Couverture ElectroniqueS n°127

Le dépôt de bilan du fabricant allemand d'électronique grand public est le dernier épisode en date d'une histoire tourmentée. Il ne reste aujourd'hui qu'une seule question : Grundig survivra-t-il et sous quelle forme ? Quatorze avril 2003 : Grundig dépose le bilan. Une démarche attendue après la multiplication des difficultés du fabricant allemand d'électronique grand public et, surtout, l'échec successif des négociations de dernière heure, en particulier avec le Taïwanais Sampo et le Turc Beko, en vue d'une reprise majoritaire. Grundig “souffre” en effet de manière chronique depuis une vingtaine d'années. Mais la firme installée près de Nuremberg, a pourtant réussi à maintes reprises à survivre avec des solutions ingénieuses, souvent encouragées, voire initiées, par le ministère de l'Industrie de l'Etat fédéral de Bavière. Ses maux sont multiples : méconnaissance du danger représenté par la concurrence asiatique dans un premier temps, trop petit pour le marché mondial mais trop gros pour le marché allemand, voire européen, décisions tardives quant à l'arrêt de développements et de productions non rentables, diversifications ratées, notamment dans la téléphonie, etc. Cela a toutefois empiré ces dernières années. Et la recherche, entamée en 2000, d'un investisseur financier puissant pour soutenir l'actionnaire majoritaire Anton Kathrein n'a pas été couronnée de succès. La semaine dernière, les banques ont définitivement stoppé les lignes de crédit. L'Etat fédéral de Bavière jette l'éponge : « Nous ne pouvons plus nous porter caution pour les crédits, ce serait contraire aux lois de l'Union européenne, nous a précisé une porte-parole du ministère de l'Industrie à Munich. Le dépôt de bilan ouvre désormais de nouvelles possibilités », s'empresse-t-elle d'ajouter. Autrement dit, les négociations pourront porter sur la vente des parties les plus lucratives, comme la R&D en Allemagne, la production d'autoradios au Portugal ou encore la fabrication d'accessoires pour la communication par satellites en Grande-Bretagne. Sauf miracle, il ne restera bientôt plus de Grundig que la marque… et le souvenir d'une épopée. Les origines de Grundig remontent à 1930, quand Max Grundig fonde, sous le nom de RVF, Grundig & Wurtzer, un atelier de fabrication de radios, avec un compatriote. En 1945, cette entreprise reprend du service pour lancer, l'année suivante, la première radio à monter en kit sur le marché allemand, puis change de nom en 1948 pour s'appeler simplement Grundig. La production de récepteurs TV démarre en 1952. Visionnaire, Max Grundig lance sa firme dans les innovations dès le milieu des années 1970, par exemple avec les premières télécommandes pour récepteurs TV (d'abord à infrarouge puis à ultrasons) ou encore les récepteurs de très grande taille (le premier modèle s'appelle Monolith !), jusqu'à la télévision numérique puis haute définition en coopération avec le fabricant de composants électroniques ITT Semiconductors. Son année de gloire sera 1978, avec un CA de 3 milliards de deutschemarks (environ 1,5 milliard d'euros) pour quelque 38 000 employés et 30 usines en Allemagne et à l'étranger. Par comparaison, Grundig a publié un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros pour un effectif total de 3500 personnes, et 150 millions d'euros de pertes pour l'exercice 2001. Max Grundig décèle-t-il à la fin des années 1970 les signes avant-coureurs de futures difficultés ? Il cherche en tout cas des solutions pour assurer la pérennité de son entreprise, et transforme notamment Grundig en une société à actionnaires détenue par une fondation, à l'instar de Robert Bosch. La stratégie de Max Grundig, qui préconise un regroupement entre fabricants européens d'électronique grand public, est suivie d'effet avec, en 1979, l'entrée de Philips au capital. L'année suivante, la firme publie ses premières pertes. Or, le contrat accepté par Philips fin des années 80 prévoit la prise en charge par le Hollandais des pertes dans leur totalité ainsi qu'un paiement annuel de 45 millions de marks de dividendes à la fondation son objectif est « d'assurer le bien-être de la famille Grundig » ! , que la firme fasse des bénéfices ou non. Une page se tourne. Depuis lors, le parcours du fabricant allemand d'électronique grand public va ressembler à une lente descente aux enfers. Les intérêts de Philips et de Grundig divergent : aucune stratégie n'est clairement formée. Les synergies prévues par les deux firmes ne se concrétisent pas. En matière d'innovations, les investissements sont insuffisants. La concentration sur les téléviseurs et les magnétoscopes s'avère fatale. Après plusieurs années de pertes, dont notamment plus de 200 millions d'euros pour le seul exercice 1996, l'arrivée de Cor Boonstra à la tête de Philips en 1997 signe le désengagement définitif de la firme hollandaise. Un consortium bancaire reprend les parts de Philips, puis arrive un investisseur industriel en la personne d'Anton Kathrein. « Grundig a retrouvé une bonne base pour continuer son développement », se réjouissent alors de concert Otto Wiesheu, le ministre bavarois de l'Industrie, et Burkhard Wollschläger, le président du directoire de Grundig. Depuis, les plans de restructurations se succèdent. Une firme restructurée à mort ? « En fait de restructuration, la firme a été assainie à mort », tempête aujourd'hui Werner Neugebauer, chef du syndicat IG Metal en Bavière. « Il ne sert à rien de chercher les responsables de la débâcle, nous devons concentrer nos efforts pour trouver des solutions d'avenir, même si cela apparaît plus difficile que prévu », rétorque Otto Wiesheu. Toutefois, de sources proches du dossier, il semblerait que le ministère attende plutôt qu'un investisseur “ sérieux ” se manifeste, pour ensuite apporter un petit coup de pouce si nécessaire. En fait, selon Eberhard Braun, arrivé à la tête du directoire il y a deux semaines, une relance des négociations serait prévue aussi bien avec Beko qu'avec Sampo. Beko dément formellement. « Nous n'avons plus aucun contact avec Grundig », nous déclare une porte-parole de Beko en Turquie. Côté Sampo : silence radio. Selon un journal chinois, le groupe de Taïwan aurait toutefois rendu les banques responsables de l'échec des négociations pour la reprise majoritaire de Grundig et donc rentrouvert la porte des négociations. Car, si les dettes de Grundig et le coûteux fonds de pension de 220 millions d'euros pour 14000 anciens salariés constituaient jusqu'ici les principaux handicaps à un rachat, ces clauses ont disparu avec le dépôt de bilan. La marque et l'important réseau de partenaires distributeurs devraient cependant attirer les convoitises pour des groupes qui, comme Sampo, sont peu implantés en Occident. Mais comment un investisseur taïwanais ou turc réussirait-il là où les dirigeants passés de Grundig ne sont pas parvenus : remettre à flot, rentabiliser, diversifier et pérenniser une entreprise européenne d'électronique grand public ? Et, in fine, est-il encore possible de prétendre avoir une place sur l'échiquier mondial avec une production exclusivement européenne ? Les grandes dates de l'histoire de Grundig 1930: création de la société RVF (fabrication de radios) par Max Grundig 1946: lancement du kit radio “Heinzelmann” 1952: production de récepteurs TV 1978: 38000 employés pour un CA de 3 milliards de deutschemarks 1979: Philips entre à hauteur de 25 % au capital de Grundig 1980: Grundig fait ses premières pertes 1984: Philips augmente sa participation et prend la direction industrielle 1990: Philips prend le contrôle de Grundig 1995: Grundig est au bord du dépôt de bilan (11000 employés) 1997: désengagement de Philips après plusieurs années de pertes 1997: reprise de Grundig par un consortium bancaire après moult négociations avec le ministère bavarois de l'Industrie, puis arrivée au capital d'Anton Kathrein, fondateur et p-dg du fabricant de récepteurs satellites Kathrein 2000: Anton Kathrein augmente sa participation à 89% et prend la direction industrielle Depuis 2000: recherche d'un investisseur, industriel ou financier.

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