Couverture ElectroniqueS n°127

Jacques Seneca, vice-président exécutif de Gemplus, en charge du développement et de l'Identité & Sécurité, souhaiterait voir la carte adoptée massivement par les développeurs comme un élément standard du monde informatique. Par ailleurs, M. Seneca estime que, si les grands cabinets d'études spécialisés s'attendent l'an prochain à un ralentissement du marché de la téléphonie mobile, ses effets sur le marché de la carte à puce devraient être limités. Les analystes prévoient un ralentissement de la croissance du marché de la téléphonie mobile en 2005. Ne craignez-vous pas de vous retrouver alors en déséquilibre sur ce segment ? Eurosmart annonçait quelque chose comme 750 millions de cartes pour le marché 2004. Nous allons être proches des 900 millions. Il convient de faire la différence entre le marché de la carte elle-même, lié au renouvellement, et le marché des terminaux, qui suit des cycles de renouvellement un peu différents. Il est vrai que, en ce qui concerne les terminaux, l'arrivée des écrans couleur, des sonneries polyphoniques et des modèles équipés d'appareils photo a accéléré le déploiement, et cette dynamique pourrait ne pas se retrouver en 2005. Mais cela ne veut pas dire qu'au niveau de la carte, compte tenu du déploiement de la 3G et de son activation sur certains réseaux, il n'y aura pas également un renouvellement, même s'il est un peu découplé du cycle de renouvellement des mobiles. Comment gérez-vous aujourd'hui la pression sur les prix, qui est très importante, notamment de la part des Chinois ? Aujourd'hui, le marché chinois est plutôt un marché de commodités ; la plupart des composants y sont assez standards. Le gros des volumes livrés est constitué de composants européens, y compris pour les fabricants chinois. Il y a maintenant une émergence de fabricants locaux en termes de circuits intégrés mais vraiment sur la partie commodités ; tout le monde achète les mêmes circuits, vraisemblablement à des prix similaires. Compte tenu de notre taille et de notre volume, nous pouvons espérer bénéficier d'un prix d'achat de circuits honorable par rapport aux concurrents locaux. Il n'y a aucune raison pour qu'on ne soit pas compétitifs en prix, même si c'est avec une logique de gestion de marges qui diffère de celle du haut de gamme. On est tenus d'être efficaces, mais ni plus ni moins que nos concurrents locaux. Si l'on observe la stratégie généralement suivie par les Chinois en matière de hautes technologies, on constate assez souvent qu'après avoir acheté des produits ils copient les technologies. Etes-vous confrontés à cette problématique et y a-t-il un moyen d'enrayer cette tendance ? C'est un point spécifique important au métier de la carte à puce : nous pensons que dans le domaine de la banque, de l'identité, de la sécurité, et, dans une large mesure, sur les applications à valeur ajoutée dans le domaine des télécoms, il restera une forte dimension liée à la confiance, au relationnel, à l'endroit où sont réalisées la R&D, la fabrication,… Donc, ces marchés sont, de ce point de vue-là, un peu plus protégés que les marchés classiques de produits grand public. Cela dit, pour adresser le marché chinois, il faut être local à un moment donné. Donc, comme tous nos concurrents et beaucoup d'industriels, nous sommes présents en Chine avec un centre de R&D et des unités de production dédiées au marché local. Le porte-monnaie électronique, tel qu'on l'entend aujourd'hui, a-t-il encore un avenir face aux possibilités offertes par un radiotéléphone, par exemple ? Il semblerait effectivement qu'il y ait une préférence, notamment liée à l'ergonomie, pour le porte-monnaie sans contact. Personnellement, je pense qu'il y a une dimension culturelle importante dans le choix entre contact et sans-contact. Nous aurons des pays qui choisiront de migrer massivement vers le sans-contact. D'autres seront peut-être un peu plus réticents et conserveront le porte-monnaie à contact un peu plus longtemps pour des raisons d'ordre psychologique. Fondamentalement, je crois qu'il n'y a pas de différence de sécurité importante entre les deux produits. Je pense aussi que les deux systèmes vont cohabiter de par les facteurs culturels évoqués. Mais c'est vrai qu'il est possible d'effectuer un paiement avec un radiotéléphone sans contact, grâce au protocole NFC ou tout autre protocole d'échange. Une autre application importante est celle du métro. Dans cet environnement, le temps de transaction est un facteur clé : c'est une question de débit, et d'ergonomie, pour l'utilisateur. Autre exemple : dans le domaine du contrôle d'accès physique, le paramètre clé sera la distance, de quelques dizaines de centimètres. Dans celui du paiement, l'accent sera mis davantage sur la sécurité. Là, au contraire, l'utilisateur préférera ne pas mettre trop de distance entre sa carte et le lecteur. La notion d'acte volontaire d'achat est indissociable d'une distance courte. En fait, les produits vont s'adapter au segment applicatif. Ils pourront être multi-applicatifs mais ils seront utilisés de manière prédominante dans l'un des segments. Quelles pourraient être les futures “ killer applications ” dans le secteur de la carte à puce ? Faire en sorte que la carte à puce devienne un outil comme un autre dans l'architecture réseau, dans les architectures de sécurité, et qu'un maximum de développeurs puisse avoir accès à l'outil, l'utilise, et fasse appel aux ressources de la carte à puce comme un élément standard du monde informatique. Ça, c'est une “ killer application ”, car cela permettra de déployer massivement son utilisation, de rendre plus aisés le déploiement des architectures PKI, ou le dialogue dans le monde d'Internet avec une carte à puce. Aura-t-on besoin de toujours plus de puissance sur la carte à puce ? Oui. Même si le rôle de la carte n'est pas nécessairement de faire du stockage massif d'informations, la puissance de calcul pour faire du traitement de qualité va croître. C'est vrai dans le cas du Digital Rights Management (DRM), où il faut pouvoir travailler en temps réel sur les informations. Le DRM est l'un des éléments qui demandent le plus de puissance de traitement. Si l'on veut que la carte devienne un outil à part entière du monde informatique, elle doit dialoguer avec une vitesse et une capacité de traitement compatibles avec le reste de l'environnement. Donc, à mon sens, il faut s'attendre à une accélération de la puissance de la carte, que ce soit en matière de CPU, ou en matière de capacité de stockage. Les cartes multicomposants (puce, écran, clavier…) sont-elles toujours d'actualité ? Ce n'est pas là que l'on voit le facteur déploiement le plus important. Cela dit, la carte dans sa dimension “ objet portable sécurisé ” va prendre différentes formes, comme celle de ces petits modules ressemblant à des porte-clés, qui ne sont ni plus ni moins qu'une carte à puce qui dialogue via un protocole USB. On peut très bien imaginer d'y ajouter un afficheur, plusieurs boutons… Quel est l'acteur à l'origine de l'innovation aujourd'hui ? Est-ce le fabricant de cartes, le fournisseur de semiconducteurs ou est-ce une coproduction entre ces deux industriels ? Nous ne sommes pas encore dans le modèle de coproduction. C'est quelque chose qui pourra peut-être se développer dans le futur en fonction de la taille du marché et des investissements respectifs des entreprises. En ce qui nous concerne, nous travaillons en étroite collaboration avec certains fabricants de circuits intégrés sur des architectures nouvelles. Nous avons des projets sérieux dans ce domaine. Je crois que les deux se complètent : les innovations sont très fortes côté silicium, indéniablement, notamment autour de la sécurité, qui est un élément clé. Maintenant, en ce qui concerne le déploiement applicatif, il est de notre rôle d'apporter l'innovation dans la chaîne de valeur. Par exemple : faire en sorte qu'une vérification d'empreinte sur une carte soit plus rapide, plus ergonomique. Jacques Seneca est arrivé chez Gemplus en tant que chef de projet en 1989, après avoir quitté STMicroelectronics. Il a occupé ensuite plusieurs postes de direction, avant d'être nommé vice-président exécutif en charge du marketing et des technologies de Gemplus. En 2003, il a pris en main les activités de développement dont fait partie la R&D Groupe. Puis, plus récemment, il a pris les rênes de la division Identité & Sécurité. M. Seneca est membre du comité exécutif de Gemplus depuis 13 ans, diplômé de l'Ensam et titulaire d'un diplôme de gestion d'entreprise de l'IAE d'Aix-en-Provence.

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