Couverture ElectroniqueS n°127

Ce qui se passe en Bourse a de plus en plus de répercussions sur le comportement des sociétés cotées. Le pessimisme boursier actuel se traduit ainsi par une anormale prudence d'action de leur part. Selon Benoît Flamant, directeur général d'IT Asset Management, société de gestion de portefeuilles, les investisseurs sont toutefois presque prêts à voir notre secteur sous un angle plus favorable. 2004 a-t-elle été sur une bonne année pour les investisseurs boursiers dans les technologies de l'information ? Malgré un rebond de fin d'année, les valeurs technologiques ont terminé 2004 en retrait des autres marchés actions. L'indice le plus représentatif de notre secteur, le MSCI IT, n'a progressé que de 2 %. Et encore est-il calculé en dollars ! Le semi-conducteur a même terminé l'année dans le rouge. Les indices SOX et SMH (en dollars US) ont baissé de 14,7 % et 19,6 %. Et que dit le consensus pour 2005 ? Un indice MSCI IT qui se situait fin 2004 à 67 % de son plus haut de mars 2000 donne à penser que l'industrie des technologies de l'information a encore un genou à terre, incapable de récupérer de la crise de 2001-2002. N'entend-on pas fréquemment :“ il n'y a plus de killer applications ”, “ la pression sur les prix est forte ”, “ le cycle haussier du semiconducteur est terminé ”… ?Larry Ellison, le président d'Oracle, semble confirmer cette vision lorsqu'il affirme : « Un grand nombre de sociétés de la Silicon Valley va disparaître ; je pense que mon industrie est déflationniste et que les prix vont baisser ; je ne crois pas qu'il y aura un redressement. C'est fini. La Silicon Valley telle que nous la connaissons est morte. » Normalement, les investisseurs font confiance à ceux-là même qui dirigent l'industrie. Il leur est donc difficile de ne pas être pessimistes. Et vous-même, lorsque vous examinez la situation dans le détail, que déduisez-vous ? Prenons les dix premières sociétés de l'indice MSCI IT : Canon, Cisco, Dell, HPCompaq, IBM, Intel, Microsoft, Nokia, Oracle et Qualcomm et regardons quatre indicateurs financiers : le chiffre d'affaires 2004 versus 2000, la marge d'exploitation 2004 comparée à celle de 2000, la position “ liquidités nettes ” et le ratio free cash-flow sur ventes. Les ventes : on s'attend pour 2004 à un niveau de ventes inférieur à celui de 2000, l'année du haut de cycle. Et pourtant, les ventes ont progressé de 28 % sur la période. Bien évidemment, l'échantillon comprend des sociétés en retrait, telles que Nokia, dont les ventes ont chuté de 6 % sur la période, et des sociétés en forte progression, comme Qualcomm, dont les vente sont progressé de 53 %. La marge d'exploitation : autre surprise. La marge 2004 est revenue au niveau de 2000, année pourtant en tous points exceptionnelle. Le bilan : la position “ liquidités nettes ” des huit sociétés américaines a progressé de 133 % pour atteindre 14 Md de $. Celle de Canon et de Nokia a triplé. Le ratio free cash-flow sur ventes : il était de 17 % en moyenne en 2000 ; il est de 21,5 % en 2004. Ces chiffres, pourtant pris par rapport au haut de cycle de 2000, montrent bien que la crise industrielle est à relativiser. Les marchés financiers ont corrigé les valorisations absurdes de l'an 2000 puis ont été ébranlés par la succession de scandales financiers venant d'Enron, Worldcom, Parmalat,… Mais reconnaissons que les facteurs négatifs sont derrière nous. Le cas d'Oracle est révélateur. Ses ventes sont en baisse de 1 % par rapport à 2000, plaçant la société en avant-dernière position de l'échantillon. Elle est en revanche très bien gérée puisque sa marge d'exploitation a progressé de 34 % à 40 % tandis que la position “ liquidités nettes ” est passée de 6 Md de $ à 9 Md de $. Le ratio free cash-flow sur ventes est passé de 17 % à 29 %. Une société en panne de croissance mais très profitable et regorgeant de cash qui cherche à faire des acquisitions, quoi de plus normal ? Prendre les paroles de Larry Ellison pour argent comptant est donc risqué. Le semiconducteur, industrie cyclique par nature, a connu une crise majeure puisque les ventes mondiales ont baissé de 46 % entre octobre 2000, le plus haut, et janvier 2002, le plus bas. Et pourtant, le niveau de marché mensuel symbolique de 19 Md de $ d'octobre 2000 a été retrouvé en octobre 2004 (source : SIA). La rentabilité d'une grande partie des sociétés (Analog Devices, Altera, Samsung Electronics, Texas Instruments, TSMC) est comparable à celle de l'année 2000, un facteur passé inaperçu car Intel, le leader, ST Microelectronics et Infineon – les références (minées par le taux du dollar) pour les Européens – sont en retard de ce point de vue. Normalement, la Bourse “ anticipe ” la conjoncture à venir. Si les cours sont si bas, cela devrait vouloir dire que le pire est devant nous ? Un marché financier est une somme d'individus qui, collectivement, anticipent effectivement une tendance future. La très bonne année 2003 pour les valeurs technologiques avait d'ailleurs anticipé la solide croissance de 2004. Mais si les marchés étaient toujours efficients, comment expliquer la bulle boursière de 1999-2000 ? Il faut bien admettre que l'actuelle aversion au risque n'est que le miroir des années 1999 et 2000. A l'opposé de la théorie des marchés efficients, la finance comportement a le dit qu'il peut y avoir des exagérations, à la hausse comme à la baisse, compte tenu d'un réel effet moutonnier. Pour mesurer ce côté psychologique envers les valeurs technologiques, regardons le Dow Jones entre 1929 et 1935 puis sa chute entre les plus haut et plus bas : – 89 %. C'est proche de celle du MSCI IT entre mars 2000 et octobre 2002 : – 83 %. La corrélation est saisissante. Fin 1934, le Dow Jones était encore de 68 % plus bas que son plus haut de 1929. Fin 2004, le MSCI IT est à 67 % de son plus haut de mars 2000. Les deux indices ont fortement rebondi, en 1933 et 2003 respectivement. Mais les années suivantes, 1934 et 2004, ont été chahutées avec une baisse de 22 % pour le Dow Joneset 23 % pour le MSCI IT entre le plus haut de l'année et le plus bas. Une corrélation quasiment parfaite entre ces deux indices. Qu'y a-t-il de commun entre l'économie américaine du début des années 1930 et les valeurs technologiques en 2003 et 2004 ? Rien… sauf que, dans les deux cas, nous sortons d'un krach boursier d'ampleur similaire. Cette corrélation nous oblige à considérer que, fin 2004, le facteur psychologique vis-à-vis des valeurs technologiques est particulièrement fort. Quelles leçons en tirer ? Les investisseurs devraient selon nous avoir quelques règles simples en tête pour 2005 : – Même si elles sont très douloureuses, les chutes de marché sont souvent de très belles opportunités d'investissement. – Plus forte est la chute, plus long est le temps de cicatrisation. – Plus forte est la chute, plus forte est la distorsion qui fait qu'à l'instar de 2000, où l'appât du gain a dominé, nous essayons de créer des explications rationnelles pour ne pas avoir à parler de peur. – En bas de cycle comme en haut de cycle, le court terme domine et occulte les vrais changements de tendance. Autrement dit, le risque de commettre des erreurs d'allocation d'actifs est aussi grand en bas qu'en haut de cycle. Un investisseur achetant le Dow Jones fin 1934 aurait fait une performance de + 73 % fin 1936. Si l'on vous suit, l'année 2005 devrait être en Bourse une bonne année pour les valeurs technologiques ? Effectivement, nous pensons que, cinq années après le krach, les valeurs technologiques et les valeurs de croissance devraient être reconsidérées par le marché. Fin 2005, il est probable qu'on considérera que 2004 aura marqué le pic de l'aversion au risque et que c'était le bon timing pour un rééquilibrage de l'allocation d'actifs au profit des valeurs technologiques. L'industrie des technologies de l'information est sortie de la crise. Différente, mais plus forte et en meilleure santé. Elle regorge de valeurs de croissance. La consolidation est une nécessité pour certaines sociétés qui ont beaucoup de liquidités, les reins solides mais des problèmes de croissance organique. Il y a beaucoup de cibles potentielles, des sociétés de qualité, peu chères. Un fort cash-flow, un programme de rachat d'actions, l'augmentation des dividendes ne satisfont qu'un temps les actionnaires. Rapidement, ils veulent plus. Les investisseurs sont maintenant prêts à accepter des annonces d'acquisitions audacieuses venant des sociétés qu'ils possèdent. Les mouvements de fusion et acquisition étant cycliques par nature, l'effet d'entraînement risque d'être fort. Aussi le mouvement entamé fin 2004 dans les secteurs informatiques et télécoms pourrait-il se prolonger, voire s'amplifier, en 2005.

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