Couverture ElectroniqueS n°127

Dans la guerre mondiale de la microélectronique, les groupes américains et Samsung sont aujourd'hui les leaders. Mais la Chine essaie de rattraper son retard, notamment en recrutant à grands frais les meilleurs talents mondiaux. Les incitations financières pour recruter des étrangers sont très importantes. M ounia Van deCas-teele, du cabinet Xerfi, confirme que la situation actuelle en microélectronique est tou-jours marquée par la toute puissance des groupes améri-cains, les lacunes chinoises et le caractère ultra-compétitif du secteur avec des efforts indéniables de la Chine pour rattraper son retard. Selon Xerfi, la trajectoire de l'industrie mondiale des semiconducteurs soulève des questions économiques et géopolitiques des plus intéressantes. Elle révèle notamment com-bien le système productif chinois est encore fragile et comment ce pays use de stratégies nouvelles pour combler son retard. Le plan «Made in China 2025» vise, entre autres, à produire localement 40% des besoins en semi-conducteurs d'ici à 2020 et 70% d'ici à 2025. L'affaire Huaweï encourage la Chine à accélérer son développement en semi-conducteurs. Par nature hyper-compétitive car soumise au rythme incessant des innovations, l'industrie des semi-conducteurs pro-gresse de 8,4 % par an depuis 2009. Son chiffre d'affaires a dépassé 396 milliards de dollars en 2018. Les mémoires représentent encore plus du tiers de la valeur du marché du fait de l'importance des ventes de smart-phones, PC et tablettes. Suivent ensuite les circuits intégrés logiques (23 %), les microcomposants (14 %) et les puces analogiques (12%). Mais l'offre des industriels s'ajuste. La demande se tourne en effet vers des puces plus complexes et plus rapides avec l'avène-ment des réseaux 5G, l'essor du machine learning et du cloud computing , tandis que la connectivité croissante des objets tire le potentiel du marché vers le haut. L'automobile, l'énergie, l'industrie, la santé et les datacenters s'imposent comme de nouveaux relais de croissance. C'est dans ce contexte que deux modèles économiques s'affrontent. D'un côté les acteurs verticalement intégrés, comme le sud-coréen Samsung et l'américain Intel, respectivement numéro un et numéro deux mondial. L'autre modèle d'affaires est celui des américains Qualcomm, Broadcom ou Western Digital. Une mention particulière doit être faite pour le concepteur américain de circuits pour mobiles, Qualcomm. Dans le but de renforcer sa gamme de produits pour les smartphones 5G, ce dernier a en effet acquis pour 3,1 milliards de dollars (1,15 milliard de dollars pour le prix des parts auxquels s'ajoutent 1,95 milliard de dollars de paiements afférents) 49% des parts de son partenaire japonais TDK dans leur entreprise commune RF360 Holdings Singapore, spécialisée dans la fabrication de pièces pour équipements de télécommunication qui gèrent les filtres de fréquence pour les équipements sans fil de quatrième et cinquième générations. Notons enfin qu'en 2018, la Maison Blanche avait bloqué le rachat de Qualcomm par Broadcom au prix de 117 milliards de dollars. Raison invoquée : la nationalité malaisienne du p-dg de Broadcom, Tan Hock Eng, soupçonné d'être trop proche des Chinois. « Il existe des preuves crédibles qui me portent à croire que Broadcom pourrait prendre des mesures qui menacent de compromettre la sécurité nationale des États-Unis », avait déclaré Donald Trump. Avec un salaire annuel de 103 millions de dollars, Tan Hock Eng est aussi le p-dg le mieux payé aux États-Unis. Traitant environ un quart des ventes mondiales, leur modèle est dit fabless , sans usine, ces acteurs se focalisant sur la R&D et le marketing. Leurs revenus proviennent de la commercialisation des produits ou de licences d'utilisation. Puissance des groupes américains Et bien que ce modèle ne soit pas plus efficient que le premier, il fait des émules : les groupes intégrés restructurent leurs portefeuilles d'actifs par des délocalisations d'usines ou l'externalisation de certaines activités. À côté des deux coréens (Samsung, n°1 mondial et SK Hynix, n°4), du taïwanais TSMC, n°3, du Japonais Toshiba, n° 9, six groupes américains figurent dans les dix premiers mondiaux des fabricants de microprocesseurs (Intel, n° 2, Micron, n° 5, Broadcom, n° 6, Qualcomm, n°7, TI, n°8 et Nvidia, n°10). Les économies d'échelle et les effets d'expérience se révèlent aussi déterminants dans ce secteur et poussent à la concentration. D'abord d'un point de vue capitalistique. Les dix premiers acteurs totalisent 59 % du chiffre d'affaires de l'industrie mondiale, une part en progression d'environ 13 points depuis 2006. Ensuite au niveau géographique. Les trois quarts des capacités de production se localisent dans quatre pays d'Asie : Taïwan, Corée du sud, Japon et Chine. Enfin, trois nationalités dominent ce top 10. Les firmes américaines sont surreprésentées. Deux groupes sud-coréens se positionnent en haut du classement. Les acteurs européens, eux, sont de plus petite taille du fait d'une focalisation sur des segments de marché spécifiques. Et, fait rare dans un secteur industriel: les groupes chinois manquent à l'appel. Pour le moment… Efforts chinois de rattrapage La Chine fait feu de tout bois pour rattraper son retard. Alors que le pays est le 2 e marché mondial des semi-conducteurs, les entreprises chinoises sont absentes du secteur. À l'heure actuelle, la Chine importe 84% de ses besoins en semi-conducteurs. 16% de ses semi-conducteurs sont produits localement, dont seulement la moitié sont fabriqués par des sociétés chinoises. Le plan « Made in China 2025» vise, entre autres, à produire localement 40% des besoins en semi-conducteurs d'ici à 2020 et 70% d'ici à 2025. L'affaire Huawei encourage la Chine à accélérer le développement de son industrie nationale des semi-conducteurs. Les sociétés nationales de semi-conducteurs et les développeurs de logiciels sont en partie exemptés de taxes. En même temps, Pékin recrute à grands frais des talents étrangers. La Chine s'est en effet fixé des objectifs ambitieux dans ce domaine hautement stratégique pour atteindre le leadership dans l'intelligence artificielle et les technologies du futur. Il en va également de sa dépendance économique vis-à-vis de l'étranger. Pour ce faire, la Chine investit dans de nouvelles usines. Elle structure aussi son industrie par des acquisitions d'acteurs locaux ou étrangers, sous l'égide du groupe public Tsinghua Uni-group. Le 27 août dernier, Tsinghua Unigroup a annoncé la signature d'un accord avec le gouvernement de la province de Chongqing en vue de la création d'un centre de R&D et d'une usine de fabrication de tranches pour la production de Dram. La construction de ces installations, qui seront situées dans la nouvelle zone de Liangjiang à Chongqing, devrait commencer vers la fin de 2019 et s'achever en 2021, selon TrendForce. Ce dernier y voit la détermination inébranlable de la Chine à parvenir à l'autosuffisance en matière d'approvisionnement de mémoires. L'escalade continue du différend commercial entre les États-Unis et la Chine a contraint le gouvernement chinois à redoubler d'efforts pour créer une industrie nationale de Dram. Le programme des mille talents a été établi par le gouvernement chinois afin de reconnaître et recruter des experts internationaux de premier plan en recherche scientifique, en innovation et en entrepreneuriat. Création d'une unité de fabrication de Dram Tsinghua Unigroup avait déjà publié un communiqué le 30 juin confirmant la création d'une unité commerciale de Dram avec Diao Shijing, ancien directeur au ministère de l'Industrie et des Technologies de l'information (MIIT) en tant que chairman, et Charles Kao en tant que p-dg. Selon l'évaluation actuelle de TrendForce, c'est le développe-ment de la technologie qui constitue le premier défi majeur auquel sera confrontée la division Dram de Tsinghua Unigroup. Contrairement à d'autres acteurs chinois, Tsinghua Unigroup n'a pas de partenaire extérieur capable de fournir l'expertise cruciale. Un autre groupe chinois, JHICC, avait acquis un savoir-faire considérable grâce à son ancien partenariat avec le taïwanais UMC. De même, CXMT a obtenu les licences de technologies clés de l'allemand Qimonda pour développer ses Dram. Dans le cas de Tsinghua Unigroup, sa filiale de conception de circuits intégrés, Uni-group Guoxin Microelectronics, dispose cependant de la capacité de recherche et développement nécessaire à la conception de mémoires. Si Tsinghua Unigroup doit mettre en place un processus de Dram en partant de ses propres ressources, la tâche dans son ensemble pourrait durer entre trois et cinq ans. Ainsi, même lorsque l'usine de Chongqing sera achevée et qu'elle commencera effective-ment à produire de petits volumes en 2021 comme prévu, il faudra encore plusieurs années avant que cette usine ne produise des Dram avec des économies d'échelle. Pour cela, la direction de l'entreprise espère attirer les talents du secteur susceptibles de renforcer ses équipes. TrendForce rappelle qu'il ne s'agit pas de la première tentative de Tsinghua Unigroup d'entrer sur le marché des mémoires Dram. Le conglomérat avait déclaré son intention de développer des Dram dès 2014. L'autre fabricant national de Dram CXMT devrait commencer à produire en volume vers la fin de l'année, mais sa production ne devrait pas devenir importante avant la fin de 2020 au plus tôt. La perspective actuelle de l'État chinois est qu'une société de mémoires nationale ne suffit pas pour couvrir l'ensemble des besoins du pays en Dram. La guerre des talents est déclenchée Quoi qu'il en soit, le mouvement est amorcé et américains et européens se cabrent désormais sur la question de l'internationalisation des groupes chinois. L'affaire Huawei est là pour nous le rappeler. Pékin a malgré tout d'autres cordes à son arc. C'est le cas avec le plan « Mille talents » visant à faire venir ingénieurs, scientifiques et entrepreneurs, chinois ou non-chinois, grâce à de très grosses incitations financières… La guerre des talents est bel et bien déclarée! Les meilleurs étudiants chinois vont souvent à l'étranger pour des études avancées, et la grande majorité décide d'y rester après leurs études. Pour inverser cette tendance et renforcer la taille et le prestige du système universitaire chinois, le gouvernement central chinois a reconnu la nécessité d'attirer les talents étrangers et les meilleurs talents nés à l'étranger dans les meilleures universités du monde. La Chine y met les moyens. Selon notre confrère Le Monde , « chaque lauréat doit recevoir une prime de départ d'un mil-lion de yuans (130 000 euros) sur le budget central de la nation ». Les frais divers, déménagement, assurance, scola-rité, appartement, sont pris en charge par le programme, qui offre également une bourse de recherche de 5 millions de yuans aux lauréats. Les lauréats seront amenés à occuper « des positions de direction, professionnelles ou techniques, dans des universités, des centres de R&D, des entreprises d'État et à travailler sur des projets nationaux-clés dans les sciences et la technologie ».

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