Couverture ElectroniqueS n°127

Nouveaux rois de l'imagerie numérique, les capteurs d'images Cmos de haute définition (cinq millions de pixels et au-delà) envahissent désormais de nombreuses applications, y compris dans les secteurs industriels et automobiles. A près avoir détrôné les capteurs d'images CCD des appareils photo numériques, les imageurs Cmos ont envahi nos téléphones portables (d'abord en face arrière, puis en face avant avec l'avènement des selfies) et gagnent aujourd'hui du terrain dans d'autres applications comme l'inspection industrielle, l'authentification ou encore l'automobile. Plus compacts et simples à utiliser, ils présentent en outre l'avantage de pouvoir combiner sur une puce (ou, désormais, un empilement de puces) la partie capteur proprement dite et un traitement du signal de plus en plus sophistiqué. Surtout, ils ont su relever le challenge de la qualité d'image, jusqu'à pénétrer le saint des saints, à savoir les appareils photo reflex. Selon une étude de la société d'ana-lyse IC Insights, les ventes mondiales d'imageurs Cmos ont atteint 8,8 milliards de dollars l'an passé et devraient grimper à 15Md$ d'ici 2019. En 2014, Sony ne représentait pas moins de 32 % de ce marché, loin devant OmniVision (16 %) et Samsung (14 %). Et le rachat en cours par Sony des imageurs de Toshiba devrait encore accentuer la mainmise du japonais sur ce secteur, alors que l'américain OmniVision passe sous pavillon chinois. Parmi les autres fournisseurs de capteurs Cmos figurent des asiatiques plutôt concentrés sur l'entrée de gamme (Himax, Galaxycore, Siliconfile), des fabricants d'imageurs réservant leur production à leurs propres appareils comme Canon, des sociétés spécialisées dans la production de modules photo complets avec optique intégrée (Sharp) ou encore des vendeurs orientés en priorité vers les marchés de l'automobile, de l'industrie ou de l'imagerie scientifique et professionnelle (ON Semiconductor, Cmosis racheté récemment par l'autrichien ams, e2v Technologies…). Le RX100 de Sony est l'un des tout premiers appareils photo ultracompacts équipés d'un imageur Cmos 1 pouce. Pour atteindre ces niveaux de vente, les fabricants ont su innover en permanence au cours des vingt dernières années. Le premier challenge a consisté à diminuer la taille des photosites afin d'augmenter la définition des imageurs tout en maintenant des tailles de puces – et donc des prix de vente – raisonnables. Les pixels des imageurs Cmos ont ainsi rapetissé jusqu'à tutoyer aujourd'hui la barre du micron, qui reste une limite « naturelle» en deçà de laquelle le nombre de charges induites par effet photoélectrique au sein du substrat tend à devenir trop faible pour obtenir un rapport signal sur bruit satisfaisant. On remarque d'ailleurs que ce sont les modèles destinés aux smartphones qui exploitent des photosites de 1,1 à 1,2 µm de côté; ceux qui visent la photographie numérique haut de gamme ou l'inspection visuelle ont encore souvent recours à des pixels bien plus gros, jusqu'à 5 ou 6 µm de côté. Les architectures BSI se généralisent rapidement Encore faut-il parvenir à réduire les défauts inhérents aux imageurs Cmos, essentiellement en termes de qualité d'images, c'est-à-dire de bruit. Ceux-ci y sont en effet davantage sensibles que leurs équivalents CCD, car chaque pixel y est associé à un amplificateur, une mémoire et un commutateur, tous générateurs de bruit. Et lorsqu'il s'agit de regrouper dix ou vingt millions de ces photosites sur une puce commercialement destinée au grand public, donc avec des photosites à la taille très réduite, le problème n'en est que plus épineux. La réponse qui se généralise doucement à toute l'industrie consiste à illuminer le capteur par la face arrière afin d'augmenter le nombre de photons reçus par chaque pixel. Rappelons que dans un imageur classique de type FSI ( Front-Side Illumination ), ces photons, focalisés par les micro-lentilles et triés par le filtre couleur surplombant la puce, doivent encore se frayer un chemin à travers les couches de silicium dévolues au traitement électronique (transistors, couches de métallisation, etc.) avant de toucher enfin au but, c'est-à-dire à la surface sensible, d'où des pertes non négligeables. Au contraire, dans un capteur à architecture BSI ( Back-Side Illumination ), les électrons transitent par le substrat et s'évitent donc ces pérégrinations perturbatrices. Grosso modo, une telle architecture BSI appliquée à des pixels de 1,4µm de côté s'avère autant sinon plus sensible que les modèles FSI embarquant des pixels de 1,75 µm de côté. Qui plus est, d'autres avantages peuvent être obtenus par ce biais. En évitant les réflexions de rayons incidents, le procédé BSI diminue également le cross-talk (photons égarés sur les pixels voisins du pixel de destination) et offre une ouverture supérieure, donc une capture d'image en grand angle et la possibilité d'utiliser des modules optiques moins épais. Enfin, puisque les couches de métallisation ne sont plus gênantes pour les rayons lumineux, il devient possible d'augmenter le nombre de ces interconnexions –et donc de réduire la taille de la puce – sans dégradation de la qualité d'image. Une plus grande souplesse sur les couches de métallisation permet également de mettre en œuvre quelques astuces de layout du circuit pour renforcer l'intégrité des signaux (couplement de lignes, ajout de plans de masse, etc.). Seul inconvé-nient de la technologie BSI : elle impose de maîtriser la fabrication sur des substrats très fins, ce qui a longtemps limité son déploiement en dehors de quelques applications scientifiques ou industrielles – une difficulté désormais surmontée par les fondeurs et les fabricants. Samsung tente de rattraper son retard sur Sony, notamment avec sa technologie Isocell, mais utilise encore les imageurs du fabricant japonais dans certains de ses smartphones. < OmniVision, l'un des principaux fournisseurs d'imageurs Cmos, est en train de se faire racheter par un consortium chinois. Empiler l'imageur et le processeur de traitement du signal Dans l'évolution des imageurs Cmos, l'étape suivante, après le BSI, concerne l'avènement des capteurs à puces empilées, technologie initiée par le leader du secteur, Sony (et reprise depuis par d'autres, comme OmniVision sous la dénomination PureCel Plus-S). Le japonais veut en effet aller plus loin que le BSI pour concilier les deux éléments antagonistes d'un imageur Cmos, à savoir la surface photosensible « utile » et les blocs d'acheminement et de traitement du signal. « Même dans une structure à illumination par l'arrière, les procédés de fabrication des pixels d'une part et des blocs de traitement du signal d'autre part demeurent aussi irréconciliables que l'eau et l'huile », explique-t-on chez Sony. Par exemple, des guides d'ondes optiques permettent d'augmenter la quantité de photons collectés par les photodiodes, mais la fabrication de ces guides d'ondes endommage la structure cristalline du silicium qui doit alors subir un traitement à chaud faisant varier les paramètres des transistors. De même, l'ajout de filtres couleurs et de microlentilles améliore le rendement des sites photosensibles de l'imageur, mais induit un certain nombre d'étapes de fabrication, des étapes sans utilité pour le circuit de traitement du signal. Enfin, l'utilisation d'un seul et même process de fabrication (65nm chez Sony) pour la partie capteur et la partie traitement du signal oblige à des compromis qui ne sont pas toujours satisfaisants. Prochaine étape, les imageurs incurvés? La solution de Sony est, sur le papier, simple: séparer le capteur proprement dit du traitement du signal en adoptant une structure à deux puces empilées ( stacked ). Dès lors, le fabricant est libre d'utiliser deux puces, chacune étant optimisée pour sa tâche: d'un côté, un « pur » capteur Cmos qui, débarrassé notamment de ses registres, peut voir sa taille réduite de 20 % à définition égale; de l'autre, un circuit de traitement du signal pouvant être fabriqué en technologie Cmos 45nm ou moins et, donc, contenir dans le même espace un DSP de traitement du signal bien plus performant et/ou moins gourmand en énergie. A titre d'exemple, les imageurs fournis par Sony à Apple pour les iPhone 6/6+ sont constitués d'une puce photosensible fabriquée directement par Sony en 90nm et empilée sur un proces-seur produit, lui, par le fondeur taïwanais TSMC en 40nm. Cette approche offre en outre une plus grande souplesse d'utilisation vis-à-vis du client, qui est libre de personnaliser le traitement du signal et la propriété intellectuelle embarquée dans le circuit intégré. Cette architecture à puces empilées de Sony repose notamment sur les technologies ZiBond et DBI de l'américain Ziptronix, dont Sony a acquis la licence en août 2011, et qui permettent précisément de connecter à basse température les différents éléments constitutifs d'un imageur avec la précision requise. Et l'imagination de Sony ne s'arrête pas là, le japonais planchant sur le lancement d'imageurs Cmos BSI incurvés. De tels imageurs permettraient en théorie de s'affranchir de l'aberration causée par la diffraction intrinsèque des rayons lumineux au niveau de l'optique, qui fait que les photo-sites situés aux extrémités extérieures du capteur reçoivent moins de photons que ceux situés au centre de l'imageur (phénomène imparfaitement corrigé par le traitement du signal). Fin 2012, Sony avait déjà déposé une demande de brevet concernant une architecture d'imageur incurvé, dont la surface concave épouserait mieux la trajectoire des rayons issus de l'optique. Le japonais semble avoir bien travaillé depuis et a récemment présenté un imageur Cmos concave à architecture BSI permettant de doubler la sensibilité des photosites situés à ses extrémités. En outre, ce capteur incurvé permettrait d'utiliser une lentille plus lumineuse avec une focale plus courte que celle des optiques d'imageurs « plats » classiques, induisant un gain de luminosité de 40% au centre de l'imageur et, surtout, une réduction de 80 % du courant d'obscurité qui limite le rapport signal sur bruit des capteurs d'images. Une machine vraisemblablement développée pour l'occasion a été utilisée pour courber les capteurs Cmos, lesquels sont ensuite renforcés sur les côtés par une surcouche en céramique afin de stabiliser leur nouvelle forme, similaire à ce que l'on trouve dans l'œil humain. En théorie, l'optique et la reconstruction logicielle devraient être simplifiées par l'utilisation de tels capteurs courbes qui compensent naturellement les défauts introduits par les optiques actuelles. Le japonais entend visiblement tester tous ses marchés potentiels, et un éventuel amincissement de l'optique rendu possible par des imageurs courbes bénéficierait beaucoup aux applica-tions à encombrement réduit, comme les smartphones. Nul doute que s'il parvient à lancer la production de tels imageurs avec des rendements satisfaisants et les résultats escomptés en termes de qualité d'images et de simplification optique et logicielle, ses concurrents chercheront à développer à leur tour des imageurs incurvés. Des tranchées pour isoler les photosites D'autres avancées technologiques ont récemment augmenté les performances des imageurs. L'usage d'interfaces rapides spécialisées, généralement de type LVDS (à faible excursion de tension) comme celles répondant aux standards MIPI ou CSI2, permet par exemple de véhiculer plus rapidement les informations issues de ces capteurs dont la définition et la vitesse de capture augmentent sans cesse. Ces interfaces plus ou moins génériques sont aujourd'hui intégrées dans la majeure partie des capteurs Cmos, ce qui permet en outre de pouvoir changer de fournisseur plus facilement que par le passé. < Certains imageurs Cmos offrent une fonction d'autofocus. La multiplication des photo-sites, lesquels voient leurs dimensions se rétrécir autour du micron, a également poussé les fabricants à chercher des parades contre le crosstalk , c'est-à-dire les perturbations entre pixels, la charge stockée momentanément par chacun de ces photosites étant susceptible de « déborder » sur ses voisins. Le plus souvent, ces travaux d'isolation mettent en œuvre une architecture à tranchées ( deep-trenched ), qui prend par exemple le nom d'Isocell chez Samsung mais que l'on retrouve chez Sony, ON Semiconductor ou encore OmniVision. En séparant physiquement les photosites les uns des autres, le sud-coréen affirme réduire le crosstalk de 30 %, d'où un meilleur piqué, tout en augmentant la capacité de chaque pixel de 30% également pour une dynamique étendue. Cette structure en tranchées permettrait également d'améliorer de 20 % l'angle d'ouverture ou CRA ( chief ray angle ) de l'imageur et donc d'affiner l'épaisseur de son optique, un critère décisif dans les applications à encombrement limité comme les téléphones portables. Les derniers imageurs Cmos présentent également des pixels dédiés à la détection de phase afin de faciliter la mise au point (PDAF, phase-detec-tion autofocus ). Rappelons que dans l'approche traditionnelle, lorsque l'on utilise l'ima-geur au lieu du viseur optique pour piloter l'autofocus, ce sont les différences de contraste de l'image qui commandent le déplacement de l'optique. Pour remédier aux limites de cette technique assez lente, plusieurs fabricants mêlent à leurs capteurs des photosites dédiés à la détection de phase. Juste avant le déclenchement, la différence de phase entre deux photodiodes est calculée, ce qui permet d'ajuster immédiatement l'optique grâce aux écarts de parallaxe mesurés. On notera enfin les travaux relatifs au filtrage des couleurs. Si le classique filtre Bayer (deux verts, un bleu, un rouge) demeure le plus répandu, certains fabricants comme ON Semiconductor et OmniVision ont recours à des filtres propriétaires, qui exploitent par exemple des pixels « transparents» pour améliorer le piqué de l'image. Tout est affaire de compromis entre la netteté de la prise de vue et le respect des couleurs, un équilibre qui repose sur le traitement du signal appliqué en aval. Un autre objectif des fabricants est d'enterrer toujours plus profondément ces filtres couleurs, afin d'augmenter l'angle d'ouverture des photosites.

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