Couverture ElectroniqueS n°127

Le moral des patrons français a du mal à résister aux modes américaines et au pessimisme ambiant. Coup sur coup, deux déclarations de grands patrons américains ont enfoncé le clou d'une idée devenue beaucoup trop forte, à savoir “ hors de la Chine, point de salut ”. La première est venue d'un responsable de General Electric qui n'a pas hésité à affirmer récemment que produire en Chine est devenu indispensable pour sa société, non pas parce que les salaires y sont faibles mais parce que le travail y est flexible et de grande qualité (et vlan ! pour les employés américains). Par ailleurs, Tom Lynch, responsable communication interne chez IBM, a déclaré devant des employés de la société : « IBM doit accélérer le transfert à l'étranger de postes de salariés qualifiés et bien payés, même si cela doit susciter des oppositions, notamment dans le monde politique. Nos concurrents sont en train de le faire et nous devons le faire également. » Même s'il y a une part de bon sens dans ces affirmations, il faut se méfier, d'un côté, des généralisations, et, d'un autre, des exagérations. Certes, la Chine est un marché potentiel très important et les particuliers chinois ont tout à gagner en travaillant bien et beaucoup. Mais il faut aussi faire la part des choses : il n'y a aujourd'hui “ que ” 270 millions de Chinois qui ont un niveau de vie susceptible de leur faire acheter des appareils électroniques (relativement bas de gamme). Parallèlement, la Chine représente, certes, 36 % de la production électronique mondiale, mais le pouvoir de décision des sociétés de souche chinoise n'est que de 7 % de l'ensemble des sociétés d'électronique mondiales (selon iSuppli), et encore ce chiffre nous paraît-il surévalué (les sociétés françaises représentent 3 %). Même si les chefs d'entreprises doivent rester paranoïaques pour survivre, il ne leur est tout de même pas nécessaire de plonger dans le pessimisme à chaque déclaration de dirigeant de société américaine de stature internationale. Car chaque société a sa spécificité et il s'agit d'abord d'exploiter son savoir-faire. Nokia ne confie par exemple à la sous-traitance que 20 % de ses fabrications… pour mieux maîtriser son time-to-market. Sagem, à une époque, a été innovateur en fax grand public sans faire de recherches, simplement en travaillant l'esthétique de ses produits et en achetant une technologie d'impression au Japon. Donc en ne travaillant que sur ce que l'on appelle des “développements”. Il n'est pas possible de brosser un tableau universel des éléments qui contribuent à la réussite d'une société. Mais il est bon de se rappeler de temps à autre ce qui, d'une part, fait vendre plus cher, et, d'autre part, ce qui permet de réduire ses coûts. Vendre plus cher à coût moindre Pour vendre plus cher, il est tout d'abord souhaitable de commercialiser un produit attendu par le marché avec plusieurs semaines ou mois d'avance sur la concurrence (le time-to-market puis le time-to-volume). Il est donc question de veille marketing du marché visé, de veille technologique, et d'organisation. Pour vendre plus cher, il est aussi possible d'innover et de surprendre ses clients (c'était la spécialité de Sony dans le passé). C'est cette fois une question de recherche et/ou de développement, et de validation des concepts auprès de la clientèle (l'idée de départ peut venir soit des ingénieurs, soit des services de ventes au contact de la clientèle ; les brevets peuvent aussi, ici, être une source de revenus). Troisième facteur possible pour vendre plus cher, jouer sur la marque, ce qui implique normalement de faire des efforts en matière de design, de qualité et parfois de service. Des marques “ tiennent ” très bien dans le temps (comme Sony). D'autres ont été un peu gâchées par des politiques systématiques de bas de gamme et de choix de lieux de vente (comme Grandin). En gros, en jouant sur ces trois facteurs, il est possible de vendre jusqu'à 20 % plus cher que la concurrence. Et même plus, avec une innovation qui plaît. Rappelons-nous : les premiers téléviseurs 16/9 à écran plat ont été vendus 1 400 euros par exemple alors que les téléviseurs normaux de mêmes dimensions étaient alors proposés à 500 euros. Côté coûts, il n'y a pas que l'aspect part salariale qui compte. Dans le coût d'un PC jusqu'à la livraison aux points de vente en Europe à partir d'une usine d'assemblage par exemple, le coût de la main-d'&oelig;uvre entre pour 1 % et le coût logistique pour 6 % minimum ! Mais entrent aussi en jeu les coûts d'obsolescence, les coûts des stocks (immobilisés ou sur les bateaux), parfois les coûts de la “ non-qualité ” et les droits de douane, souvent le temps de réponse aux variations de demande et les risques de plagiat en Asie. N'oublions surtout pas les effets de volume : en gros, produire 10 fois plus conduit à gagner jusqu'à 20 % sur l'ensemble des coûts. Ne rêver qu'à la Chine est donc sans doute exagéré dans 90 % des cas.

Il n’y a pas que la Chine qui compte

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