Couverture ElectroniqueS n°127

Nommé en 2010 directeur de Télécom Bretagne, qui a fusionné en 2017 avec l'École des Mines de Nantes pour donner naissance à IMT Atlantique, Paul Friedel nous explique les grands défis du métier d'ingénieur et le rôle que cet acteur essentiel joue au sein de notre société moderne. Votre parcours est atypique dans le monde des écoles d'ingénieurs. Comment cela influe-t-il sur le cursus proposé à IMT Atlantique ? PAUL FRIEDEL À la différence de la plupart des dirigeants d'universités et d'écoles d'ingénieurs, je ne viens pas du monde académique. J'ai moi-même fait une carrière d'ingénieur dans différentes entreprises pendant une trentaine d'années, après ma thèse de doctorat d'État chez Philips en 1987. J'ai également été directeur de la Recherche d'Orange et j'ai cherché à créer mon entreprise. J'ai donc une forte culture entrepreneuriale tout en ayant dispensé des cours dans plusieurs grandes écoles d'ingénieurs comme l'Isep ou Esme Sudria. Après avoir été président du Conseil d'administration de l'Isen à Toulon entre 1999 et 2010, j'ai été nommé directeur de Telecom Bretagne en 2010 et avec ma consœur Anne Beauval, j'ai conduit la fusion avec l'école des Mines de Nantes en 2017 pour donner naissance à IMT Atlantique avec trois campus à Brest, Nantes et Rennes. Je prends régulièrement part à des cours en tant que témoin industriel. Comment définiriez-vous le métier d'ingénieur ? PAUL FRIEDEL Lorsque j'exerçais cette profession, j'ai toujours eu du mal à la définir et à en parler, y compris à mes proches. Au début de ma carrière, je voulais faire de la recherche. Aujourd'hui, plus de 30 ans après, je constate que le monde actuel ne ressemble plus du tout au monde que j'ai connu à mes débuts. À l'époque, un téléphone ne servait qu'à téléphoner. Nous sortions juste du train à vapeur. Pour nous positionner en mer, nous avions besoin d'un sextant et d'une table de logarithmes. Aujourd'hui, nous utilisons un GPS pour nous repérer sur les océans. Les téléphones servent à bien d'autres choses qu'à téléphoner. Et nous sommes à l'ère du TGV du futur. Chez Philips, j'ai travaillé sur la télévision numérique en tant qu'ingénieur et j'ai participé à l'élaboration de la norme MPEG. Cela a changé l'approche qu'a aujourd'hui le téléspectateur devant son téléviseur. Changer le monde, c'est aussi permettre à des personnes sourdes d'entendre et à des personnes malvoyantes de voir grâce à des implants ou des prothèses. Tout comme nous le pensions dans les années 80, les jeunes d'aujourd'hui pensent que tous les progrès ont été accomplis et que notre monde sera le même que celui d'aujourd'hui dans 40 ans. C'est absolument faux et le monde du futur sera encore plus différent dans 40 ans. J'en viens à la conclusion que l'ingénieur est un acteur principal du changement du monde. Son rôle consiste à identifier les possibilités de transitions technologiques et à déployer de nouveaux produits à des millions d'exemplaires. Outre la fabrication en PAUL FRIEDEL, directeur de la grande école d'ingénieurs IMT Atlantique Depuis 40 ans, les ingénieurs “ ont fait évoluer des technologies qui s'imposent à l'humanité, ils ont transformé le monde dans des proportions inimaginables à l'époque. grandes quantités et le déploiement des appareils ou des équipements qui facilitent la vie de ses semblables, il doit se préoccuper de la maintenance et de la fin de vie de ces appareils. La même fonction est reproduite des millions de fois, mais la dispersion des caractéristiques des composants peut entraîner des comportements différents d'un produit à l'autre. L'ingénieur doit avoir une bonne capacité à gérer la complexité et à offrir un service simple, fiable et utile. Depuis 40 ans, les ingénieurs ont fait évoluer des technologies qui s'imposent à l'humanité, ils ont transformé le monde dans des proportions inimaginables à l'époque et impossibles à prévoir. Ils devront continuer dans cette voie dans les décennies à venir tout en prenant en compte les dimensions environnementales et sociétales. Dans la formation d'ingénieur, qu'est-ce qui a changé dans le processus d'apprentissage délivré aux élèves au fil des années ? PAUL FRIEDEL Tout d'abord, nous n'étions pas du tout formés aux questions éthiques et cette dimension éthique est aujourd'hui très importante dans nos apprentissages. Les ingénieurs doivent désormais prendre conscience de l'énorme responsabilité qu'ils ont en termes sociétaux. Nous ne leur prodiguons pas des cours de morale, mais nous voulons qu'ils soient conscients de l'impact positif ou négatif qu'ils auront lorsqu'ils travailleront, en fonction de ce qu'ils feront. Des sujets tels que l'obsolescence programmée ou le transhumanisme, voire des solutions pour l'immortalité ou la compilation de la conscience humaine dans une machine, ou encore, le fait qu'un humain survive à son corps, doivent être des sujets de conscience pour les ingénieurs. Autre thème essentiel : la survie de la planète et la faculté qu'aura l'homme de lui rendre ce qu'il lui a pris. Il faudra impérativement trouver des solutions pour continuer à rendre notre planète vivable. Il ne s'agit pas d'apporter des réponses toutes faites, mais de se poser des questions sur le plan éthique et d'apporter des solutions aux problèmes posés. Nous donnons à nos élèves les outils nécessaires pour avoir un esprit critique afin qu'ils aient en mains toutes les données des problèmes à surmonter. Nous formons des acteurs responsables de la société dans laquelle nous vivons. Bien sûr, ils auront la capacité à manager des équipes, mais ils devront garder leur fibre technique en ayant bien conscience que le monde est complexe et qu'ils devront tout mettre en œuvre pour le simplifier. L'ingénieur acquiert des connaissances fondamentales en ce XXI e siècle, mais il doit garder l'humilité et le doute du scientifique, même s'il est amené à diriger des équipes. Le commun des mentmortels : ES_97_MICROCHIP.pdf;Page pense que la science est : 1; capable de tout résoudre. C'est faux. Elle doit tenter de tout résoudre. C'est la raison pour laquelle une école d'ingénieurs doit être fondée sur une recherche de très haut niveau. Cela nous a amené à créer un parcours d'ingénieur qui permet d'entrer en contact avec les laboratoires de recherche et d'apprendre par la proximité avec les chercheurs. Aujourd'hui, y a-t-il une prise de conscience de l'importance du développement durable et de l'environnement par les ingénieurs ? PAUL FRIEDEL Dans les années 70, des experts nous avaient déjà alertés quant à l'importance du développement durable et de l'environnement, mais nous ne les avions pas écoutés. Par ailleurs, la révolution du numérique est sans doute une révolution encore plus importante que celle de l'imprimerie, car elle est à la source de diffusion de changements de manière bien plus massive. Les informations circulent en quelques secondes. Le numérique est lié à l'environnement car il consomme énormément d'énergie. Une seule requête sur Google revient à faire chauffer une tasse de thé. Imaginez l'équivalent du nombre de tasses de thé qui sont chauffées tous les jours en raison des requêtes formulées sur Internet par la population mondiale. Enfin, qui sait si rmat : (201.58 x 146.58 mm);Plaque l'intelligence artificielle ne sera pas, demain, une béquille de notre intelligence humaine ? Nos élèves auront à apprendre en permanence et nous savons que leur carrière sera longue et passionnante. Nous leur donnons les outils pour s'adapter. À eux d'en faire le meilleur usage. Concrètement, qu'est-ce qui a changé dans le cursus d'ingénieur par rapport à ce que l'on enseignait il y a 40 ans ? PAUL FRIEDEL Nous formons par l'action et par la mise en situation, beaucoup plus qu'il y a 40 ans. À l'époque, il y avait essentiellement des cours magistraux. Aujourd'hui, il y a en grande majorité des mises en situation afin que les élèves découvrent par eux-mêmes le savoir. Nous équilibrons entre les cours et le temps personnel qu'ils doivent consacrer à découvrir par eux-mêmes. Les professeurs sont davantage des accompagnateurs que des enseignants chargés de mettre le savoir en boîte. Nous poussons nos étudiants à prendre des initiatives et à questionner. Cela répond à la demande des entreprises avec lesquelles nous avons des liens étroits. Nous avons une centaine d'intervenants dans notre conseil de programmes, dont la plupart viennent omposite;Date du monde : 11. de l'entreprise. Sep 2018 - 12: 5

“ L’ingénieur est un acteur du changement du monde ”

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