Couverture ElectroniqueS n°127

La 5G s'accompagne de défis technologiques jusque-là inconnus dans ce domaine. Essentielles pour la définition de la spécification 5G et le développement des produits, les solutions de test et de mesure sont pourtant prêtes et les fabricants se frottent les mains, car les enjeux sont phénoménaux. C ela fait bientôt trois ans que les toutes premières annonces évoquant la technologie 5G sont apparues du côté des fabricants spécialisés en test et en mesure. Et, depuis, les introductions de solutions matérielles et logicielles ne cessent de s'enchaîner à un rythme « effréné ». Citons par exemple le partenariat entre les américains ThinkRF et Viavi Solutions – ce dernier a également lancé la plateforme Nitro (Network Integrated Test, Real-time analytics and Optimization) –, la nouvelle version de la plateforme de test CMW100 de l'allemand Rohde & Schwarz, le support de la couche MAX pour le framework applicatif IEEE 802.11 de l'américain National Instruments, la version 2017 du logiciel de simulation SystemVue et les toolsets de test et de vérification de conception RF 5G (émulation de réseaux) de l'américain Keysight Technologies, l'ajout d'un logiciel pour les analyseurs de réseau vectoriels VectorStar ME7838 du japonais Anritsu, etc. Et cela uniquement pour la période entre mi-octobre et mi-décembre. La 5G représente un autre changement générationnel pour les communications sans fil commerciales et, donc, un ensemble de défis et d'opportunités nouvelles pour les entreprises comme Keysight Technologies. Cette effervescence traduit à peine l'apparition d'une vague qui va tout emporter sur son chemin, à entendre les différentes personnes interrogées lorsque l'on leur demande leur vision du marché à venir. « La 5G représente un autre changement générationnel pour les communications sans fil commerciales et, donc, un ensemble de défis et d'opportunités nouvelles pour les entreprises comme la nôtre, affirme Roger Nichols, 5G Program Manager chez Keysight Technologies. S'il s'agit déjà d'une opportunité commerciale importante et en croissance rapide pour nous, dont nous profitons pleinement –l'investissement dans les outils est en avance de phase –, le déploiement commercial, lui, ne démarrera réellement qu'en 2020 ». Pour Aleksis Anterow, Managing Director chez Orbit/FR Europe (entité du français Microwave Vision Group), « c'est un mouve-ment mondial, qui se traduira par des changements encore bien plus importants que ceux du passage à la 3G. C'est toute la société qui sera connectée. Aucune industrie ne pourra faire l'impasse de la 5G, au risque, sinon, de ne plus être com-pétitive. » Ce que confirme Bruno Morin, directeur des ventes Espagne, France et Portugal chez Tektronix: « c'est une évidence que l'évolution amenée par la 5G va être phénoménale, une véritable transformation sociétale, car elle regroupe non seulement les télécommunications mobiles, avec les services de vidéo, de réalité augmentée, de 3D sensing , par exemple, mais aussi les objets connectés (IoT), les villes intelligentes ( smart cities ). » Le fabricant américain est toutefois mieux positionné sur les marchés des objets connectés et des produits compatibles IEEE 802.11ac, où l'autonomie des capteurs prend une place vraiment très importante. Au-delà des avantages techniques qu'elle va apporter au secteur des télécommunications mobiles, comme nous allons le voir ultérieurement, c'est surtout cette ouverture à de nouvelles perspectives qui fait tout l'attrait de la technologie 5G. « On parle en effet beaucoup de “use cases” (cas d'usage) correspondant chacun à des industries verticales (énergie, santé, transport, etc.), le tout unifié sous une seule technologie, la 5G. C'est la vision d'une ultraconnectivité de la société, d'une transformation numérique dans notre vie de tous les jours, prévoit Stéphane Blanchon, directeur et responsable du support marketing pour les produits Test et mesure de Rohde & Schwarz France. Si le véhicule connecté représente la conver-gence des mondes de l'automobile et des télécommunications, ce secteur, comme celui des objets connectés d'ailleurs, restera un marché de niche pour les opérateurs, pour qui le modèle économique restera toujours la téléphonie mobile avec de gros débits pour les services ». Selon la société d'analyses britannique Juniper Research, les revenus liés aux services 5G des opérateurs passeraient de 851 millions de dollars en 2019 à 269 milliards de dollars, soit un taux de croissance annuel moyen (CAGR) de 161% sur la période! Aleksis Anterow (Microwave Vision Group) relève un point très important: « si, avec l'arrivée de la 3G/4G, la technologie a précédé les services, l'approche est inversée avec la 5G : les applications sont déjà identifiées et la technologie va permettre d'y répondre encore mieux (très haut débit pour la vidéo, faible consommation pour les objets connectés, etc.) ». Trois grands axes de développement < On parle beaucoup de « use cases » (cas d'usage) correspondant chacun à des industries verticales (énergie, santé, transport, etc.), le tout unifié sous une seule technologie, la 5G. C'est la vision d'une ultraconnectivité de la société. Revenons à la technologie 5G proprement dite, enfin façon de dire puisque la spécification n'est pas encore définie ( voir encadré page 46 ). On peut toutefois identifier plusieurs raisons au développement de la 5G. « Le principal facteur est que les capacités en termes d'efficacité, de capacité, de vitesse, de latence et de fiabilité dans les réseaux sans fil actuels limitent l'espace d'application du sans-fil et, donc, les modèles d'entreprise à valeur ajoutée des opérateurs mobiles et des fournisseurs », rappelle Roger Nichols (Keysight Technologies). « Nous avons tendance à penser, d'emblée, à l'amélioration des débits pour les équipements mobiles – cela se comprend aisément car c'est ce que nous utilisons le plus en tant que consommateur et qui sera probablement commercialisé en premier –, mais il existe deux autres aspects », explique Kevin J. Ilcisin, Vice President Strategy and Corporate Development de National Instruments. Selon le rapport sur la mobilité 2017 d'Ericsson, les humains consomment près de 10 milliards de gigaoctets de données mobiles chaque mois, en augmentation de près de 70% entre les premiers trimestres de 2016 et 2017. Les fréquences candidates auxquelles la technologie 5G devrait fonctionner sont à la fois en-dessous de 6 GHz (bandes 1,4 GHz et 3,5 GHz) et au-delà de 6 GHz (bandes 27,5-31,8 GHz et 37-40,5 GHz), selon les zones géographiques notamment. « En plus de la connectivité large bande pour atteindre de très hauts débits (ou bandes passantes), les deux autres familles de la 5G sont, selon l'UIT , le Massive MIMO, pour les objets connec-tés , et la faible latence. Si la 5G est tirée par la large bande et la latence, afin de fournir les services vidéo, de réalité virtuelle, etc., les constructeurs automobiles recherchent surtout une latence ultra-faible », poursuit Stéphane Blanchon (Rohde & Schwarz France). On peut toutefois relever que les passagers, voire même le conducteur dans le cas d'un véhicule autonome, ne pourront pas se passer de regarder des vidéos ou de surfer sur Internet en haut débit comme s'ils étaient chez eux, lors de leur voyage, d'où le besoin probable de services de connectivité. Ce qui fait dire à Kevin J. Ilcisin (National Instruments) qu'« il existera, à l'avenir, des versions de la norme 3GPP conçues pour gérer plusieurs cas d'usage au fur et à mesure que la spécification LTEV2X évoluera vers la 5G-V2X, pour les communications véhicule à véhicule, et les normes NB-IoT et LTE-M Cat0 vers leur équivalent 5G . » Roger Nichols (Keysight Technologies), lui, identifie une quatrième exigence sous-jacente : « les attentes des utilisateurs vis-à-vis du réseau vont changer d'une manière spectaculaire. Lorsque je demande à une foule de personnes si elles sont satisfaites de la vitesse et de la fiabilité de leur connexion sans fil, seulement une ou deux lèvent la main, penaudes. Le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé par une entreprise avec un client diminue depuis que les opérateurs ne peuvent plus augmenter leurs revenus en offrant de nouveaux services de données. Les réseaux étant coûteux à gérer, une nouvelle génération de technologie est nécessaire pour répondre à la convergence de ces besoins importants. » Enfin Bruno Morin (Tektronix) signale qu'il ne faut pas oublier « les problèmes de sécurité et de cybersécurité, d'où l'émergence de technologies, telles que le quantum computing ou l'intelligence artificielle, pour protéger les données. Ce sera un véritable défi! » UN LANCEMENT COMMERCIAL DES PREMIERS PRODUITS 5G PRÉVU EN 2020 Si la 5 e génération des télécommunications, la 5G, fait beaucoup parler d'elle sur les salons, dans les conférences techniques, dans les articles de presse, etc., il ne faut pas oublier que, pour l'instant, la spécification 5G n'est pas encore définie. «La première ébauche de la couche physique de la 5G New Radio (NR) du 3GPP (Release 15) était prévue pour décembre 2017. Cette première version est d'une importance cruciale, car elle établit les bases sur lesquelles les fabricants de semi-conducteurs, d'appareils, d'infrastructures, de test et de mesure, ainsi que les autres acteurs de l'écosystème sans fil vont pouvoir planifier et construire leurs activités», affirme Kevin J. Ilcisin, Vice President Strategy and Corporate Development de National Instruments. Le mois de septembre 2018 verra normalement la fin de la phase 1 de la 5G, qui se concentre sur les scenarii de déploiement autonomes et non autonomes pour les cas d'usage (use cases) eMBBet URLLC; la phase 2, qui correspondra à la Release 16 du 3GPP et devrait être finalisée fin 2019, portera sur tous les scenarii de déploiement (cas d'usage mMTC inclus). Il est par ailleurs question que le lien montant du LTE soit nécessaire pour la 5G NR. Enfin, «les premiers lancements commerciaux, basés sur une partie de la spécification 5G, sont attendus pour le premier semestre 2020, et le lancement commercial des produits compatibles avec l'ensemble de la spécification est prévu pour l'année 2022», estime Jonathan Borrill, directeur de l'ingénierie et de la technologie d'Anritsu. Rappelons que la vision de l'International Telecommunications Union (ITU) s'articule autour de trois points: l'eMBB (Enhanced Mobile Broadband), pour des débits de 5 à 20Gbit./s, les mMTC (Massive Machine Type Communications), avec une densité de l'ordre de 10 6 appareils/km 2 ,etles URLLC (Ultra-reliable and low-latency Communications), avec une latence de 1 ms. Une ribambelle de cas d'usage se développera dans cet écosystème: l'accès à un Internet à 50 Mbit/s au moins, la chirurgie à distance, la santé numérique, les services cloud des opérateurs, le partage de vidéo HD dans un stade, etc. Le défi des ondes millimétriques Pour l'instant, les défis que les fabricants de solutions de test et de mesure doivent relever ne manquent pas et sont de surcroît de différentes natures. « Les fréquences candidates auxquelles la technologie 5G devrait fonctionner sont à la fois en dessous de 6GHz (bandes 1,4 GHz et 3,5 GHz) et audelà de 6GHz (bandes 27,5-31,8GHz et 37-40,5GHz), selon les zones géographiques notamment », indique Jonathan Borrill, directeur de l'ingénierie et de la technologie d'Anritsu. On parle même de fréquences autour de 70GHz. Le fabricant japonais a ainsi développé l'analyseur de spectre USB MS2760A, qui couvre une étendue de mesure de 9 kHz à 110 GHz, ou l'analyseur de signal MS2850A doté d'une étendue de mesure de 9 kHz à 44,5 GHz et d'une largeur d'analyse de 1GHz. « Les ondes millimétriques représentent un défi énorme, de la R&D à la production. Nous travaillons d'ailleurs avec les principaux fournisseurs de semi-conducteurs pour définir la solution optimale : une combinaison du VST 2 et du RFmx, pour la prise en charge des formes d'onde 5G NR et les tests dans des conditions de prédistorsions numériques (DPD) en deçà de 6 GHz, et les mmWave SDR, pour le sondage de canal et les mesures OTAenmil-limétriques », affirme Kevin J. Ilcisin (National Instruments). Pour Roger Nichols (Keysight Technologies), « la technologie des ondes millimé-triques sera déployée en volume pour la première fois dans les réseaux de communications sans fil commerciales, un secteur où les temps de cycle et les budgets n'ont rien à voir avec ceux de l'aérospatiale et de la défense, jusque-là les principaux domaines où étaient mises en œuvre les ondes millimétriques. Nous devons donc éduquer une population d'ingénieurs de la radio en croissance rapide pour réaliser des mesures à des fréquences que beaucoup d'entre eux n'ont jamais utilisées ». Les ondes millimétriques représentent un défi énorme, de la R&D à la production. National Instruments travaille par exemple avec les principaux fournisseurs de semi-conducteurs pour définir la solution optimale. Un autre défi à relever concerne l'augmentation significative des largeurs de bande d'information, d'un facteur 10. « Ce besoin de toujours plus de bande passante nous amène, par exemple, à proposer une bande de base de 160MHz, voire de 2 GHz au maximum, dans notre générateur de signal vectoriel SMW200A, ou même une largeur d'analyse de 5GHz avec un analyseur de spectre et de signal FSW85 associé à l'option FSW-B5000 et un oscilloscope RTO2064 », précise Stéphane Blanchon (Rohde & Schwarz France). « À côté du matériel, il ne faut pas oublier le logiciel et son importance dans l'analyse de spectre en temps réel, la démodulation, la génération multicanal pour simuler des environnements RF. Notre outil de génération de formes d'onde arbitraires SourceXpress permet d'ajouter des briques pour répondre à différentes normes ou spécifications, et pour se différencier aussi de la concurrence », explique Bruno Morin (Tektronix). Les appareils doivent passer à l'OTA Si l'on connaît le concept d'«entrées multiples, sorties multiples » ( Multiple-Input Multiple-Output ou MIMO), qui est mis en œuvre depuis quelques années dans les réseaux sans fil et mobiles, les exigences de la technologie 5G imposent de passer à une implémentation MIMO encore plus complexe. « Le “multiplexage spatial” traditionnel MIMO utilise un nombre similaire de faisceaux émis (Tx) et reçus (Rx) et crée ainsi de multiples flux de données, en utilisant l'estimation/le codage de canal. Avec un grand nombre d'éléments d'antenne, nous pouvons créer un faisceau étroit, qui peut être appliqué aux antennes d'émission et de réception. Lorsqu'on utilise un nombre important d'éléments Tx par rapport au nombre de faisceaux requis, il est possible de créer et diriger un certain nombre de faisceaux simultanément », explique Jonathan Borrill (Anritsu). Si l'on s'intéressait à la sensibilité des antennes en 4G, la directivité est un paramètre très important en 5G, car cela est plus difficile avec des ondes millimétriques. Le contrôle de la direction des faisceaux (beamforming) fait intervenir des algorithmes complexes. D'où l'apparition d'un autre concept avec la 5G: la formation de faisceaux ou beamforming . « Si l'on s'intéressait à la sensibilité des antennes en 4G, la directivité est un paramètre très important en 5G, car cela est plus difficile avec des ondes millimétriques. Le contrôle de la direction des faisceaux fait intervenir des algorithmes complexes. Lors de la validation de scenarii dynamiques, il faut donc être capable d'émuler un environnement réel dans une chambre d'essais », indique Aleksis Anterow (Orbit/FR Europe). Ce qui amène la majorité des per-sonnes interrogées à aborder un nouveau défi en test et en mesure: « aux fréquences supérieures à 6GHz, il n'est plus envisageable de câbler directement les produits à contrôler ; il faut passer par des tests rayonnés. C'est ce que l'on appelle Over-The-Air , ou OTA. Même si nous pouvons nous appuyer sur notre expérience dans le domaine de la CEM , il y a encore beaucoup de développement à faire à l'avenir. Pour nous, l'un des défis est aussi de réussir à réunir les compétences de nos différentes équipes », constate Stéphane Blan-chon (Rohde & Schwarz France). Ce que confirme Aleksis Anterow (Orbit/FR Europe) –le groupe MVG, bien positionné dans l'aéronautique et la défense, bénéficie des compé-tences de Satimo et a d'ailleurs développé le système StarLab pour les tests OTA –, en ajoutant que « les industriels recherchent des solutions préconfigurées, avec lesquelles il suffit d'appuyer sur un bouton pour exécuter les tests, car les utilisateurs n'ont pas forcément les compétences requises ». À côté des plateformes matérielles, le logiciel revêt une importance capitale dans les solutions de test et de mesure pour la 5G. L'outil de génération de formes d'onde arbitraires SourceXpress de Tektronix permet d'ajouter des briques pour répondre à différentes normes ou spécifications. Les défis à relever pour les acteurs du test et de la mesure ne s'arrêtent pas à ceux mentionnés jusqu'ici. Il y a forcément de nouveaux besoins pour les tests en production et sur le terrain (par exemple, l'interopérabilité avec les autres technologies sans fil), ainsi que pour les réseaux cœurs (protocoles, sécurité, etc.). « Au-delà des technologies d'accès radio, il faut également vérifier les réseaux cœurs comme, par exemple, s'assurer du fonctionnement cohérent et consistant des systèmes réalisant notamment la virtualisation ou répliquer le comportement d'utilisateurs (et pas que la voix, les e-mails, etc.) pour contrôler la qualité d'expérience (QoE), les usagers n'acceptant plus la lenteur ou l'éventuelle déconnexion d'une application », indique Paulo Rebelo, Head of Visibility Segment EMEA chez Ixia (groupe Keysight Technologies). En plus d'être actifs dans les organismes définissant les normes et de travailler étroitement avec de grands acteurs, tels que l'américain Verizon, les fabricants d'équipements de test et de mesure peuvent compter sur la flexibilité de leurs solutions, grâce notamment aux formats modulaires et, surtout, au logiciel, pour répondre aux exigences d'une norme qui n'est pas encore complètement finalisée et qui, après, continuera d'évoluer à un rythme bien plus soutenu qu'aujourd'hui.

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