Couverture ElectroniqueS n°127

Plus performants, plus petits, plus légers, plus résistants aux hautes températures... en compétition automobile, les composants d'électronique de puissance sont poussés à l'extrême. Pour leur permettre de tenir le cahier des charges, de nouveaux matériaux, tels que le SiC et le GaN, ainsi que leur bonne maîtrise, sont indispensables. À partir de la saison 2014, la Formule 1 a adopté la propulsion hybride avec l'introduction de deux moteurs générateurs électriques et d'une batterie de forte capacité. E n compétition automobile, les pilotes ne sont pas les seuls à s'affronter. Une course différente, plus profonde, se réalise dans les entrailles de leurs bolides : celle de l'électronique de puissance. Cette dernière, de plus en plus présente dans le sport automobile, est arrivée avec l'électrification des véhicules. En Formule 1 par exemple, l'hybrida-tion a été introduite en 2009 avec un système de récupération d'énergie cinétique (KERS, en anglais), qui récupère une partie de l'énergie cinétique générée par le freinage au lieu de la disperser sous forme de chaleur dans les freins. Le pilote l'utilise en actionnant depuis son volant l'injection d'un surplus de puissance (80 chevaux) pendant quelques secondes (sept maximum). Quelques années plus tard, pendant la saison 2014, la Formule 1 se tourne définitivement vers la propulsion hybride avec l'introduction de deux moteurs générateurs électriques et d'une batterie de forte capacité. La consommation est réduite d'un tiers, et la quantité maximum de carburant embarqué est limitée à 110 kg depuis la saison 2019, pour couvrir la distance d'un Grand Prix d'environ 305 km. « La Formule E est arrivée la même année, en 2014. Au départ tout le monde était sceptique, puis, au fur et à mesure, beaucoup de constructeurs renommés tels que Porsche, BMW, Jaguar, Audi, Mercedes, Renault-Nissan ou encore Citroën DS s'y sont investis , commente Florent Liffran, président de Bright-Loop Converters. D'année en année, les budgets ont augmenté et les demandes se sont accrues pour per-fectionner les équipements. » De nouveaux matériaux performants On voit également arriver l'électrification dans des compétitions plus classiques comme le Pure ETCR, un championnat au cours duquel s'af-fronteront des voitures de tourisme électrique. De même, la catégorie Le Mans Hypercar, nouvellement pré-sente sur le WEC (World Endurance Championship), disposera d'une motorisation hybride dans sa prochaine définition. Dans ce contexte, les contraintes d'es-pace et de poids sont toujours plus critiques, imposant aux fabri-cants de réaliser des composants fiables et performants pouvant résister aux conditions extrêmes de la compé-tition. Pour y parvenir, de nouveaux matériaux sont utilisés dans l'électronique de puissance : le carbure de silicium (SiC) et le nitrure de gallium (GaN). Ces deux semi-conducteurs à large bande (WBG pour wide bandgap ) dits « grands gap » apportent aux applications de puis-sance des avantages considérables par rapport aux semi-conducteurs traditionnels à base de silicium. Fonctionnement à haute fréquence, efficacité supérieure, densité de puissance élevée, réduction d'énergie, compacité des composants, etc., ces deux matériaux semblent avoir tout pour eux. « Les technologies sont encore jeunes, affirme Hervé Ribot, directeur de l'activité micro/ nano/électronique chez Minalogic. Le SiC est plutôt mature et le GaN en développement. Dans les environnements exigeants, ils ont des défauts cristallins qui créent des problèmes de fonctionnement. » ST Microelectronics est très avancé dans ces matériaux. Après avoir dynamisé le SiC, l'entreprise s'investit à présent dans le GaN pour améliorer ses performances dans les applications de conversion de puissance. En février, l'entreprise a annoncé travailler en collaboration avec TSMC pour accélérer le développement et le lancement sur le marché de solutions de puissance avancées en GaN. La collaboration permettra d'améliorer l'efficacité en large ande pour un meilleur rendement nergétique des applications de onversion de puissance. DES CONNECTIQUES DÉDIÉES À LA PUISSANCE Avec l'électronique de puissance toujours plus performante, s'est créé un besoin de connectique spécifique faisant le lien entre calculateurs, électronique de puissance et moteurs. Lemo a créé une gamme basée sur son connecteur de série M. Cette dernière – une « évolution » de la 1 re série F Push-Pull – a intégré la démarche d'allègement de produit en passant du laiton chromé à l'aluminium, pour avoir un poids qui corresponde aux attentes du sport automobile. « Avec la volonté de la Formule 1 d'harmoniser les calculateurs avec un boîtier unique, une connectique spécifique a été retenue : la série M, explique Angel Moran, directeur général de Lemo France. Les matériaux légers ont été gardés et nous avons fait évoluer son mécanisme de verrouillage pour répondre encore mieux aux vibrations et spécifications de la Formule 1. Maintenant, pour la puissance, on a capitalisé sur le corps extérieur des connecteurs, et travaillé sur la partie contact et isolant. » Dans le sport automobile, ces matériaux sont déjà utilisés pour l'électronique de puissance. En témoigne Florent Liffran (Brightloop Conver-ters), dont l'entreprise fabrique des convertisseurs DC-DC : « Nous utilisons ces technologies de semi-conducteurs depuis quelques années. Elles sont plus chères mais offrent des gains de performances très intéressants. Elles nécessitent un soin particulier dans leur implé-mentation pour pouvoir profiter de toutes leurs qualités, et ont fait l'objet de campagnes de qualification complètes : thermiques, environnementales et électriques. Le résultat est que nous avons gagné plus d'un facteur deux sur la densité de puissance : par exemple, un convertisseur DC-DC optimisé pour la Formule E, sur une puissance de 1 800 W, qui pesait 1,5 kg dans la génération précédente, a été réduit à 650 g. » Ces deux technologies, SiC et GaN, permettent en premier lieu de réduire les pertes par commuta-tion, comme nous le confirme Florent Liffran : « Elles permettent d'avoir des vitesses de commutation bien supérieures au silicium. Niveau fréquences de découpage, nous sommes à 600 kHz pour plusieurs kilowatts. Elles génèrent plus d'émissions électromagnétiques avec leurs commutations plus raides, mais nous avons appris à les gérer avec des implantations et des circuits de commande appropriés. » De nombreuses applications Globalement, la plus grande vitesse des composants en SiC et GaN entraîne une plus grande fragilité par rapport aux transistors en silicium. Par exemple, BrightLoop Converters a dû réinventer ses schémas de protection en court-circuit. « On a beaucoup de demandes depuis un an avec les nouveaux championnats qui deviennent électriques, constate Florent Liffran. Les convertisseurs répondent également aux demandes de gestion de plusieurs niveaux de tension à la fois sur le même véhicule : 12, 24 et 48 V. » Le 48 V permet de gérer des équipements plus puissants avec moins de courant que s'ils étaient alimentés avec du 12 V. Sur certains véhicules hybrides, l'équipement nécessite de convertir du 12 V en 48 V. « Nous réalisons nos convertisseurs sur cahier des charges, en fonction de la puissance, de la forme, des fonctions auxiliaires ainsi que des besoins en télémétrie avancée , ajoute le président de Brightloop Converters. Cette dernière permet d'avoir un maximum d'informations sur le véhicule roulant et de récupérer des données essentielles que l'on va analyser pour apporter des modifications. » Cette approche est bien ancrée dans le sport automobile. C'est également le cas de Rohm, qui travaille sur les transistors en SiC pour les convertisseurs AC-DC. « Pour optimiser la conversion de l'énergie d'une batterie vers un moteur alternatif, on travaille sur l'onduleur qui se trouve entre les deux », explique Simon Oudin, responsable du développement commercial chez Rohm Semiconductor. « Il doit transformer le courant continu en alternatif le plus effica-cement possible sans perte d'énergie. » L'efficacité de cette transformation est importante car elle peut impacter la taille de la batterie. « L'efficacité énergétique est fondamentale pour les constructeurs automobiles. S'il y a moins de pertes entre la batterie et le moteur, potentiellement, la taille de la batterie pourrait être réduite. » Rohm affiche des performances intéressantes : la puissance de sortie est de 220 kW, la fréquence de commutation à 24 kHz et la densité de puissance à 22 kW/l. La masse de l'onduleur a été réduite d'environ 40 % tout comme sa taille. Par rapport aux modules avec IGBT conventionnels, le module SiC permet de réduire les pertes de commutation de 75 % pour une température de puce à + 150 °C, en fonctionnant à des courants similaires (600 V, 100 A, 10 kHz). ST Microelectronics, très avancé dans le carbure de silicium (SiC), se développe désormais dans le nitrure de gallium (GaN). L'entreprise a fait l'acquisition en mars d'une part importante du capital d'Exagan, une start-up grenobloise spécialisée dans cette technologie. La société TCT fabrique quant à elle des transformateurs, inclus par exemple dans des alimentations à découpage, qui vont être en lien avec des composants SiC et GaN. « On répond à un cahier des charges avec des spécifications précises du transformateur, indique Olivier Maurel, ingénieur chez TCT. En général, il s'agit de tout petits transformateurs avec des performances difficiles à tenir. La grande règle du sport automobile est une miniaturisation et une puissance maximums. Nous n'avons quasiment pas de degré de liberté. Les composants doivent fonctionner à des températures très élevées, de l'ordre de + 150 °C, et faire passer beaucoup de puissance dans un volume très petit. Et une telle performance doit tenir sur 1 cm 2 . » Ce sont des transformateurs de petites puissances, d'à peine quelques watts, mais très difficiles à réaliser par la taille réduite imposée. Pour y parvenir, TCT a conçu et fabriqué dans certains projets des tores magnétiques nanocristallins de moins d'un gramme pour moins de 4 mm de diamètre. « Les demandes nous forcent à utiliser un certain type de matériau magnétique plutôt que d'autres, afin que nous puissions y répondre en taille, en performances et en température. » Les constructeurs font concevoir des composants à leurs limites pour créer le plus petit possible. Le sport automobile est souvent vu comme un réel laboratoire pour les véhicules. Chez Rohm par exemple, les applications sportives per-mettent à l'entreprise d'avoir l'opportunité de tester ses nouvelles technologies qui pourront, à terme, être utilisées dans une voiture de production. Mais pour Hervé Ribot (Minalogic), le transfert des technologies semble difficilement envisageable : « Un véhicule de course nécessite une forte puissance en peu de temps, tandis que le véhicule de monsieur Tout-le-Monde est pensé pour une longue utilisation. Ce n'est pas parce qu'une technologie est validée sur un véhicule de course que celle-ci fonctionnera sur tout type de véhicule. Ce ne sont pas les mêmes cahiers des charges, tests et procédures de validation. » Le sport automobile pousse cependant les acteurs dans la performance et l'innovation. « C'est un excellent laboratoire technique qui permet d'aller plus vite dans la conception des systèmes d'électronique de puissance », affirme Florent Liffran (Brightloop Conver-ters). Un point de vue confirmé par TCT qui voit dans le sport automobile l'avantage de pousser ses études et développements. « Ce sont des composants chers car ils nécessitent un process de fabrication compliqué , confie Olivier Maurel. Les matériaux utilisés sont au-dessus du standard. Jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons jamais appliqué nos recettes de sport automobile pour d'autres projets. Elles sont trop poussées. »

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