Couverture ElectroniqueS n°127

Longtemps restés bloqués en Cmos planaire 28 nm, les deux fabricants de processeurs graphiques adoptent enfin les dernières technologies de fabrication et promettent de faire bondir le rapport performances/ consommation des cartes graphiques. Q ui de l'application ou du système, du logiciel ou du matériel, freine l'innovation? Le serpent technologique se mord souvent la queue, comme c'est le cas actuellement dans le monde du PC. La faible demande pour des microprocesseurs plus puissants a ainsi des répercussions sur l'ensemble de la stratégie industrielle d'Intel. De même, les processeurs graphiques, autres pièces maîtresses des ordinateurs personnels, ont connu un long plateau de performances ces dernières années. Les raisons en sont multiples. L'efficacité remarquable de la technologie de gravure en Cmos planaire 28nm, comparée à la suivante en 20 nm, a poussé Nvidia et AMD à patienter jusqu'au portage de leurs architectures respectives sur les transistors tridimensionnels FinFET en 14/16 nm. La popularité très tardive des écrans dotés d'une définition supérieure au 1080p a contenu le niveau de performances exigées pour les cartes graphiques. La bonne santé du marché des consoles, où la concurrence n'existe plus une fois les spécifications gravées dans le marbre (AMD a raflé la mise auprès des trois grands fabricants de consoles de salon, Sony, Microsoft et Nintendo, pour leurs derniers systèmes), réduit d'autant le marché, lui concurrentiel, des cartes graphiques PC. Ralentie, l'innovation ne s'est pas stoppée pour autant, et avec la démocratisation récente des technologies de gravure FinFET et celle des écrans en définition WQHD (2 560 x 1 440) et UHD (3 840 x 2 160), de nouvelles générations de processeurs graphiques font enfin leur apparition chez Nvidia et AMD. Pour ce dernier, toujours en périlleuse situation financière ( voir encadré page suivante ) et largué par Nvidia sur les GPU gravés en 28 nm, il s'agit peut-être d'une dernière chance de revenir dans la course. Le leader Nvidia bombe le torse en haut de gamme C'est Nvidia qui a dégainé le premier avec sa génération de GPU 16 nm basés sur sa nouvelle architecture, Pascal. L'américain a présenté en mai le processeur GTX 1080, deux fois plus puissant que son fleuron en 28 nm, le GTX Titan X. Cinq technologies différentes ont permis ce bond en performances. Tout d'abord, les 7,2 milliards de transistors du processeur GTX 1080 sont gravés en FinFET 16 nm, ce qui permet de gagner à la fois en rapidité et en consommation (ce dernier facteur étant l'écueil principal auquel se heurtaient les cartes graphiques de génération précédente). Ensuite, la mémoire : si Nvidia a fait le choix de ne pas s'appuyer immédiatement sur la mémoire HBM, le GTX 1080 dispose tout de même d'une interface 256 bits à 10 Gbit/s gérant jusqu'à 8 Go de mémoire GDDR5X fournie par Micron, pour un gain de 70% en bande passante par rapport à la GDDR5 classique. Des améliorations logicielles accompagnent également cette génération, avec par exemple VRWorks et Ansel. VRWorks est, comme son nom l'indique, dévolu à l'utilisation de casques de réalité virtuelle, en gérant à la fois le rendu en trois dimensions des images, celui du son, l'interaction avec l'environnement virtuel, la gestion d'un contrôleur, etc. De son côté, Ansel vise à améliorer les captures de séquences de jeu vidéo, notamment en recadrant à volonté les screenshots ou en créant des images tridimensionnelles. Nvidia a également travaillé sur les fréquences de fonctionnement de ses processeurs graphiques, avec ici une cadence maximale de 1,7 GHz (pour 180W de consommation), des facilités d' overclocking et des avancées en matière de traitement asynchrone. Première carte basée sur un processeur graphique à architecture Polaris, la RX480 s'impose d'emblée dans le créneau des cartes PC de milieu de gamme. Enfin, la microarchitecture Pascal elle-même s'avère, selon Nvidia, trois fois plus efficace, en rapport performances/ consommation, que la précédente génération Maxwell. Outre le passage aux FinFET 16nm, de multiples innovations expliquent ce gain de performances. Pascal gère par exemple les calculs en virgule flottante 16 bits en plus des calculs sur 32 et 64 bits, ce qui permet d'abaisser considérablement la consommation des puces concernées lorsque les applications ne nécessitent pas une grande précision. La nouvelle microarchitecture de Nvidia supporte aussi la gestion de mémoire unifiée, allant piocher indifféremment dans la mémoire GPU ou CPU via un adressage virtuel sur 49 bits (soit l'équivalent de 512 To !) qui simplifie la programmation. On notera aussi que Nvidia a amélioré avec Pascal la préemption de traitement, qui consiste à ne pas attendre qu'une tâche de fond non critique (typiquement des routines du système d'exploitation) soit achevée pour laisser la main à des calculs graphiques. Cette préemption s'effectue désormais à l'échelle d'instructions individuelles, alors qu'elle nécessitait la prise en compte de groupes entiers de tâches sous Maxwell. Même si cela ne concerne pas les premières cartes graphiques à GPU Pascal, cette architecture est prévue pour fonctionner avec l'interconnexion haut débit NVLink de Nvidia. Cette technologie permet de relier le GPU et le CPU, et, le cas échéant, plusieurs GPU entre eux, avec des débits de données culminant à 160 Go/s en mode bidirectionnel, soit cinq à douze fois supérieurs à ceux d'une liaison PCI Gen3 traditionnelle. Cette possibilité s'avèrerait particulièrement utile au sein des systèmes informatiques haut de gamme (applications réseaux, supercalculateurs…). L'architecture Pascal sera aussi compatible avec les mémoires HBM2 dans des empilements de puces (technologie de production CoWoS, Chip-on-Wafer-on-Subs-trate , du fondeur taïwanais TSMC) qui promettent trois fois plus de bande passante mémoire que la génération Maxwell. Supportant de manière native la correction d'erreur ECC, les mémoires HBM2 empilent jusqu'à 8 puces Dram de 1Go chacune (contre 4x256Mo pour HBM1) pour une bande passante de 180 Go/s par pile de mémoires Dram. Depuis le lancement en fanfare de la GTX 1080, Nvidia a commencé à décliner sa gamme en annonçant des cartes graphiques de la même famille, les GTX 1070 et 1060 visant les PC fixes de milieu de gamme (avec des prix respectifs de 379$ et 249$ tout de même), mais avec aussi des modèles destinés spécifiquement aux ordinateurs portables, avec un gain de performances annoncé de 75% par rapport à ses meilleurs GPU Maxwell portables. Avec ses cartes GTX 1070 et 1080 à architecture Pascal, Nvidia a choisi d'inaugurer ses processeurs graphiques FinFET 16 nm en s'attaquant d'abord au haut de gamme. L'outsider AMD veut faire du chiffre en entrée et milieu de gamme De son côté, AMD inaugure la technologie FinFET 14/16 nm avec son architecture Polaris. Dévoilée lors du récent Computex, la première carte à être équipée de ces circuits, la Radeon RX 480, est un modèle de milieu de gamme qui se situe grosso modo au niveau de l'actuelle Radeon R9 390, et qui est vendue au prix agressif de 199$ dans sa déclinaison à 4 Go – sensiblement moins chère donc que les premières cartes Pascal de Nvidia, résolument axées vers le haut de gamme. Elle embarque un processeur graphique Polaris 10 fabriqué par Globalfoundries et intégrant au total 2304 unités de calcul et 144 unités dédiées aux textures, pour une puissance brute de 5,8 Tflops. Comme son concurrent, AMD reste ugurer m e. pour l'heure fidèle à la mémoire GDDR5 pour maintenir les prix dans des limites raisonnables. L'utilisation de la mémoire HBM2 sera, semble-t-il, réservée à la prochaine micro-architecture de l'américain, Vega, attendue pour 2017. Un autre processeur graphique, baptisé Polaris 11, visera lui les ordinateurs portables. Les processeurs Polaris prennent en charge les interfaces HDMI 2.0b et Display-Port 1.3, délivrant jusqu'à 120 images/seconde en 4K ou 240 images/seconde en 1440p. L'objectif affiché par AMD est d'offrir avec ces Polaris un rapport performances/consommation deux fois supérieur à celui de ses précédents processeurs graphiques. Pour passer cette barre, le fabricant compte également sur la micro-architec-ture GCN de 4 e génération inaugurée avec Polaris. Au menu, on trouve notamment un processeur de commande revu et corrigé, chargé notamment de gérer le mode de fonctionnement asynchrone prévu dans DirectX 12. Un nouveau contrôleur mémoire, avec sa mémoire cache de niveau 2 associée, figure également au programme. AMD a aussi revu le design de son processeur de géométrie, sachant que la tesselation (c'est-à-dire le découpage de surfaces planes en polygones réguliers) compte parmi les domaines où les dernières puces graphiques de Nvidia dominaient celles d'AMD. Un accélérateur multimédia permettra entre autres d'encoder/décoder des vidéos en H.265 à 60 images/seconde jusqu'en définition 4K. AMD a également présenté deux autres cartes à processeurs Polaris, les RX 460 et 470. Vendue 109 $, la pre-mière développe 2,2Tflops pour une consommation inférieure à 75W. La seconde, lancée à 179 $, affiche 4,9Tflops de puissance pour 120W. On le voit, AMD a résolument décidé d'attaquer le cœur du marché des cartes graphiques pour rentabiliser rapidement sa nouvelle gamme, là où Nvidia a adopté une démarche plus classique, démarrant avec une carte de prestige qui sera ensuite déclinée en versions allégées. Notons également qu'AMD va également, d'ici la fin de l'année, convertir ses cartes graphiques professionnelles aux bienfaits du FinFET 16 nm en lançant les Radeon Pro WX 7100, 5100 et 4100. Pour AMD, le passage à la technologie FinFET se traduit également par une refonte complète de sa gamme de microprocesseurs. Exit donc l'architecture Bulldozer, qui ne lui a pas permis de revenir dans la course technologique face aux processeurs Core d'Intel. Avec l'architecture Zen, pour laquelle les ingénieurs d'AMD, emmenés alors par un Jim Keller réengagé par AMD début 2012, ont pu quasiment repartir de zéro, l'américain joue aussi son va-tout. Hormis le gain naturel de performances procuré par le passage à une géométrie plus fine et par l'adoption de la mémoire Dram DDR4, l'accent semble avoir été mis sur l'augmentation des performances de chaque cœur embarqué dans les processeurs Zen, de manière à optimiser l'exécution des applications multitâches en réduisant le nombre de ressources partagées entre plusieurs cœurs. Avec un échantillonnage général prévu à l'automne, les processeurs Zen devraient être dirigés vers tous les marchés visés par AMD: PC fixes et portables, serveurs et applications embarquées. Au Computex, Lisa Su, la CEO d'AMD, a d'ailleurs exhibé un exemplaire de démonstration de processeur Zen à huit cœurs (soit seize tâches) gravé en Fin-FET et exploitant le nouveau socket AM4. LA RENTABILITÉ RESTE DU CÔTÉ DE NVIDIA > AMD a clos son exercice fiscal 2015 sur un chiffre d'affaires de 3,99 milliards de dollars en baisse de 28%, pour une perte nette de 660 millions de dollars. Et le premier trimestre 2016 n'augure rien de bon, avec des ventes réduites à 832M$ (-13%) et 109M$ de pertes nettes. Endetté à hauteur de 2,24 milliards de dollars (dont 650 M$ arrivent à échéance en 2019 et 450M$ en 2020), l'américain n'a plus le choix: sa nouvelle génération de processeurs graphiques devra lui permettre de sortir la tête de l'eau. AMD tablait sur une croissance d'au moins 15% de son chiffre d'affaires au second trimestre 2016. Mission accomplie, avec des ventes s'élevant à 1,027 milliard de dollars (+23%) et 69M$ de bénéfices. Autre signe positif: l'action AMD, bloquée sous la barre des 2$ jusqu'en février dernier, flirte avec les 7$ à l'heure où nous mettons sous presse. > De son côté, Nvidia, qui est un pure-player en processeurs graphiques alors qu'AMD s'aligne aussi sur d'autres marchés (microprocesseurs PC, processeurs embarqués, circuits spécifiques pour consoles de jeu), vient lui de réaliser un chiffre d'affaires record de 1,43 milliard de dollars lors de son premier trimestre fiscal 2016, avec un bénéfice net de 253M$. L'américain a engrangé 614M$ de gains pour 5 milliards de dollars de ventes durant sa dernière année fiscale. Et son action a plus que doublé depuis février pour tutoyer aujourd'hui les 60$ –elle valait moins de 12$ fin 2012.

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