Couverture ElectroniqueS n°127

La pénurie actuelle de composants électroniques est la conséquence d'une stratégie d'achats opportunistes centrée sur une demande obsessionnelle de baisse des prix. Cette pénurie est révélatrice de l'entrée de la supply chain de l'électronique dans une nouvelle ère qui devra écarter la méfiance au profit de la confiance, et le secret au profit de la transparence. Voici quelques réflexions intervenues au cours de la réunion d'information organisée par Acsiel, le Snese et le SPDEI, le 2 octobre dernier. L a pénurie actuelle de composants électroniques - qui sévit depuis le début de 2017 et qui devrait durer encore au moins un an - a fourni l'occasion aux syndicats représentant les fournisseurs de composants et de services, c'est-à-dire Acsiel (composants), le Snese (sous-traitance) et le SPDEI (distribution), d'expliquer à leurs clients les contraintes et les impératifs qui gouvernent leurs activités respectives. La demi-journée en question s'est tenue le 2 octobre dernier, dans les locaux de la Fieec (Paris XVI e ). Lors de cette réunion, les intervenants ont été unanimes à inviter l'ensemble des acteurs de la supply chain de l'électronique à améliorer leurs comportements. Car « tous ont une part de responsabilité dans la crise actuelle », remarque Éric Burnotte, président du Snese, syndicat de la sous-traitance en électronique. Cette initiative est à saluer : mêlant information et formation, elle s'inscrit d'emblée dans l'ère de communication et de transparence que tous les intervenants ont appelée de leurs vœux et qui devrait ainsi succéder à une période marquée des sceaux du secret et de l'opportunisme. À l'origine de la crise actuelle, il y a des comportements d'achats prédateurs, notamment en passifs, qu'ont en particulier dénoncés Éric Burnotte, Jean-Luc Estienne, le président d'Acsiel, et Gilles Benhamou, le Pdg d'AsteelFlash. De tels comportements ont contribué à laminer les marges des fabricants de passifs qui n'ont pu, de ce fait, investir dans de nouvelles capacités de production et ont dû opter pour l'arrêt de fabrication des familles les moins rentables de leurs catalogues. Parmi les gammes concernées par de tels arrêts, figurent, dans le domaine des condensateurs, les produits présentés en boîtiers de taille supérieure au 0402. JEAN-LUC ESTIENNE, président d'Acsiel “ Le business model s'est complexifié et a rendu plus difficile l'obtention de prévisions fiables. Le client est en relation avec des sous-traitants en production, des sous-traitants en design (ODM), des distributeurs ainsi qu'avec des fabricants de composants – certains par le biais des distributeurs qu'ils approvisionnent. À l'influence néfaste des comportements d'achats prédateurs, il faut ajouter l'explosion de la demande en composants, liée à l'émergence de nouvelles technologies et de nouveaux équipements. L'iPhone 10 inclut plus de 1 000 condensateurs contre quelques centaines seulement pour l'iPhone 8 ; le véhicule électrique en comptera entre 10 000 et 20 000 contre environ 3 000 pour l'automobile d'aujourd'hui… En outre, l'arrivée de la 5G, plus gourmande en infrastructures que la 4G, et le déferlement de la vague Internet des objets vont encore doper la demande, les estimations de consommation liée à ces nouveaux venus demeurant néanmoins très floues. Pour la voiture électrique, dont le décollage est aujourd'hui reporté à 2020 et plus, l'acceptation par les conducteurs est toujours mal cernée. Pour d'autres, comme les bracelets connectés, à des promesses de ventes faramineuses, succède le désappointement… Le manque de prévisions : une plaie qui s'infecte Ces nouvelles technologies sont aussi demande uses de miniaturisation. Ce qui se fera au moins en partie, pour cause de difficultés d'investissements comme précédemment évoqué, au prix d'une diminution de production des références présentées en boîtiers de grandes tailles (c'est-à-dire de tailles supérieures au 0402). Le manque de prévisions des donneurs d'ordres vis-à-vis de la sous-traitance en électronique, et donc, par répercussion, vis-à-vis de la distribution et de la fabrication des composants, a été unanimement dénoncé lors du colloque. « Depuis 3-5 ans, les prévisions se sont raréfiées. Nous avons de moins en moins de données prévisionnelles à communiquer aux distributeurs et aux fabri-cants de composants », se désole ainsi Éric Burnotte (Snese). Il rappelle que, manquant de prévisions, le sous-traitant est obligé de travailler dans l'urgence, ce qui se traduit par un surcoût. Manquant de prévisions, la distribution, quant à elle, peine à mettre au point une stratégie de livraison pertinente. Manquant de prévisions, les fabricants de composants hésitent, quant à eux, à investir. Dans le domaine du semi-conducteur, les révisions successives à la hausse du marché mondial, opérées par les analystes en 2017 et en 2018, sont révélatrices des difficultés d'évaluation du marché, ainsi que l'a indiqué Jean-Luc Estienne (Acsiel). Mais pourquoi semble-t-il aujourd'hui de plus en plus difficile, d'une part, de fournir des prévisions, et, d'autre part, de considérer les prévisions fournies comme pertinentes ? Le manque de prévisions est d'abord la conséquence de la complexification du business model liant fabricants de composants, sous-traitants et clients finaux, selon Éric Burnotte et Jean-Luc Estienne. « Dans les grands groupes, on est passé d'une structure verticale où les acteurs consommaient ce qu'ils fabriquaient – Philips produisait entre 60 et 70% de sa consommation en composants – à un système éclaté où interviennent beaucoup plus d'acteurs et où la communication est beaucoup moins efficace », remarque Éric Burnotte. « Aujourd'hui, le client est en relation avec des sous-traitants en production, des sous-traitants en design (ODM), des distributeurs ainsi qu'avec des fabricants de composants - certains par le biais des distributeurs qu'ils approvisionnen t », renchérit Jean-Luc Estienne. Aussi, dans le cas où le client répartit sa production entre différents sous-traitants, chacun d'eux s'approvisionnant ou non auprès de la distribution, tout en conservant la main sur une par-tie des commandes, les prévisions seront acheminées via des canaux différents. « Dans la plupart des cas, la somme de ces données partielles ne représentera pas la prévision totale réelle en raison d'aléas et d'erreurs (transmissions erronées d'informations…) », remarque le président d'Acsiel. Conséquence : le fournisseur de composants a du mal à identifier les priorités. M. Estienne indique aussi que les erreurs de prévisions peuvent être également la conséquence d'une maîtrise défaillante des outils de planification. LES BROKERS SONT BIENVENUS EN PÉRIODE DE PÉNURIE Les brokers sont des revendeurs de composants spécialisés dans la recherche des références difficiles à trouver sur le marché (composants sous allocation, frappés d'obsolescence…). Les brokers ont aussi une deuxième activité : le sourcing qui est la recherche de composants alternatifs et à moindres coûts. Les distributeurs franchisés sont très méfiants par rapport aux brokers qu'ils accusent d'être le cheval de Troie de la contrefaçon. Au cours de la réunion du 2 octobre, Richard Crétier a pris la défense des brokers en remarquant que « s'ils réapparaissent, c'est bien parce que les circuits traditionnels ne fonctionnent plus ... Aujourd'hui, quand un sous-traitant est en panne de composants, la seule solution qu'il a est de faire appel aux brokers ». « Considérons donc que c'est un mal nécessaire et que tous les brokers ne sont pas des escrocs », conclut-il. De façon à faciliter et à sécuriser les approvisionnements via les brokers, le Snese a mis en place un système de notation de ces derniers. Une industrialisation à reconquérir Les retards de fabrication et les erreurs de commandes sont aussi à mettre sur le compte d'une perte de savoir en indus-trialisation des matériels. Rappelons que l'industrialisation d'un produit électronique consiste à créer un dossier de fabrication, à sélectionner les outils de production idoines, les tests à effectuer ainsi que les couples « composants-machines ». « Cette étape est de plus en plus ignorée… Elle est pourtant essentielle et influe sur le choix des composants – leurs conditionnements notamment - les coûts et les délais de fabrication », insiste Éric Burnotte (Snese). « La rapidité de pose d'une machine alimentée par stick peut être 6 fois moindre que celle de la même machine alimentée par bande », explique-t-il. ÉRIC BURNOTTE, président du Snese “ Depuis 3-5 ans, les prévisions se sont raréfiées. Nous avons de moins en moins de données prévisionnelles à communiquer aux distributeurs et aux fabricants de composants . Les donneurs d'ordres ont aussi des efforts à faire au plan de la nomenclature des composants. Ils doivent prévoir l'achat d'équivalents. En effet, a fortiori en cas de pénurie, les contraintes qu'ils imposent sur les fournisseurs compliquent la vie du sous-traitant, et par répercussion, de l'ensemble de la supply chain. Il faut que les donneurs d'ordres optent de plus en plus pour l'Open Source. Des domaines très spécifiques Chaque domaine de composants (actifs, passifs, électromécaniques, connectique et circuits imprimés) est spécifique et obéit à des règles qui lui sont propres. L'un des travers à éviter serait de transposer des recettes appliquées avec succès dans un de ces domaines à un autre, ainsi que l'a remarqué Jean-Luc Estienne. Aussi, pour permettre aux participants à la demi-journée de mieux cerner lesdits domaines, les intervenants ont passé en revue les spécificités de chacun d'eux. En semi-conducteurs, Jean-Luc Estienne a rappelé l'importance (croissante) des investis-sements nécessaires à la production : « la construction d'une nouvelle usine coûte entre 1 et 10 milliards de dollars ; le prix du moindre équipement de salle blanche est compris entre 1 et 10 millions de dollars ; celui d'un jeu de masques, entre 100 000 dollars et 1 million de dollars ». Or, quand il y a transfert de production d'une usine vers une autre, il faut régénérer des niveaux de masques et s'acquitter de nouveaux coûts fixes… « Les fabricants hésitent à procéder à de tels lancements s'ils n'ont pas la garantie de volumes suffisants permettant un retour sur investissement satisfaisant », constate M. Estienne. L'analyse du marché mondial des semi-conducteurs révèle des alternances de suroffre et de sous-offre, liées à l'intervention périodique d'investissements en capacités de production. Ce marché est un marché cyclique. Cette industrie est aussi capitalistique. Les montants faramineux des investissements nécessaires à la production sont ainsi à l'origine de regroupements d'entreprises. PASCAL FERNANDEZ, président du SPDEI “ Le distributeur fait le lien entre la rigidité des fournisseurs de composants et la diversité de la demande des clients, ainsi que les contraintes de livraisons On-Time posées par ces derniers… Les clés du succès reposent sur la qualité de la collaboration, soit le partage sincère et régulier d'informations et de prévisions. Enfin, la technologie utilisée favorise la fourniture de grands volumes. En effet, la fabrication de semi-conducteurs est un procédé perfectible, qui s'améliore au fur et à mesure que des correctifs, issus de la confrontation de contrôles statistiques des paramètres avec les productions, lui sont appliqués. Ce process s'améliore ainsi continûment pour déboucher sur un process stable et de qualité… À condition que l'effet statistique puisse jouer ! « Si on ne fabrique plus qu'un à deux lots par an, on perd le savoir relatif à la production du composant – ce qui se traduit par l'apparition de dérives –, d'où une diminution du rendement de fabrication », souligne Jean-Luc Estienne. La deuxième raison technique qui fait de cette industrie une industrie privilégiant les grandes séries, c'est que la fabrication de semi-conducteurs fait habituellement appel à des lots de l'ordre de 50 tranches de silicium – ce qui, suivant la taille des puces, équivaut à des milliers, des dizaines de milliers voire des centaines de milliers de puces. Cette fabrication ne peut servir au minimum que le demi-lot. Ce qui signifie que les petites commandes (en deçà du millier de pièces, par exemple) auront du mal à être prises en compte. En tout cas, les semi-conducteurs trop peu demandés ne pourront pas évoluer au plan technologique, c'est-à-dire qu'ils ne pourront pas être miniaturisés suivant la loi de Moore (division par 2 des dimensions des fonctions logiques, tous les 18 mois). De 8 à 20 semaines pour obtenir un semi-conducteur Enfin, depuis environ 1 an, les fabricants de semi-conducteurs font face à un nouveau pro- blème : les fournisseurs de tranches de silicium vierges – cinq groupes contrôlent 90% du marché mondial - ont augmenté leurs prix et imposent aux fabricants de composants actifs des engagements fermes sur 2 à 3 ans. L'industrie du semi-conducteur est ainsi prise entre eux feux : d'un côté une obligation de s'engager sur le long terme, de l'autre, des commandes très fluctuantes de la part des clients, les grands volumes étant le fait de fabricants de matériels électroniques grand public pour lesquels la demande est soumise à des contraintes économico-sociales complexes. M. Estienne a rappelé que le cycle de production des semi-conducteurs est compris entre 8 et 20 semaines. Ce cycle se subdivise en une étape de Front-End , qui correspond aux opérations de fabrication et de test menées sur les plaquettes de silicium, suivie d'une étape de Back-End , qui correspond à la mise en boîtiers des puces. Le délai de livraison aux clients dépend, quant à lui, du taux de charge des usines, de la disponibilité des matières premières ainsi que de la présence ou non de stocks de produits finis et de produits semi-finis dans l'usine. De ce fait, en cas de stocks, ce délai peut être inférieur à la durée du cycle de fabrication (de 8 à 20 semaines) ; en cas de manque de capacités de production, il peut dépasser 1 an. Passifs : vers une raréfaction des gros boîtiers Enfin, tout composant naît et meurt, c'est-à-dire a une durée de vie. Sa mort est conditionnée par une baisse de la demande qui obère la rentabilité de sa fabrication. Cette mort est parfaitement encadrée et fait l'objet de communications aux clients : annonce de fin de vie (EOL pour End Of Life ) et de dernière commande avant arrêt de production (LBO pour Last Buy Order ). « Il faut prendre en compte la durée de vie des composants dès la conception. C'est le rôle du DFM (Design For Maintenance) », rappelle M. Estienne. Alain Lafuente (Würth Elektronik) a fait le point sur la situation en composants passifs (résistances, condensateurs et inductances) ainsi que sur les spécificités de cette industrie. Il a rappelé la gravité de la pénurie qui sévit depuis plus d'un an en condensateurs céramique multicouches (MLCC). Celle-ci « devrait durer encore pendant plus d'un an », selon l'expert. Les autres composants passifs concernés par cette pénurie sont les résistances. Cette crise est le résultat d'une politique d'achats irresponsable reposant sur une demande récurrente de baisse des prix : « tous les ans, l'acheteur obtient une réduction de 5 % sur les prix des passifs… On trouve aujourd'hui des rouleaux de résistances à 3 euros, ce qui ne couvre même pas le prix du transport et de l'emballage… La rentabilité de la fabrication n'est donc plus assurée et l'entreprise a des difficultés à investir, le coût d'une usine de production s'élevant à quelques centaines de millions d'euros », pointe M. Lafuente. GILLES BENHAMOU, Pdg d'AsteelFlash “ Pendant des années, on a considéré qu'il suffisait de claquer des doigts pour obtenir, six semaines après, n'importe quel composant, ou pour se faire octroyer le fameux rabais annuel de 6 à 7% sur les prix. On voit où cela nous a menés… Une ère s'achève. Les fabricants de composants n'investiront plus à perte ! Le problème de fond est le manque de considération des acheteurs pour les composants passifs, surtout les condensateurs et les résistances. Classés en catégorie C3, ces composants, peu chers, sont considérés comme du « tout-venant » et du « toujours disponible ». Ce qui tend à maintenir chez les acheteurs, des réflexes d'achats de dernière minute. Ce manque de considération se manifeste par un manque de communication des donneurs d'ordres avec les fournisseurs de passifs. Or, « il ne suffit pas de connaître la valeur de la capacité et de la tension de fonctionnement du condensateur, ainsi que le boîtier choisi, il faut aussi savoir quelle est la quantité désirée… », rappelle M. Lafuente. Ce manque de communication est une des causes de la pénurie actuelle de condensateurs céramique multicouches. « Le fabricant découvre, par exemple, chez un client, que le composant présent, l'année X, sur deux cartes, l'est, l'année X+1, sur une vingtaine de cartes », remarque Arnaud Ponthieux (TDK Electronics). Confronté à de tels manques de prévisions ainsi qu'à une rentabilité de plus en plus problématique, le fabricant de composants hésite à investir et ne va conserver que les références les plus rentables, celles qui font l'objet des plus grandes demandes. En condensateurs, de tels composants sont ceux encapsulés dans de petits boîtiers (aux dimensions inférieures au 0402). « Si je fabrique du 0402 plutôt que du 1210, j'obtiendrai, avec la même ligne de production, des milliers de pièces en plus », annonce M. Lafuente (Würth Elektronik). « Les investissements actuels en MLCC concernent des petits boîtiers (inférieurs au 0402)… Le numéro 1 mondial du MLCC a annoncé une baisse de 30% par an de la fabrication de boîtiers de tailles supérieures au 0402 ; cette baisse prend effet dès cette année », renchérit Fabrice Lecordier, directeur général de TTI Europe du Sud. En outre, le monde des condensateurs rencontre des problèmes de matières premières : « en Chine, les contraintes environnementales ont été à l'origine de fermetures d'entreprises fournissant des matières premières… L'administration Trump a instauré une taxe sur l'aluminium – qui est très utilisé dans les condensateurs céramique et électrolytiques », souligne Alain Lafuente. L'avenir s'annonce très tendu car les nouveaux équipements incluent davantage de passifs, comme évoqué plus avant. « On est déjà en situation de pénurie alors que le marché des véhicules électriques n'a pas encore décollé… En 2020, quand ce marché démarrera, la demande progressera donc fortement. Rien que dans le véhicule hybride, la valeur des passifs sera de l'ordre de 10 fois celle correspondant à ceux présents aujourd'hui dans le véhicule thermique », prévient Arnaud Ponthieux (TDK Electronics). Les fabricants de passifs, notamment de condensateurs, chercheront à servir en priorité les grands clients de plus en plus demandeurs de petits boîtiers (0201, 01005). « Dans les 5 à 10 ans à venir, les grandes tailles de boîtiers (au-delà du 0805) se feront rares », prévoit Alain Lafuente. En tout cas, aujourd'hui, les délais de livraison des condensateurs céramique en gros boîtiers (1210) sont compris entre 50 et 60 semaines. Au vu de ce panorama, il est bon de penser dès maintenant au remplacement des condensateurs MLCC par des condensateurs polymère qui, eux, demeurent disponibles sur le marché. Quant au sous-ensemble des inductances, il se porte bien. Peut-être « parce que ce composant est moins considéré comme un produit commodity, et fait donc l'objet de davantage de prévisions », indique M. Lafuente. Néanmoins, M. Ponthieux a signalé des tensions résiduelles sur « quelques inductances spécifiques ». Connectique et circuit imprimé : deux univers complexes Gérard Vallet, directeur des ventes chez Radiall, a dressé un tableau des spécificités de la connectique, domaine pour lequel il n'y a pas de problème de livraisons. Faisant appel à une multitude de savoirs (matériaux, chimie, plastique, électronique, mécanique…), cette industrie propose un très grand nombre de références (plus de 100 000) et sert des quantités allant de très faibles à très importantes. D'où une logistique complexe, confiée de plus en plus à la distribution. Le monde du circuit imprimé a, quant à lui, fait l'objet d'une présentation d'Éric de Ponteau, directeur général de CSI Sud-Ouest (groupe Cimulec). Le circuit imprimé est un composant spécifique dont la fabrication requiert un nombre élevé d'opérations élémentaires, ce qui contraint à une importante logistique d'atelier. En France, la demande en circuits imprimés excède de beaucoup l'offre. Rien que les sous-traitants adhérents au Snese représentent un montant annuel d'achats de circuits imprimés supérieur à 650 M€. Alors que, dans l'Hexagone, la production est de l'ordre de 200 M€. Aussi les fabricants français de circuits imprimés se concentrent-ils sur des produits à très haute valeur ajoutée (complexité, fiabilité, qualité, rapidité de livraison et services) fournis en petites séries (de l'unité à quelque 10 000 pièces). Il en résulte que la majorité des demandes des clients français sont servies par des importateurs comme Icape, NCAB… Les nouveaux équipements sont et seront très gourmands en composants. L'iPhone 10 inclut plus de 1 000 condensateurs contre quelques centaines seulement pour l'iPhone 8 ; le véhicule électrique en comptera entre 10 000 et 20 000 contre environ 3 000 pour l'automobile d'aujourd'hui… Un nouvel ordre mondial ? « La pénurie de semi-conducteurs est un fait connu qui intervient périodiquement – tous les 5 à 6 ans. La nouveauté de la crise actuelle, c'est qu'elle touche également les composants passifs, ce qui est inhabituel », a déclaré Éric Burnotte (Snese). La pénurie en question concerne au premier chef les condensateurs céramique multicouches les chips résistifs, les discrets notamment ceux encapsulés en boîtiers SOT 23, les FET et les MOSFET. « En passifs, ce sont les résistances et les MLCC qui demeurent les plus critiques », selon Arnaud Ponthieux. Cette pénurie devrait durer encore plus d'un an. En fait, « de la même façon qu'on est dans l'incapacité de fournir des prévisions de croissance, on est incapable de donner une prévision de sortie de pénurie », remarque prudemment Jean-Luc Estienne. Selon Pascal Fernandez, président du SPDEI, il faut s'attendre, en 2019, à des problèmes de livraison pour tous les composants précités ainsi que pour les mémoires Dram – un domaine victime de son utilisation par les fabricants de matériels électroniques grand public. Outre les boîtiers SOT 23 (pour les discrets), les gros boîtiers de condensateurs se raréfieront ainsi que nous l'avons indiqué plus avant. Cette pénurie est le signal d'alarme pour une nécessaire entrée de la supply chain de l'électronique dans une nouvelle ère. « Pendant des années, on a considéré qu'il suffisait de claquer des doigts pour obtenir, six semaines après, n'importe quel composant, ou pour se faire octroyer le fameux rabais annuel de 6 à 7 % sur les prix. On voit où cela nous a menés ! », s'est exclamé Gilles Benhamou (AsteelFlash). « Une ère s'achève. Maintenant, les fabricants de composants n'investiront plus à perte ! », prévient-il. Ainsi se dessine un nouvel ordre mondial, un ordre basé sur davantage de transparence et de confiance entre les acteurs. On commence à comprendre les avantages qu'il y a à coopérer. La perte de temps et d'énergie passée en accusations réciproques entre sous-traitance et distribution doit laisser la place à la discussion ensemble autour des projets et des développements. Dès aujourd'hui, les clients doivent penser à demander aux fournisseurs des recommandations pour chaque référence à problème, selon Arnaud Ponthieux. En effet, en condensateurs, par exemple, les délais de livraison varient en fonction de la capacité et de la tension de fonctionnement recherchées ainsi que de la qualité envisagée (industrielle, automobile, aérospatiale…). Prévoir encore et toujours En période de vaches maigres, il faut aussi savoir remettre en cause des comportements et des réglementations caducs. « Alors que les MLCC sont sous allocation, les condensateurs polymère, qui peuvent remplacer des MLCC, présentent, quant à eux, des délais raisonnables… », remarque, par exemple, M. Lecordier. Dans le cas des alimentations à découpage, il serait ainsi souhaitable de remplacer les condensateurs céramique en boîtiers 1210, à délais de livraison 50 à 60 semaines, par des condensateurs polymère « trouvables » sur le marché, selon Alain Lafuente. Cet intervenant a d'ailleurs conseillé de doubler les empreintes de condensateurs sur la carte : « ajoutez, à l'empreinte du MLCC, une empreinte de polymère ! ». Dans la même optique, il faudrait que les donneurs d'ordres lèvent certaines restrictions encadrant la fourniture des composants de la nomenclature. « En période de pénurie, les restrictions compliquent encore plus la vie de tous les acteurs », souligne Éric Burnotte (Snese). Toutefois, à l'inverse, la pénurie favorise aussi le changement de comportement : « pendant des années, parler d'Open Source a été impossible. Aujourd'hui, du fait de la pénurie, ça passe comme une lettre à la poste », constate ainsi M. Benhamou. Il importe néanmoins que le donneur d'ordres ait anticipé ce problème, sinon, « recourir à d'autres sources à la dernière minute présente des risques », rappelle le Pdg d'AsteelFlash. Ce changement d'attitude est d'autant plus nécessaire qu'« on ne sortira pas de la crise de sitôt. L'arrivée de nouveaux matériels (véhicule électrique, 5G, Internet des objets) induira de nouveaux déficits de l'offre et la crise endémique sera la nouvelle donne », estime Gilles Benhamou. FABRICE LECORDIER, directeur général de TTI Europe du Sud “ Les investissements actuels en MLCC concernent des petits boîtiers (inférieurs au 0402)… Le numéro 1 mondial du MLCC a annoncé une baisse de 30 % par an de la fabrication de boîtiers de tailles supérieures au 0402 ; cette baisse prend effet dès cette année. ” L'industrialisation, « qui a une influence majeure sur les coûts et les délais de fabrication », doit aussi retrouver un droit de cité, comme nous l'avons indiqué plus avant. Car actuellement, « cette étape est de plus en plus ignorée ; elle ne fait pas toujours partie des prestations proposées par le bureau d'études », remarque Éric Burnotte. De manière similaire, le bureau d'études ne doit pas se vivre comme étant détaché des contingences économiques. Il lui faut n'utiliser que les composants disponibles sur le marché. Ce qui suppose, en plus d'une prise en charge de l'aspect technique, une prise en charge du volet économique encadrant la disponibilité des composants (veille relative aux EOL, LBO… et prise en compte des feuilles de route technologiques transmises – normalement – par les fabricants de composants). Le bureau d'études doit aussi se montrer créatif. Il doit dépasser certaines routines, comme la tendance à résoudre les problèmes (bruit, adaptation…) par l'ajout de composants. « Entre la version A et la version B d'un projet, le bureau d'études aura tendance à ajouter une vingtaine de passifs et discrets. Même si ces composants ne coûtent pas grand-chose, leur ajout participe d'une recherche de résolution des problèmes et des erreurs par enrichissement, qui doit changer », remarque M. Benhamou. Enfin, pour qu'il ait une référence stable dans les relations entre les différents acteurs de la supply chain, il est nécessaire de contractualiser celles-ci. « La relation entre le sous-traitant et le fournisseur doit faire l'objet d'un contrat qui établisse clairement les responsabilités de l'un et de l'autre », estime, par exemple, Pascal Fernandez (SPDEI). Un observatoire des composants La contractualisation agit comme un garde-fou. Elle réduit, en cas de problème, une perte de temps occasionnée par des disputes stériles. Elle est liée à l'amélioration des prévisions qui permettra, elle-même, une amélioration des achats et des livraisons. « Faute de prévisions, il est difficile d'adapter les capacités de production », rappelle Éric Burnotte. À ce jeu, il semble que « les entreprises françaises soient beaucoup moins douées que les entreprises d'outre-Rhin qui, elles, communiquent à l'avance les quantités à fabriquer », indique M. Burnotte. « En France, le problème majeur a été le manque de communication des clients, et notamment le manque de prévisions », renchérit Fabrice Lecordier. « Alors que nombre de marchés européens – comme ceux de l'Allemagne et de l'Italie – ont réagi très vite en mettant en place des stocks de sécurité, en France, il y a eu un décalage de 6 mois : ce n'est qu'au 2 nd semestre 2017 que les clients ont commencé à nous interpeller », poursuit-il. La gestion des obsolescences fait aussi partie de la prévision. « Plus on s'en préoccupe en amont, moins cela coûte cher », rappelle M. Estienne. Enfin, tous les intervenants ont convenu qu'il était indispensable qu'Acsiel, le Snese et le SPDEI mettent sur pied un observatoire des composants « qui permette d'identifier les évolutions technologiques, les variations dans les délais de livraison et les prix des composants », ainsi que l'exprime Richard Crétier, délégué général du Snese. « Il est nécessaire de se doter d'un observatoire qui permette de partager des informations comme les roadmap », remarque, à son tour, Gilles Benhamou. « Un observatoire permettra de mutualiser les informations détenues par les différents acteurs de la supply chain… On peut imaginer une réunion périodique avec un point sur l'évolution des délais de livraison, des technologies, etc. », conclut Fabrice Lecordier (TTI).

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