Couverture ElectroniqueS n°127

L'industrialisation regroupe trois activités : la gestion des nomenclatures, la fabricabilité des produits et leur testabilité. Nombre de facteurs ont influé sur son évolution au cours des 20 dernières années, aussi divers que la miniaturisation des composants, la mondialisation, l'avènement du contrôle AOI… Des experts de la sous-traitance française nous donnent leur sentiment à ce sujet. L e mot industrialisation a deux connotations : l'idée de fabrication, d'une part, et l'idée de quantité, d'autre part. Il impose de préciser ce qui est l'objet de l'industrialisation : est-ce l'idée ou le prototype – pompeusement rebaptisé Proof of Concept (PoC)? La réponse qui vient (trop?) immédiatement à l'esprit dérive d'un scénario patiné par les ans : au bureau d'études revient le design du produit, soit la transcription de l'idée en prototype fonctionnel, et à l'équipe en charge de l'industrialisation revient l'étape suivante, celle qui mène du PoC à la production en série. Ce schéma binaire semble toutefois faire fi de l'influence de l'industrialisation sur le design, des changements dans la nomenclature, des changements dans la stratégie de test et des changements dans les équipements de l'atelier. D'où, une seconde école qui considère que « l'industrialisation est la prise en compte des contraintes et des optimisations industrielles dès le démarrage du design d'un produit ». Et que « c'est donc une action menée parallèlement au design », ainsi que l'annonce Philippe Masse-lin, directeur de l'engineering du groupe Selha. Trois activités au sein de l'industrialisation Dans la pratique, la différence entre les écoles « Industrialisation série » et « Industrialisation parallèle » n'est peut-être pas si importante qu'il n'y paraît. En effet, tous les experts que nous avons interviewés s'accordent à dire que l'industrialisation intervient de plus en plus en amont, au niveau du design, et que les liens entre le bureau d'études et la cellule industrialisation se sont resserrés au cours des 20 dernières années. Il faudrait encore préciser les différences existant au sein de l'école « Industrialisation série ». « Certains intègrent la CAO dans l'industrialisation, d'autres pas », remarque ainsi Eric Burnotte, le président du Snese. L'industrialisation regroupe trois activités : la fabricabilité des produits, leur testabilité et la gestion des nomenclatures. Depuis quelque 20 ans, les liens entre le bureau d'études et l'équipe en charge de l'industrialisation se sont resserrés. Tous les experts contactés ont indiqué que l'industrialisation se décline en trois activités : la première est en charge de la fabricabilité des produits, la deuxième de leur testabilité et la troisième de la gestion des nomenclatures. Traitons d'abord la fabricabilité. « L'aspect fabrication consiste à confronter un premier routage, défini par le bureau d'études assisté d'un outil de CAO, à un ensemble de critères de bonne fabrication (telle largeur de pad pour tel composant, telle distance entre piste et bord de carte, etc.) », explique Jean-Marc Chateigner, le directeur de la qualité de Tronico. Dans la pratique, Tronico compare la première mouture de routage aux règles d'industrialisation de façon à la faire évoluer pour que le routage résultant réponde au mieux à une fabrication de qualité à partir du parc de machines en place. L'aspect fabricabilité vérifie le routage des cartes électroniques, l'adéquation de la nomenclature avec les possibilités des machines du sous-traitant, et préconise les traitements à réaliser avec des composants atypiques, des modules ( voir l'encadré « Modules ou pas modules ? » ) ou des composants réputés difficiles comme les LGA (boîtiers denses en plots d'entrées-sorties à surface de l'ordre du mm 2 ). « L'utilisation de LGA de surface 1 mm 2 suppose un outil de CAO doté de règles de design adéquates », remarque ainsi Eric Bur-notte (Snese). Pour revenir aux LGA, rappelons qu'il y est impossible de contrôler les brasures via inspection visuelle AOI puisque celles-ci sont situées sous le boîtier. Il faut, dans ce cas, procéder à un contrôle aux rayons X (long et onéreux) ou… réussir le brasage du premier coup. L'aspect fabricabilité analyse aussi les disparités entre les différents éléments de la nomenclature. En effet, « parmi les problèmes qui se posent aujourd'hui en production figure la “mixité des composants”, c'est-à-dire la proximité sur la carte de composants de très petites tailles avec des composants plus massifs comme, par exemple, des transformateurs ou des condensateurs de grande capacité », pointe Jean-Alain Le Floch, expert en process chez Lacroix Electronics. Car, lors du brasage, la différence de comportement thermique (les petits composants chauffent et se refroidissent plus vite que les gros) peut occasionner des incidents. Comme nous l'avons suggéré plus tôt, le rôle de l'industrialisation est aussi de « signaler au client les boîtiers pour lesquels il sera nécessaire de procéder à des opérations complémentaires, comme l' underfill pour les boîtiers QFN », note Yvan Allaire, le directeur des opérations de Tronico. Et « quand de nouveaux boîtiers voient le jour – comme le 0201 –, Tronico les teste en production comme en réparation via des véhicules de test », poursuit M. Allaire. Dans le cas du 0201, ces tests ont notamment permis de peaufiner l'étape de sérigraphie en préconisant l'utilisation d'écrans à double étage qui délivrent suffisamment d'alliage aux composants en ayant le plus besoin tout en n'en fournissant pas plus qu'il ne faut aux 0201, ce qui réduit le risque de problèmes. « Cela nous a également amenés à remplacer les buses traditionnelles des machines de placement par des buses en céramique », remarque M. Allaire. De nouvelles stratégies de test Le volet testabilité inclut la mise au point des tests « permettant, d'une part, de tester les process de fabrication mis en jeu afin de s'assurer que le résultat est conforme à la demande du client (contrôle AOI et tests in situ), et, d'autre part, de contrôler le bon fonctionnement de la carte (tests fonctionnels) », rappelle Eric Burnotte (Snese). L'évolution en test semble avoir été moins tumultueuse que celle de l'aspect fabricabilité. « Alors qu'en produc-tion, il y a eu et il y a des difficultés à maintenir les savoir-faire, la situation est tout autre en test, sans doute parce que la conception du produit et la conception des matériels de test correspondants ne peuvent se faire sans échanges de part et d'autre », annonce M. Le Floch (Lacroix Electronics). En Europe, il n'y a donc pas à déplorer, dans le domaine du test, de pertes de savoir-faire et d'expertise tech-nique aussi marquées qu'en production – du fait de l'abandon des fabrications de grandes séries. Par ailleurs, les stratégies de test ont évolué avec la miniaturisation des composants et l'augmentation concomitante de la densité en com-posants des cartes électroniques. L'inspection optique automatique (AOI) a également fait son apparition il y a une quinzaine d'années de cela. « Le contrôle AOI prend de plus en plus d'importance notamment du fait de l'amélioration de sa fiabilité grâce à l'utilisation de l'intelligence artificielle », indique M. Le Floch (Lacroix Electronics). Nicolas Peulevey (EINEA, groupe Selha) rappelle que « l'intégration de l'AOI en production permet de maîtriser la qualité de la fabrication au fur et à mesure ». M. Burnotte, le président du Snese, relativise toutefois l'apport de l'inspection AOI : « l'AOI ne peut assurer qu'un contrôle partiel, nécessite la présence de techniciens expérimentés, est mieux adaptée aux productions de grandes séries de piècesparce qu'elle fonctionne par apprentissage –, et la qualité de son tri dépend essentiellement de la qualité de sa programmation – selon que vous y passerez une demi-journée ou deux jours le tri ne sera pas le même ! ». ERIC BURNOTTE, président du Snese “ Il y a aujourd'hui une sous-estimation des problèmes liés à l'industrialisation ainsi qu'une sous-estimation du coût de l'industrialisation. Sont notamment en cause l'absence d'enseignement des savoir-faire en production et une promotion outrancière du Plug & Play. JTAG, Boundary Scan et test embarqué M. Peulevey remarque que le test in situ, qui vérifie la qualité des pro-cess (tout comme le contrôle AOI avec son dépistage des mauvais marquages, des inversions de polarité, et le contrôle aux rayons X), et le test fonctionnel, qui vérifie le bon fonctionnement de la carte assemblée, vivent actuellement un rapprochement. Celui-ci est manifeste dans le cas des cartes à forte densité de composants. « Les cartes à destination du médical sont souvent très denses en composants si bien que la place manque pour y placer des points de test ; on procède alors à des tests de type JTAG ou Boun-dary Scan », précise, Yvan Allaire (Tronico). Ces tests sont complétés par des tests fonctionnels pour les-quels Tronico peut concevoir les bancs de tests associés aux produits à fabriquer. Du fait de la mondialisation et de l'arrivée d'une concurrence asiatique agressive, les fabricants ont accentué leurs efforts pour produire au plus faible prix et le plus rapidement possible. Ils ont dopé leurs activités de design-to-cost et de design-to-market. Une gestion des nomenclatures qui prend de l'ampleur Tronico distingue deux secteurs très différents dans leurs attentes en matière de tests : le médical et l'aéronautique. « En aéronautique, les cartes sont conçues pour accueillir les points de tests et les clients sont demandeurs de tests in situ à couverture exhaustive ; ensuite ils procèdent eux-mêmes aux tests fonctionnels », déclare M. Allaire. Pour la raison de manque de place évoquée précédemment, « le test embarqué prend également de l'ampleur », note Jean-Alain Le Floch (Lacroix Electronics). Ce type de test s'appuie sur un logiciel intégré dans le produit à tester, logiciel pilotant la génération d'une suite de stimuli auquel le dispositif concerné apporte des réponses. Celles-ci peuvent être d'ordre binaire (signatures binaires) ou d'ordre électromagnétique (signatures électromagnétiques) ; ces signatures sont comparées à des références : c'est l'analyse de signatures. La gestion des nomenclatures constitue le troisième aspect de l'industrialisation. « L'approvisionnement en composants et le suivi des composants assurent la vérification de la conformité des conditionnements choisis (bandes, sticks…) relativement aux machines de production du fabricant, ainsi que la prévention de l'obsolescence des composants, et jugent la pertinence de la sélection des boîtiers au regard de l'évolution du marché », remarque Eric Burnotte (Snese). Il y ajoute le sous-volet « traçabilité des composants »qui prend en charge le suivi du composant tout au long de son périple en production (à la réception, lors du placement sur la carte, lors de l'insertion de la carte dans un matériel, etc.). La gestion de l'obsolescence qui vérifie que les composants de la nomenclature ne sont pas obsolètes ou en voie de l'être est devenue primordiale avec le raccourcissement de durée de vie des composants ainsi qu'avec les décisions parfois inattendues d'arrêts de production de certaines références. « Pour une nomenclature d'une centaine de composants, cinq à quinze sont à reconsidérer », indique Jean-Marc Chateigner (Tronico). Si un composant de la BOM ne convient pas (pour cause d'obsolescence…), Tro-nico sait proposer des équivalents validés. Outre une équipe dédiée à la gestion de l'obsolescence, qui opère au sein du service achats, ce sous-traitant dispose d'un labora-toire d'analyse des composants. Une industrialisation sous influence De multiples facteurs ont influencé l'industrialisation au cours des 20 dernières années comme, par exemple, la miniaturisation des composants et des cartes, l'augmentation (exponentielle) des capacités de traitement des circuits intégrés, la mondialisation des échanges avec ses corollaires, l'exacerbation de la concurrence et les délocalisations de production, l'évolution des outils de production et de test… La mondialisation des échanges, l'importance prise par la concurrence internationale et les délocalisations de production (transferts de productions vers des pays à faible coût de la main-d'œuvre) ont joué un rôle majeur. En particulier au plan de la gestion des nomenclatures, puisque le sous-traitant en charge des achats est alors parti à la recherche de composants présentant les meilleurs rapports qualité-prix (c'est le sourcing). Parallèlement, la mondialisation s'est accompagnée d'un regain de contrefaçons pour lequel les services achats ont dû trouver des parades. Ainsi, pour mener cette lutte anti-contrefaçons, Tronico s'appuie sur un laboratoire interne d'analyse des composants. D'une manière générale, l'accroissement de la concurrence mondiale a contraint les fabricants européens de cartes à mettre en place des outils de diminution des coûts de production (le design-to-cost) et d'accélération du lancement de nouveaux produits sur le marché (le design-to-market). « La nécessité de maîtrise des coûts a fait évoluer l'industrialisation. En télécoms, cette nécessité a elle-même résulté de la mondialisation, de l'irruption de nouveaux équipementiers très agressifs au niveau des prix, et de l'arrivée de nouveaux opérateurs en quête de parts de marché et tirant, pour cette raison, les prix vers le bas », remarque Philippe Masselin (EINEA, Selha). Tout cela a conduit à une chute des prix des infrastructures télécoms et à la nécessité pour les acteurs européens de proposer des produits aux prix les plus bas et le plus rapidement possible ce qui a conduit ces groupes à accentuer leurs activités de design-to-cost et de design-to-market. « C'est ce qui a fait évoluer l'industrialisation en ce sens qu'elle a dû anticiper au plus tôt les problématiques industrielles et de fabrication. Dans la pratique, la conception et l'industrialisation ont été menées de pair pour pouvoir réaliser et fabriquer du premier coup un produit fonctionnel et le moins onéreux possible », ajoute Nicolas Peulevey (EINEA, Selha). Cette orientation a également favorisé la réutilisation d'ensembles fonctionnels déjà qualifiés et éprouvés, comme les modules ( voir l'encadré « Modules ou pas modules ? » ). MODULES OU PAS MODULES ? « La déperdition du savoir technique est en partie la conséquence d'une promotion exagérée du Plug & Play de la part des fabricants de modules », s'exclame Eric Burnotte, le président du Snese. « Le fait que le module RF nécessitera une antenne, qu'il sera placé dans un boîtier dont le plan de masse pourra influencer le fonctionnement doit être étudié… En outre, l'utilisation de modules empêche de jouer la carte de la différenciation notamment dans les domaines de la RF et de la puissance », ajoute le président. Le dilemme est donc de choisir entre la différenciation compétitive que permet un travail au niveau du composant et la rapidité de lancement commercial du produit que favorise l'utilisation de modules. « L'utilisation de building blocks (briques technologiques), qui sont des fonctions précâblées et validées, accélère le design des produits », remarque d'ailleurs Philippe Masselin, directeur de l'engineering du groupe Selha. « Tout dépend donc du poids à accorder aux facteurs time-to-market et différenciation compétitive. Une start-up à l'origine d'un matériel innovant a intérêt à utiliser un building block pour l'alimentation à découpage car elle gagnera en time-to-market. Par contre, pour le développement d'une carte complexe destinée à de grandes séries, il peut s'avérer plus intéressant de concevoir l'alimentation, ce sous-ensemble pouvant constituer un des aspects novateurs du produit », analysent Philippe Masselin et Nicolas Peulevey (directeur technique de l'usine d'Eu du groupe Selha). Un autre problème est à prendre en compte : la durée de vie du module qui est dictée par celles des composants dont la durée de vie sera la plus brève. Pour assurer une gestion de l'obsolescence du module, il faut donc disposer de la nomenclature de celui-ci. D'autant qu'en aéronautique, la durée de vie des équipements peut dépasser le quart de siècle. PHILIPPE MASSELIN ET NICOLAS PEULEVEY, respectivement directeur de l'engineering du groupe Selha et directeur technique de l'usine d'Eu (groupe Selha) “ L'industrialisation est la prise en compte des contraintes et des optimisations industrielles dès le démarrage du design d'un produit. C'est donc une action menée parallèlement au design. Contrer la perte de savoir en industrialisation « Pour les fabricants de cartes européens, le défi est aujourd'hui de maintenir le savoir-faire existant », estime Jean-Alain Le Floch (Lacroix Electronics). Il y a 20 ans de cela, ce savoir-faire progressait en France, notamment du fait de la présence de productions de grandes séries, en particulier de produits télécoms complexes (centraux téléphoniques, stations de bases et téléphones mobiles). Or, ces productions ont été abandonnées au profit de l'Asie. D'où une déperdition de savoir technique : « Il y a des procédés qu'il faut aujourd'hui réapprendre comme le montage des circuits flexibles à pas fins », annonce ainsi M. Le Floch. Si on sait toujours quels matériaux et quelles machines utiliser pour le thermo-soudage, on ne maîtrise plus les réglages à réaliser pour obtenir le meilleur rendement et la meilleure qualité. Le constat est le même pour Yvan Allaire (Tro-nico) qui pointe une perte de savoir en routage : « dans le passé, les rou- TRAVAILLER DE CONCERT À L'INDUSTRIALISATION ET AU DESIGN « L'industrialisation est la prise en compte des contraintes industrielles et des optimisations industrielles dès le démarrage du design d'un produit. C'est donc une action menée en parallèle du design du produit et non pas après celui-ci. En effet dès le démarrage du projet, certains choix techniques peuvent intervenir, notamment pour le circuit imprimé et les composants », déclare Philippe Masselin, directeur de l'engineering du groupe Selha. Et ce alors que, dans le schéma traditionnel, le bureau d'études travaille à la mise au point d'un prototype puis confie l'industrialisation du produit à une cellule spécialisée dans cette discipline. L'écueil que souhaite éviter Selha avec sa façon de faire est un conflit déclenché par une demande de re-design de la part de l'équipe industrialisation. « La meilleure approche est la nôtre, qui consiste à travailler de concert avec le bureau d'études (BE), de faire que le BE écoute les conseils de la cellule industrialisation », conclut M. Masselin. « C'est un travail de longue haleine, le partenariat se mettant en place progressivement : au départ, des petits échanges permettent au BE d'améliorer ses résultats ce qui fait avancer le partenariat », précise Nicolas Peulevey, directeur technique de l'usine d'Eu (EINA, Selha). Pourquoi un tel choix de la part d'EINEA ? « Parce que la conception d'un produit obéit à des objectifs de prix, de prise de marché, de time-to-market, de fiabilité… et qu'elle contraint à des choix de processus industriels et de modèles de supply chain », répond M. Masse-lin. Un exemple mettant en évidence le lien entre design et supply chain : la conception de stations de base pour radio-mobiles (destinées à des opérateurs) configurables à la dernière minute pour répondre à la contrainte de pouvoir être installées dans des endroits très différents (place de l'Étoile à Paris, le long d'une autoroute en province…). L'intérêt pour EINEA : ne pas stocker de stations ne correspondant pas aux demandes des clients. Autre exemple mettant en évidence, cette fois, le lien entre design et amélioration de la fiabilité : le re-design et la ré-industrialisation de têtes radio devant être soumises à des conditions météorologiques très diverses (écarts de températures très importants…), les modèles antécédents ayant fait l'objet d'importants retours liés à une mauvaise connectivité des câbles. Le BE et la cellule industrialisation ont mis au point une tête sans câbles. « Un tel produit ne peut être conçu par un BE seul car il faut un savoir industriel concernant les empilages de chaînes de cotes… », remarque M. Masselin. teurs étaient parfaitement au fait des règles régissant le positionnement des composants. Ceux d'aujourd'hui, qui ont souvent fait l'impasse sur l'atelier, ont tendance à ne s'appuyer que sur ce que permet ou ne permet pas le logiciel de CAO ». Même réflexion de la part d'Eric Burnotte, le président du Snese, qui dénonce aussi l'absence d'enseignement des savoir-faire en production dans les écoles ainsi que la promotion outrancière du Plug & Play par les fournisseurs de modules ( voir l'encadré « Modules ou pas modules ? » ). Au final, et plus généralement, « il y a aujourd'hui une sous-estimation des problèmes liés à l'industrialisation ainsi qu'une sous-estimation du coût de l'industrialisation », se désole-t-il. Cette perte de savoir est manifeste dans le domaine des achats : « Avant, les acheteurs étaient issus de la production ou du développement et ils bénéficiaient de l'apport de la production ; aujourd'hui, issus pour la plupart d'écoles de commerce, ils manquent de bagage technique et ont du mal à appréhender ce qu'ils achètent et donc à lui attribuer une valeur… Ils sont obnubilés par le fait de payer le moins cher possible », constate le président. Réinjecter du savoir dans la CAO et le DFM JEAN-ALAIN LE FLOCH, expert en process chez Lacroix Electronics “ Pour les fabricants de cartes européens, le défi est aujourd'hui de maintenir le savoir-faire existant… Il y a des procédés qu'il faut aujourd'hui réap-prendre. ” < Parmi les problèmes qui se posent aujourd'hui en production figure la proximité sur la carte de composant de très petites tailles et de composants plus massifs, éléments à profils thermiques très différents. Pour contrer cette perte de savoir, les sous-traitants « réinjectent »des savoir-faire issus de la production dans les outils de CAO et de DFM ( Design For Manufacturing ), à partir de données collectées sur des machines de l'atelier puis traitées par intelligence artificielle (IA). Lacroix Electronics travaille ainsi à la constitution de répertoires de savoir-faire et à l'intégration, dans des bases de données, de connaissances en provenance de la production. « Il s'agit d'insérer du savoir-faire dans les outils notamment de DFM pour les rendre plus intelligents », résume M. Le Floch qui met en avant les nouvelles possibilités de traitement des données offertes par l'IA et le Big Data. C'est une démarche similaire à celle qui a permis, grâce l'IA, de fiabiliser les systèmes AOI en réduisant le nombre de faux-défauts. Outre un travail en interne, Lacroix Electronics coopère aussi avec des sous-traitants du réseau We Network au sein du programme Pléiade à « l'identification des meilleures pratiques mondiales en matière de productions avancées utilisant des composants miniaturisés afin de les transposer dans l'univers industriel ». Nous sommes alors dans l'aller vers l'industrie 4.0. L'usine d'Eu (EINEA du groupe Selha) est, pour sa part, à l'origine de travaux visant à prévoir le comportement en production de grandes séries dès l'obtention du prototype. Ce qui permettra de fournir des indications quant à l'amélioration tant des process de fabrication que du produit. « Ces outils permettent, à partir de la fabrication de quelques prototypes, de prévoir ce que seront la stabilité et la fiabilité dans le cas de la production de grandes séries », annonce Nicolas Peulevey (EINEA, groupe Selha). Dans la pratique, EINEA a greffé des outils d'analyse statistique sur les équipements de production de l'atelier, ce qui lui permet de pointer du doigt les résultats de test approchant de trop près les limites d'acceptabilité des produits définies par le client. Miniaturisation des composants, évolution des outils de production… La miniaturisation des composants et des cartes a compliqué le routage ainsi que la fabrication et le test des cartes électroniques. Ainsi, certains composants (les LGA, par exemple) sont complexes à braser. Et il y a une accélération des lancements sur le marché de nouvelles générations de boîtiers : « alors que le passage des composants traversants aux CMS a pris plusieurs années, la mise en place de la génération suivante de composants miniatures (BGA, QFN, etc.) n'a duré que quelques mois », remarque Philippe Masselin (EINEA, Selha). Notons que cette accélération a favorisé le rapprochement entre bureau d'études (BE) et industrialisation : « c'était indispensable pour l'industrialisation qui n'avait plus le temps de découvrir les produits et qui, pour anticiper et adapter ses dispositifs, s'est adressée au BE », explique M. Masselin. YVAN ALLAIRE ET JEAN-MARC CHATEIGNER, respectivement directeur des opérations et directeur de la qualité de Tronico < Pour la gestion de l'obsolescence des composants, Tronico s'appuie sur un service spécialisé opérant au sein du service achats. Ce sous-traitant dispose aussi, en interne, d'un laboratoire dédié à l'analyse des composants. “ Les stratégies de test diffèrent suivant les secteurs : en médical, la place manque pour placer des points de test si bien qu'on utilise le JTAG ou le Boundary Scan ; en aéronautique, Il y a de la place et les clients sont demandeurs de tests in-situ à couverture exhaustive. D'une manière générale, les outils de production proposés par les fabricants sont surdimensionnés par rapport à la demande de la sous-traitance en électronique d'Europe de l'Ouest. Mais l'évolution des machines impose à tous les sous-traitants de prévoir de mieux en mieux tous les cas de figure d'utilisation de celles-ci, notamment en ce qui concerne le conditionnement des composants. Eric Burnotte, président du Snese et directeur d'Al-liansys, nous conte l'histoire suivante : Alliansys dispose d'une machine de placement permettant la pose de 10 composants à la fois, caractérisée par une vitesse maximale de pose de 100 000 compo-sants par heure. Dans le cas de la pose de 5 résistances de 100 O (par exemple) et de 5 résistances d'autres valeurs (toutes différentes), pour conserver une vitesse de pose maximale, il faut alimenter la machine avec 5 bobines de 100 O de façon à utiliser les 10 têtes de placement simultanément. Si le sous-trai-tant choisit de ne mettre qu'une bobine de résistances de 100 O, il n'y a que 6 têtes en service et la vitesse de pose tombe à 20 000 composants par heure. Cet exemple montre aussi la difficulté d'établir un devis du fait de la nécessité de prendre en compte la diversité des cartes, la variété de fonctionnements des machines (selon les volumes de production, la durée de vie de la carte…), etc. « Aujourd'hui, le sous-traitant est obligé de se doter d'outils pointus pour le calcul des prix », conclut M. Burnotte.

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