Couverture ElectroniqueS n°127

Les grands constructeurs automobiles collaborent ou rachètent des sociétés high-tech et travaillent avec des spécialistes de la gestion de flotte comme Uber pour résoudre les challenges posés par l'autonomisation des véhicules lors de la prochaine décennie : rapide tour d'horizon. Après avoir racheté Argo AI et lancé un investissement quinquennal d'un milliard de dollars en 2017, Ford entend lancer son premier véhicule autonome en 2021, à destination des flottes de taxis. D ans une récente étude menée par la société d'analyse Canalys et reprise par le fournisseur britannique de cœurs de processeurs ARM, quelques statistiques édifiantes sont rappelées en préambule, comme pour justifier la vogue de l'autonomisation des automobiles : plus de 1,2 million de personnes meurent dans des accidents de la route chaque année ; 94 % des accidents graves sont dus à des erreurs humaines ; les voitures sont à l'arrêt en moyenne plus de 90 % du temps ; dans les grandes villes, à tout moment, un tiers des conducteurs est en train de chercher une place de stationnement… Autant de problèmes, liés tant à la sécurité qu'au confort de conduite et à l'optimisation du trafic routier, auxquels le véhicule autonome ou semi-autonome est susceptible d'apporter des réponses. Pour l'heure, la plupart des fonctions automobiles « intelligentes » ne relèvent que du niveau 1 (assistance) pour le très grand public, du niveau 2 (autonomie occasionnelle ou assistée) pour les véhicules haut de gamme. Des fonctions telles que le contrôle de vitesse, l'assistance au stationnement, la détection de proximité et le freinage d'urgence sont entrées dans les mœurs et équipent désormais certains modèles d'entrée de gamme, mais il s'agit essentiellement de fonctions d'alerte plus que d'assistance active. Le niveau 2 promet, lui, davantage d'autonomie - qu'il s'appelle Traffic jam assist (Audi), Per-sonal CoPilot (BMW), Super Cruise (GM/Cadillac), Distronic Plus (Mercedes), AutoPilot (Tesla) ou Pilot Assist (Volvo) – mais reste souvent optionnel et limité au haut de gamme. Ce qui n'est déjà plus le cas au Japon où Nissan et Subaru ont respectivement démocratisé leurs assistances ProPILOT et EyeSight Touring Assist. La longueur incompressible des cycles de conception, de certification et d'adoption de l'industrie de l'automobile fait que la démocratisation des systèmes d'assistance prendra sans doute plus de temps que ce qu'annoncent souvent les constructeurs dans leurs professions de foi. Les premiers systèmes de niveau 3 sont attendus pour cette année chez Tesla et Audi, et le niveau 4 (autonomie complète sous conditions et en présence du conducteur) ne pointera le bout de son nez qu'en 2020 chez Audi, Nissan et Tesla (peut-être 2019 chez General Motors) et 2021/2022 chez la plupart des constructeurs automobiles. Des initiatives chez tous les constructeurs La majeure partie de ces avancées technologiques n'a pas été développée en interne chez les constructeurs, mais procède soit de rachats, soit de partenariats. Audi a ainsi annoncé une A8 automatisée au niveau 3 utilisant la plateforme logi-cielle TTTech MotionWise tournant sur un processeur graphique Tegra K1 de Nvidia. L'allemand collabore avec Nvidia pour insérer de l'intelligence artificielle à partir de 2020 tandis que sa filiale Autonomous Intelligent Driving crée des solutions de conduite autonome pour le groupe Volkswagen dans son ensemble, avec également un partenariat avec Aurora Innovation. Allié notamment à Intel, sa filiale Mobileye et Delphi, BMW a annoncé des véhicules commerciaux de niveau 3 pour 2021 ainsi que des modèles de niveau 4 et 5 circulant en ville dans des programmes pilotes. D'ores et déjà, plus de 7 000 véhicules BMW et Mini automatisés sont disponibles dans des programmes de partage (DriveNow et ReachNow) dans une quinzaine de villes. Toujours outre-Rhin, Mercedes travaille avec Bosch pour lancer des voitures autonomes de niveau 4 au début de la prochaine décennie. L'allemand collabore également avec Uber et d'autres sociétés de service équivalentes tout en entretenant son propre programme de partage de véhicules, Car2Go, avec 14 000 Mercedes et Smart disponibles dans plus de 25 villes. Aux États-Unis, le plan de sauvetage fédéral de l'industrie automobile a permis aux constructeurs de prendre le train de la modernité et de lancer d'ambitieux plans concernant les véhicules autonomes. Ford vise ainsi 2021 pour le lancement de voitures automatisées utilisées en flottes, après avoir en 2017 racheté Argo AI (qui emploie plus de 200 personnes et a absorbé le fournisseur de lidars Princeton Lightwave) et annoncé un investissement quinquennal d'un milliard de dollars. De son côté, General Motors commercialise déjà des Cadillac de niveau 2. GM a racheté Cruise Automation en 2016 et Strobe (fabricant de lidars) l'année suivante, collabore avec Uber et son concurrent Lyft et ambitionne de déployer des taxis automatisés (« robotaxis ») l'an prochain dans certaines villes américaines. Chez Tesla, la fonction Autopilot figure déjà dans le logiciel embarqué (et mis à jour over-the-air) des voitures fabriquées depuis l'automne 2016 et sera débloqué à mesure que la législation le permet. Au Japon, Honda, associé à Waymo, continue d'ajouter des fonctions à sa technologie Honda Sensing et prévoit de lancer une solution de niveau 3 en 2020 (pour automatiser la conduite sur autoroutes multivoies) et de niveau 4 en 2025. Commercialisant déjà des voitures de niveau 2, Nissan fournit désormais la fonction ProPILOT dans une large partie de son catalogue incluant les Leaf et Rogue/X-trail, et teste depuis le printemps ses robotaxis dans les rues de Yokohama. Pour sa part, Toyota, partenaire de Denso et Renesas, table sur un lancement en 2020 de véhicules autonomes sur autoroutes. Canalys cite enfin Volvo qui livre dès à présent des véhicules de niveau 2 et vise le niveau 4 pour 2021, en parallèle de son programme Drive Me prévoyant une centaine de voitures autonomes déployées en Suède lors des quatre prochaines années et s'appuyant sur le logiciel de Zenuity, joint-venture fondée avec Autoliv. Nvidia collabore avec Audi, Mercedes, Toyota et Volvo pour sa plateforme Drive. Objectif robotaxis Comme on le voit, de nombreuses initiatives visent les services tels qu'Uber et les flottes de robotaxis urbains : il s'agit là sans doute de la première application pratique pour ces véhicules autonomes. Partenaire de GM, Mercedes ou encore Volvo, Uber a créé à cet effet un centre de développement à Pittsburgh, adossé à l'université Carnegie Mellon, et a acquis Otto, une société fondée par d'anciens ingénieurs de Google et spécialisée dans les poids lourds autonomes. Lyft travaille lui avec Ford, GM et Jaguar/Land Rover et les sociétés high-tech Drive.ai, nuTonomy et Waymo, et a ouvert un centre de recherche pour véhicules de niveau 5 à Palo Alto en Califor-nie – voisin donc du centre similaire ouvert par Didi (le Uber chinois) à Mountain View à partir d'anciens ingénieurs Waymo. Si Lyft n'est encore présent qu'en Amérique du Nord et ne pèse donc qu'un carnet de commandes trimestriel (total des montants des courses effectuées) d'un peu plus d'un milliard de dollars, Uber et Didi représentent, à eux deux, environ 20 milliards de dollars de courses chaque trimestre selon Canalys… On est donc très loin, en volume, des expérimenta-tions de location de véhicules menées par les constructeurs eux-mêmes, qui leur servent surtout à tester leurs prototypes. Canalys table d'ailleurs sur une baisse des ventes mondiales de véhicules entre 2020 (97 millions d'unités) et 2025 (95,3 millions) largement due au phénomène des robotaxis en milieu urbain. En 2025, la société d'analyse prévoit que la moitié des voitures commercialisées dans le monde embarqueront des fonctions autonomes de niveau 2 et plus. Parmi les fournisseurs de semi-conducteurs les plus impliqués, on retrouve Intel (qui a racheté Mobileye et est allié à BMW, Fiat Chrysler, Continental, Delphi et Magna), Nvidia (dont la plateforme Drive est mise au point avec Audi, Mercedes, Toyota et Volvo), NXP Semiconduc-tors (dont la plateforme S32 a déjà été adoptée par huit des quinze principaux constructeurs automobiles) ou encore Renesas. < Une Volvo XC90 sans conducteur testée par Uber a été impliquée au printemps dernier dans le premier accident mortel incriminant un véhicule autonome. Législations en cours Reste l'aspect législatif qui, rappelle Canalys, n'a rien de simple, mais peut accélérer ou au contraire retarder l'autonomisation des véhicules. Aux États-Unis par exemple, les essais de véhicules autonomes ont pour l'instant été menés à l'échelle de chaque État, certains, comme la Californie, étant plus permissifs que d'autres… Les deux chambres américaines tentent actuellement de passer des textes de lois permettant d'encadrer ces pratiques à l'échelle du pays. Même souci en Europe, où une lettre d'intention signée des 27 membres (plus la Norvège et la Suisse) prévoit d'améliorer la coopération entre États, notamment aux frontières, mais certains, comme l'Allemagne, pourraient être tentés d'accélérer la manœuvre de leur côté. En Chine, en Australie, à Singapour, des réglementations sont à un stade avancé, de même qu'au Japon qui voudrait lancer des robotaxis pour les Jeux olympiques de Tokyo en 2020.

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