu et Nokia et toujours en activité (la version 3.2 des spécifications CGL date de 2006), ce groupe a défini les caractéristiques et les fonctionnalités dont doivent disposer les Linux de « classe opérateur » en termes de haute disponibilité, de sécurité ou de services proposés. « Il y a trois raisons principales qui expliquent le formidable intérêt du monde des télécoms pour l'OS libre, détaille Stéphane Deruelle, directeur Europe du Sud de Wind River. Linux garantit une indépendance vis-à-vis des éditeurs d'OS enfouis, offre une ouverture vers une multitude de logiciels tiers et entre en phase avec leur stratégie de standardisation. » De fait, les équipementiers télécoms cherchent aujourd'hui à bâtir des plates-formes à partir d'un maximum de briques de base disponibles sur étagère, que celles-ci soient matérielles (d'où le succès de standards comme AdvancedTCA ou MicroTCA, voir EI n° 628) ou logicielles comme Linux. Un objectif qui s'est concrétisé début 2006 par la création de l'alliance Scope, alliance qui réunit des sociétés comme Alcatel-Lucent, Ericsson, Huawei, Motorola, Nec, Nokia, Siemens ou Samsung et qui publie des « profils » facilitant l'usage de telles briques de base. Ce dernier organisme vient de publier la version 1.1 de son profil Carrier Grade Linux qui s'aligne sur les spécifications CGL 3.2 de l'OSDL. Face à ce mouvement de fond, les éditeurs d'OS temps réel très présents sur le marché des infrastructures télécoms ne pouvaient donc rester les bras croisés. Wind River, qui réalise aujourd'hui 36 % de ses activités sur ce seul créneau (ce pourcentage avoisinait les 50 % il y a quelques années), commercialise ainsi depuis début 2005 une plate-forme logicielle préintégrée basée sur Linux et adaptée à ce type d'équipements (Platform for Network Equipment, Linux Edition). L'éditeur a en outre doté VxWorks du protocole Open Source de communication par passage de messages TIPC afin de faciliter les échanges entre process VxWorks et process Linux lorsque les deux OS se côtoient dans un même châssis. Ce qui est souvent la règle dans les équipements télécoms, où l'OS libre, inadapté aux contraintes du temps réel dur, doit coexister avec de véritables exécutifs temps réel. C'est cette réalité qui a également poussé le Suédois Enea, dont l'OS temps réel OSE est bien implanté sur le marché télécoms, à s'associer à des éditeurs de Linux embarqués. Un temps proche de Metrowerks, qui avait acquis l'un des pionniers des distributions Linux pour l'enfoui (Lineo) mais qui fut, par la suite, racheté et dilué au sein de Freescale, Enea a ainsi annoncé en 2006 un accord avec MontaVista. Aussi le Suédois propose-t-il depuis quelques mois, sous le nom de Nasp (Network Application Services Platform), une plate-forme logicielle préintégrée dédiée aux équipements pour infrastructures de réseaux télécoms. Celle-ci associe le Linux de MontaVista aux OS temps réel OSE ou OSEck, à l'intergiciel de haute disponibilité Element, à la base de données tolérante aux pannes Polyhedra et aux outils de développement Eclipse d'Enea. Microsoft : Shared Source contre Open Source Linux, toutefois, est loin de se cantonner aux seuls équipements télécoms. Les constructeurs OEM et ODM* de produits d'électronique grand public (équipements télématiques pour l'automobile compris) se sont, eux aussi, rapidement convertis aux vertus de l'OS libre, notamment en Asie, où l'intérêt pour Linux est particulièrement fort (NTT DoCoMo, Panasonic, Samsung, Sony, Toshiba et Yamaha sont présents au capital de MontaVista… c'est tout dire). L'évolution du marché des téléphones mobiles est, à cet égard, particulièrement significatif. Alors que le premier téléphone mobile basé sur l'OS libre n'a été lancé qu'en 2003, Linux est, aujourd'hui, considéré comme le concurrent direct de Symbian OS et de Windows Mobile sur le créneau des systèmes d'exploitation « ouverts » pour smartphones (voir EI n° 623). MontaVista et Wind River ont d'ailleurs, désormais, une offre adaptée, baptisée respectivement Mobilinux et Wind River Platform for Consumer Devices, Linux Edition. On voit par ailleurs se multiplier les plates-formes logicielles préintégrées pour terminaux mobiles basés sur Linux. Sans viser à l'exhaustivité, citons les offres du Japonais Access/PalmSource (Access Linux Platform), du Norvégien Trolltech (Qtopia Greensuite), de la jeune pousse californienne A la Mobile (Convergent Linux Platform) ou du mouvement Open Source OpenMoKo. Mais l'OS libre a maintenant un nouvel objectif : percer sur le marché de volume des téléphones de milieu de gamme, ou feature phones *. Un objectif que Linux pourrait rapidement atteindre grâce aux techniques de virtualisation (voir encadré page 22). Et Microsoft dans tout ça ? L'éditeur de Windows, qui a longtemps voué aux gémonies le terme même d'Open Source, a quand même été obligé de s'adapter à la nouvelle donne. Il a ainsi mis en place la politique du « Shared Source » qui permet aux licenciés de Windows CE d'accéder au code source, de le modifier, voire de le redistribuer sans en référer à la firme de Bill Gates. Avec Windows Embedded CE 6.0, annoncé le 1er novembre dernier (voir EI n° 634), Microsoft a en pratique rendu accessible 70 % de son système d'exploitation, dont l'intégralité du noyau, soit plus de 3,9 millions de lignes de code ! * CF Lexique page 44 La virtualisation va épauler l'os libre dans ses conquêtes Les technologies de virtualisation consistent à faire tourner simultanément deux OS embarqués (voire plus) sur un même processeur. Elles permettent notamment aux concepteurs de systèmes embarqués de porter Linux sur leurs designs, tout en conservant leurs couches logicielles « maison » (un OS temps réel, propriétaire ou non, avec les intergiciels et applications associés par exemple). Avec la virtualisation, il est aussi possible d'isoler les différents environnements logiciels les uns des autres et de leur attribuer, à chacun, un niveau de sécurisation différent. Les marchés de la téléphonie mobile, de l'électronique grand public et des terminaux de paiement sont particulièrement séduits par les technologies de virtualisation, telles que celles fournies par des sociétés comme Trango, VirtualLogix, FSMLabs ou Sysgo ou par des communautés Open Source (comme L4). L'industriel, l'avionique et la défense s'intéressent également à Linux. Pour que les contraintes de déterminisme, de protection et de certification rencontrées sur ces secteurs soient respectées, plusieurs éditeurs ont développé des approches s'appuyant sur des mécanismes de virtualisation et de partitions spatiale et temporelle et permettant à Linux d'être associé à des applications critiques. Exemple : PikeOS de Sysgo, LynxSecure de LynuxWorks ou Integrity PC de Green Hills.

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