Couverture ElectroniqueS n°127

Une récente étude d'IHS prévoit que l'Empire du Milieu produira 35% des écrans plats grand format dans le monde dès 2018, devançant ainsi la Corée du Sud et Taiwan, les actuels leaders du marché. Une part qui n'était que d'à peine 4% en 2010. Cette lame de fond s'accompagne de l'émergence de nouveaux géants des LCD-TFT tels que China Star et surtout BOE. S ilaChine se montre particulièrement ambitieuse dans le domaine du semi-conducteur, avec l'objectif fièrement affiché de devenir un acteur incontournable des circuits intégrés ( voir notre article en page 40 ), son volontarisme industriel s'avère tout aussi ardent lorsqu'il s'agit de doter le pays d'une capacité de production digne de ce nom dans le secteur des écrans plats, et notamment des écrans LCD-TFT grand format. Et là, il ne s'agit même plus de devenir un ténor de cette industrie, mais bel et bien d'en être le numéro un mondial, et cela le plus rapidement possible. Le tournant des années 2010 a marqué une étape importante dans cette stratégie puisque c'est à cette époque que la Chine s'est réellement mis en tête de chiper la plus grosse part du gâteau aux actuels leaders du marché que sont la Corée du Sud et Taiwan, et a commencé à y mettre vraiment les moyens. Résultats : la Chine est en passe de réussir son pari si l'on en croit un rapport d'IHS publié en novembre dernier. Dans son étude, l'analyste américain affirme que l'Empire du Milieu deviendra le premier pays producteur d'écrans plats dès 2018 avec une part de marché de 35 %. On visualise mieux le chemin parcouru depuis 2010 lorsque l'on sait qu'à cette date, la production sur le territoire chinois ne dépassait pas 4% du total mondial! Une progression fulgurante qui est le fruit d'une implication financière sans faille de la part des autorités gouvernementales locales avec pour résultat un accroissement de capacité de production pour le pays à hauteur de 40 % par an en moyenne sur la période 2010-2018, d'après les don-nées fournies par le cabinet d'études américain. Ce chiffre est à comparer à la très faible croissance – seulement 2% par an en moyenne – observée dans le même temps pour la capacité de production des autres acteurs de cette industrie (coréens, japonais et taiwanais)… En 2015, Le chinois BOE a commencé la construction de sa seconde usine d'écrans LCD de génération 8.5, a annoncé le lancement d'un projet d'usine de génération 6 entièrement consacrée aux afficheurs Oled à matrice active (AM-Oled), et a dévoilé son intention de construire d'ici 2018 une usine de LCD de génération 10.5, la plus grande jamais construite. Emergence de géants chinois En toute logique, cette montée en puissance explosive de la Chine s'est accompagnée de l'émergence de nouveaux géants du secteur. Alors qu'aucun fabricant chinois n'apparaissait dans le Top 7 mondial des producteurs d'écrans plats en 2010, IHS note que deux fabricants du pays montent les marches du classement quatre à quatre et compteront parmi les tout premiers ténors des écrans plats en 2018 ( voir tableau page suivante ). Tout d'abord China Star qui devrait s'octroyer le 6 e rang mondial en 2018, mais qui vise pour l'essentiel le marché local. Au 3 e trimestre 2015, la société était d'ailleurs déjà le 2 e fournisseur d'écrans plats sur le marché chinois avec une part de marché de 20 %, juste derrière LG Display (22%) et loin devant Innolux (16 %), Samsung Display (15 %), AUO (13%) et BOE (10%), selon IHS. Et puis il y a BOE qui vise un déploiement plus international pour se poser en alternative de choix face aux géants coréens (Samsung Dis-play, LG Display) et taiwanais (AUO, Innolux) à l'échelle de la planète. Au point qu'IHS n'hésite pas à le classer dans le trio de tête du secteur en 2018 avec 14 % de la capacité de production mondiale, devancé seulement par les deux mastodontes coréens! Une prévision à laquelle il est assez aisé de souscrire, ne serait-ce qu'en regardant les annonces faites par BOE en 2015 en termes de déploiement à venir d'outils de production dédiés aux écrans plats. Trois usines verront ainsi le jour d'ici 2018 (pour certaines, la construction a déjà commencé) et constitueront les pièces maîtresses du chinois pour conquérir le monde. La première est une usine de LCDTFT basée sur l'exploitation de dalles de verre de génération 8.5 de 2500x2200mm à partir desquelles le fabricant peut optimiser la production d'écrans de grandes dimensions destinés aux téléviseurs et aux moniteurs informatiques. Il s'agira de la seconde usine de génération 8.5 pour BOE qui avait érigé la première en 2013 à Beijing. Fruit d'un investissement de 30 milliards de yuans (environ 4 milliards d'euros), la nouvelle ligne de production, basée à Fuzhou, sera dotée à termes d'une capacité de production mensuelle de 120000 dalles de génération 8.5 et devrait être opérationnelle dès le deuxième trimestre 2017. Sa construction a débuté à l'automne 2015. La Chine, terre de la plus grande usine de LCD Et comme si cela ne suffisait pas, BOE a décidé de frapper un grand coup en se lançant dans la construction d'une troisième usine géante, de génération 10.5 cette fois, c'est-à-dire tout bonnement l'usine de LCD-TFT la plus importante et la plus avancée jamais construire à ce jour. Grâce à l'emploi de dalles mères en verre de 3370x2940mm, une première mondiale, elle supplantera en effet l'usine de génération 10 que Sharp a inaugurée à Sakai en 2009 et qui, elle, exploite des dalles mères de « seulement » 3 050 x 2 850 mm. Si la construction de cette usine a bien été confirmée par BOE lui-même ainsi que par Corning, partenaire du chinois pour la fourniture de dalles mères en verre, il reste des incertitudes quant au coût de cette usine gigantesque, à sa capacité de production et à sa date de mise en service. La presse asiatique spécialisée, souvent très bien informée, évoque un investissement de quelque 40 milliards de yuans (5,3Mde), une capacité maximale de 90 000 dalles de génération 10.5 chaque mois et une mise en service vers la mi-2018, ce qui paraît tout à fait plausible. Elle sera destinée à la production d'écrans LCD-TFT UHD (modèles à ultra haute définition, parfois appelé 4K) très grand format (65 et 75 pouces). Pour accompagner ce projet, Corning, qui fournit les dalles mères dont BOE à besoin depuis 2004, date à laquelle BOE a construit la première usine de génération 5 sur le sol chinois, va construire une unité de production spécialement dédiée à la fabrication de dalles de génération 10.5 que l'américain a tout naturellement décidé d'implanter à Hefei, sur le site même de la future usine de BOE. Tout comme le chinois, Corning a bénéficié des largesses du gouvernement local pour financer son usine de dalles de verre dont le montant s'élève à 1,3 Md$. Enfin, BOE a également annoncé en 2015 la construction prochaine à Chengdu d'une usine de génération 6 consacrée cette fois entièrement à la production d'écrans Oled à matrice active (AM-Oled, Active Matrix Oled ), une technologie que beaucoup considèrent comme celle qui succèdera aux LCD-TFT, et cela quelle que soit l'application (smart-phones, tablettes, TV, etc.). Il s'agit là encore d'un signal fort lancé aux coréens Samsung Display et LG Display, et dans une moindre mesure aux taiwanais AUO et Innolux, et au duo japonais Sony/Panasonic, pour leur dire que la Chine fera tout pour gagner une part importante du gâteau dans le domaine des Oled. Avec la montée en puissance de China Star et surtout de BOE, la Chine devrait s'octroyer dès 2018 la place de premier producteur mondial d'écrans plats au nez et à la barbe de la Corée du Sud et de Taiwan qui, soit dit en passant, avaient fait subir le même sort au Japon au milieu des années 2000. Les écrans haut de gamme devenus la cible On le voit ici, l'adage qui veut que, dans le domaine de l'électronique, la Chine ne soit qu'un producteur de solutions bas de gamme fabriquées à bas coût, prend clairement du plomb dans l'aile. Tout comme la plupart de leurs concurrents, les acteurs chinois des écrans plats, BOE en tête, consacrent la plus grosse part de leurs investissements aux technologies haut de gamme d'avenir (écrans LCD UHD, afficheurs AM-Oled) qui deviendront les standards de demain. L'idée est de regonfler des marges mises à mal depuis quelques années par la banalisation (et donc la baisse des prix) d'équipements électroniques grand public tels que les téléviseurs LCD Full-HD à rétroéclairage Led que l'on peut trouver aujourd'hui pour à peine 500e dans le commerce pour un modèle de 40 pouces de diagonale, alors que ces modèles constituaient le haut de gamme il y a encore quelques années. Le même schéma se reproduira sans doute rapidement avec les écrans UHD, avant une transition probable vers des modèles à technologie AM-Oled. Dans une autre étude d'IHS publiée fin 2015, l'analyste affirme en effet que les afficheurs UHD vont, dès 2016, presque faire jeu égal avec les modèles Full-HD dans les téléviseurs avec une part de marché de 40% pour les premiers et de 42% pour les seconds (18 % pour les modèles HD). La pénétration est fulgurante puisque la part des écrans UHD dans les téléviseurs n'était que de 2% en 2013, puis de 12% en 2014 et de 25 % en 2015, alors que dans le même temps, celle des écrans Full-HD est passée de 65% en 2013, à 62% en 2014, puis à 52% en 2015. Il faut y voir les conséquences de la mise en service récente ou à venir de plusieurs usines de génération 8 ou 8.5, notamment de la part des chinois, responsable d'une baisse importante des prix. A ce titre, la stratégie de BOE est cohérente. A un (gros) détail près. On peut tout de même s'interroger sur l'opportunité de se doter d'une usine de génération 10.5. S'il s'agit de gonfler les muscles face à la concurrence, l'opération est réussie. Mais n'oublions pas que les usines de génération 8 et 8.5 sont celles qui offrent aujourd'hui la meilleure rentabilité. Rappelons-nous également que Sharp s'est quelque peu cassé les dents avec sa ligne de production de génération 10 qui n'avait d'ailleurs pas fait d'émules avant la récente annonce de BOE. Par ailleurs, en 2018, date supposée de la mise en service de l'usine, les écrans UHD seront considérés comme des produits standards et offriront déjà des marges largement entamées par la baisse conséquente des prix liée à l'aug-mentation importante des capacités de production. En fait, BOE table surtout sur la démocratisation des téléviseurs très grand format pour rentabiliser ce site optimisé pour la fabrication d'écrans UHD de 65 et 75 pouces qui représentent actuellement une infime partie du marché. Mais Monsieur Tout-le-monde sera-t-il prêt à accrocher au mur de son salon un téléviseur de 165 ou 190 cm de diagonale même si son prix est raisonnable, ou préfèrera-t-il opter pour un TV à écran Oled de taille plus modeste (100 à 150 cm), mais offrant une qualité d'image a priori meilleure ? Là est la question…

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