Couverture ElectroniqueS n°127

Réunis lors d'une table ronde organisée par Electroniques durant le Forum de l'électronique qui s'est déroulé fin septembre, Philippe Albrieux, président de la PME CIF (Circuit Imprimé Français) et du collège « Équipements et services » d'Acsiel, Gabriele Tosatti, responsable de filière Mécatronique & Énergétique au sein du Campus E.S.P.R.I.T. Industries – ESLI de Redon, Jean-Philippe Malicet, directeur de Captronic, et Pierre-Jean Albrieux, président d'IFTEC et vice-président d'Acsiel, ont alerté sur la difficulté qu'ont les entreprises à trouver les profils correspondant à leurs besoins. Certains disent qu'il n'y a plus de production électronique en France. Ce qui est bien évidemment faux. Jean-Philippe Malicet, pouvez-vous dresser un état des lieux rapide de la production électronique française et préciser quelles en sont les spécificités ? JEAN-PHILIPPE MALICET, directeur de Captronic “ La filière de l'électronique offre des opportunités de carrière vraiment très intéressantes pour ceux qui souhaitent s'y engager, avec un riche panel de métiers différents. ” JEAN-PHILIPPE MALICET Cap-tronic est un programme d'accompagnement des entreprises dans l'intégration de solutions électroniques et logicielles dans leurs produits et à ce titre, nous avons une vision assez large du secteur car nous accompagnons chaque année environ 3500 entreprises, essentiellement des PME et des TPE. Il faut tout d'abord savoir que dans la grande majorité des cas, la production électronique de ces PME est réalisée en France. Ce n'est pas toujours pour des raisons citoyennes mais surtout parce que ces entreprises ont assimilé le fait que, si l'on conçoit bien ses produits, une production sur le territoire français est tout à fait viable. La seconde raison qui convainc ces PME de produire dans notre pays, c'est le fait que, quand on s'adresse à un prestataire local, il est possible d'avoir un dialogue aisé avec lui, de construire un projet avec lui. Et c'est le message que l'on veut faire passer : il faut tout d'abord se poser les bonnes questions, bien conce-voir son produit, bien choisir son prestataire et, ensuite, construire son projet avec lui. Et puis, c'est aussi le rôle d'un vrai prestataire que de proposer des améliorations pour essayer d'optimiser la fabrication. Pour les sociétés que nous accompagnons, il est crucial d'avoir un dialogue avec leurs prestataires, notamment les sous-traitants électroniques en amont du projet afin d'apporter une valeur supplémentaire à l'entreprise. Il est important d'essayer d'anticiper au maximum les problèmes qui peuvent se présenter lors de la mise en place du projet. Le fait est que l'industrie électronique française est tout à fait compétitive dès lors que l'on travaille sur des petites et moyennes séries et que l'on cherche l'interactivité avec un sous-traitant. Dans cette relation, l'électronique est devenue stratégique au point que les électroniciens se trouvent aussi bien chez les sous-traitants que chez les donneurs d'ordre, que ce soient les grands groupes, mais aussi, et de plus en plus, les PME qui sont, pour nombre d'entre elles, en phase de recrutement de personnel spécialisé en électronique. Car, il est important que l'entreprise dispose en interne de compétences en électronique pour accompagner au mieux les projets. J'insiste sur l'importance de la conception d'un produit, car quand un produit est bien conçu, il est possible de réaliser plusieurs étapes de fabrication de manière automatisée et il n'y a alors pas de raison pour que ça soit plus cher dans notre pays que dans un autre. Sachant que, souvent, la production se partage entre une production sur notre territoire et une production soit dans les pays de l'Est, soit dans les pays du Maghreb, ce qui est plus simple à gérer qu'une production très lointaine, comme en Asie, par exemple. Donc, il faut vraiment avoir un volume très important pour justifier aujourd'hui une délocalisation lointaine qui, finalement, pose de nombreux problèmes, que ce soit au niveau de la logistique, de la réactivité ou de la qualité des produits fabriqués. Et puis le sous-traitant situé à l'autre bout du monde fera ce que vous lui dites de faire, pas plus. Non seulement il ne sera pas force de proposition, mais en plus, s'il y a une erreur, ce n'est pas lui qui vous dira qu'il y a une erreur. Tous ces éléments font que l'on assiste depuis quelque temps à un phénomène de relocalisation de la production électronique, notamment de certaines fabrications qui avaient été délocalisées en Asie. Car les écueils que je viens de décrire à pro-pos d'une production lointaine ont finit par prendre le pas sur l'avantage que peut représenter une production à bas coût. Donc, la France est clairement compétitive dans la production en petites et moyennes séries. Et même dans le cas de séries potentiellement plus importantes, il est important pour les PME, du moins dans un premier temps, de travailler avec les sous-traitants français, ne serait-ce que pour fabriquer des démonstrateurs et des échantillons de leurs produits. Notez bien que ce n'est pas qu'une affaire de volume, c'est aussi une question de savoirfaire avec des entreprises françaises qui présentent, de ce point de vue, une forte valeur ajoutée. Je citerai l'exemple des enceintes haut de gamme de Devialet. Si vous ouvrez une de leurs enceintes, vous verrez que l'électronique qui est à l'intérieur est vraiment magnifique. Donc, il y a clairement un savoir-faire français qui est très important et qui pèse favorablement dans la balance. Philippe Albrieux, en tant que président du Collège Équipements et Services d'Acsiel et dirigeant d'une PME française de l'électronique, en l'occurrence CIF (Circuit Imprimé Français), vous avez, vous aussi, une vision assez précise de ce secteur dans notre pays. Partagez-vous ce constat ? PHILIPPE ALBRIEUX Complète-ment. Pour compléter, je dirais qu'aujourd'hui, l'électronique a un réel problème d'image en France. Cela tient essentielle-ment au fait que les médias grand public n'ont longtemps abordé que les aspects négatifs de cette industrie, comme la fermeture de sites industriels sur notre territoire. Et ce sont des choses qui marquent l'esprit des gens et instillent l'idée que l'industrie en général, et l'électronique en particulier, quitte la France vers des pays à faible coût de main-d'œuvre. Certes, il y a eu une forte délocalisation au début des années 2000 – époque où, je le rappelle, on fabriquait encore des téléphones portables et des téléviseurs dans notre pays – mais il reste encore aujourd'hui, en France, un tissu industriel important, notamment avec des PME et des PMI. Et depuis quelque temps, on observe même, effectivement, un phé-nomène de relocalisation. Cela tient au fait que les productions lointaines peuvent présenter des inconvénients de taille, en particulier en matière de rapidité d'exécution mais aussi de confidentialité, ne serait-ce que dans les applications militaires par exemple, ou dans toutes autres applications critiques pour lesquelles il vaut mieux ne pas donner ses cartes électroniques à sous-traiter à l'étranger. Donc, c'est important de conserver la maîtrise d'œuvre dans certains secteurs critiques, mais aussi quel que soit le secteur. Car, quand vous donnez quelque chose à fabriquer, vous ne pouvez pas réaliser un cahier des charges correct si vous ne savez pas comment on fabrique des cartes électroniques. Et si votre cahier des charges n'est pas bon, vous risquez d'avoir de gros problèmes. Venons-en à l'emploi. Est-ce que l'électronique est un secteur qui a besoin de recruter en France ? PHILIPPE ALBRIEUX Clairement, oui. C'est d'ailleurs l'un des plus gros défis de l'industrie électronique française aujourd'hui car il y a une pénu-rie de main-d'œuvre. On estime ainsi qu'il y a environ 20 000 postes non pourvus en électronique dans notre pays. Et ce, à tous les niveaux : opérateurs, techniciens, ingénieurs, personnels dans le domaine des approvisionnements, etc. Avec pour conséquence le fait que certaines sociétés n'arrivent pas à recruter de personnel pour répondre à leurs besoins, ce qui constitue un réel frein au développement de leur activité. Grâce au comité stratégique de filière (CSF) électronique mis en place par le gouvernement en 2018, cette industrie est enfin reconnue comme un secteur d'activité stratégique pour l'économie de notre pays et il y a une réelle volonté de relocaliser la production électronique en France. Mais s'il n'y a pas suffisamment de femmes et d'hommes formés dans ce domaine, on aura beau mettre tous les milliards d'euros pour porter et financer cette industrie, cela ne servira pas grand-chose. De gauche à droite : Pierre-Jean Albrieux, président d'Iftec et vice-président d'Acsiel, Jean-Philippe Malicet, directeur de Captronic, Philippe Albrieux, président de la PME CIF et du collège « Equipements et services » d'Acsiel, et Gabriele Tosatti, responsable de la filière Mécatronique & Energétique au sein du Campus E.S.P.R.I.T. Industries/ESLI de Redon. Gabriele Tosatti, votre établissement dispense des formations techniques, notamment dans le domaine de l'électronique. Pouvez-vous nous en parler ? GABRIELE TOSATTI Tout d'abord, je précise que je par-tage tout à fait ce qui vient d'être dit. En France, en termes de recrutement, il y a plusieurs niveaux de besoin et nous essayons d'y répondre au niveau local avec les forma-tions que nous mettons en place. Notre établissement a tout d'abord démarré une for-mation au niveau bac +3 dans le domaine de l'électronique et je dois reconnaître que nous avons eu du mal à démarrer la filière. Aujourd'hui, nous sommes à la quatrième promotion et nous n'avons rempli notre classe qu'à 80%. Or, l'objectif était d'ouvrir cette année une seconde classe pour arriver à un effectif total de 24 élèves en formation en alternance, sachant que cet effectif correspond à un besoin des entreprises locales car nous sommes un regroupement d'intérêt public adossé, entre autres, à un consortium d'entreprises qui regroupe 21 sociétés. Donc, pour ce projet de licence pro qui avait pour objectif d'accueillir au minimum 24 candidats, nous avons dû finalement renoncer à ouvrir cette seconde classe et accueillons aujourd'hui quatorze étu-diants. Au cours de ces quatre années, nous avons constaté un changement d'orientation. Notre licence pro PASTEL est plutôt orientée technicien méthode avec environ 50 % des candidats travaillant sur des missions liées au test. On parlait tout à l'heure d'une industrie française spécialisée dans le haut de gamme, qui a par conséquent besoin d'un niveau de contrôle très important, avec 100 % des produits contrôlés. Ce métier du test émerge ainsi fortement actuellement car il constitue un besoin fondamental pour l'industrie électronique française. Cette année, grâce à la région Bretagne, à la région Pays de la Loire et à Pôle emploi, nous avons par ailleurs réussi à ouvrir une formation de technicien en test et développement qui mène à des métiers très intéressants et très enrichissants. Et là encore, nous avons des places vacantes. Nous allons également initier un partenariat avec un institut spécialisé dans les formations de monteur-câbleur et technicien test et développement destinées notamment à des personnes sans emploi. On manque clairement de candidats et on a du mal à faire passer le message auprès des jeunes, et même au niveau des demandeurs d'emploi non diplômés qui pourraient pourtant, de cette manière, réintégrer aisément le monde du travail. Donc, il nous faut vraiment chercher toutes les solu-tions possibles pour attirer des candidats et ainsi répondre aux besoins des industriels locaux dans le domaine de l'électronique. Aujourd'hui, la carte électronique est partout mais les gens ne se rendent pas forcément compte de cette tendance de fond qui donne des possibilités d'emploi importantes dans ce secteur d'activité. Il faut vraiment faire passer le message que l'électronique, c'est le métier de demain car cela n'est pas encore bien assimilé par le grand public. Et cela ne concerne pas uniquement les ingénieurs. Car l'urgence, c'est vraiment de cibler des niveaux un peu moins élevés, y compris le niveau monteur-câbleur pour lequel les besoins des entreprises sont importants. L'industrie a ainsi fortement besoin de techniciens de test, niveau BTS, de techniciens méthodes, niveau bac +3, et ensuite seulement, d'ingénieurs. Car il faut savoir que pour un ingénieur, il y a environ dix techniciens. D'ailleurs, au sein du Campus E.S.P.R.I.T. Industries, nous avons reporté à 2021 la mise en place d'une formation d'ingénieur en électronique qui devait être ouverte plus tôt. Pierre-Jean Albrieux, le problème de la formation et de l'emploi dans le domaine de l'électronique est quelque chose qui vous préoccupe depuis de nombreuses années. Quel est votre regard sur la situation actuelle ? PIERRE-JEAN ALBRIEUX Effectivement, c'est un problème qui me préoccupe de longue date et c'est d'ailleurs l'une des raisons qui a mené à la création de l'institut de formation IFTEC car, déjà à l'époque, nous avions ces problèmes. Et je partage également le constat qui vient d'être fait par mes collègues. Ce que je constate, c'est que, autant il y a trente ans, il y avait un facteur clé de succès quasiment unique qui était la recherche et le développement, autant, aujourd'hui, avec la miniaturisation de l'électronique et aussi avec la diffusion de l'électronique dans quasiment toutes les applications, on voit clairement apparaître une seconde clé de succès en électronique, à savoir la capacité d'industrialisation des solutions dans les règles de l'art. Et comme il vient d'être dit, quand on ne sait pas comment une carte électronique est fabriquée, c'est extrêmement compliqué de la concevoir correcte-ment. Ce qui est également important, c'est que, que l'on fasse fabriquer cette carte à l'autre bout du monde ou de l'autre côté de la rue, il faut être capable de discuter avec le sous-traitant afin que le produit final réponde à 100% aux besoins de l'industriel. Car il faut savoir que dans certains pays d'Asie, par exemple en Chine, les sous-traitants locaux feront en sorte de vous vendre au plus cher quelque chose qui leur coûtera le moins cher pos-sible à produire. Donc, la maî-trise de l'industrialisation redevient quelque chose de stratégique dans le domaine de l'électronique. L'autre point important, c'est effectivement la pénurie d'emploi. L'industrie électronique en France représente environ 400 000 emplois directs, ce qui est conséquent, mais la pyramide des âges est très large au-delà de 50 ans. Si bien qu'une entreprise, qu'elle soit un donneur d'ordre ou un sous-traitant, éprouve beaucoup de mal à trouver des compétences adaptées à son besoin et à embaucher. Cette situation de pénurie s'illustre, entre autres, par le nombre croissant de formations que nous dispen-sons chaque année. PIERRE-JEAN ALBRIEUX, président d'Iftec et vice-président d'Acsiel “ Actuellement, il n'y a quasiment plus d'enseignement technologique au lycée, ce qui est dramatique parce qu'un titulaire de bac technologique axé électronique n'aurait aucun mal à trouver un emploi. ” Quels sont les domaines d'applications les plus porteurs pour l'électronique en France ? On parle beaucoup de l'Internet des objets, mais est-ce vraiment un domaine porteur ? JEAN-PHILIPPE MALICET Dans le domaine de ce que l'on pourrait appeler les machines communicantes, l'électronique apporte beaucoup de valeur en interconnectant les systèmes et les machines pour les optimiser et savoir ce qui se passe en temps réel. Cela génère ainsi un changement important dans la manière d'optimiser une ligne de production, une usine, voire un parc d'usines, avec ce que l'on appelle l'Industrie 4.0 ou l'Industrie du futur. Cela est favorisé par le fait qu'aujourd'hui, nous sommes dans un environnement où l'on peut connecter et faire communiquer tout très facilement. Et cela contribue à la diffusion de l'électronique dans de nombreux produits avec la multiplication des capteurs pour collecter les données, des processeurs pour les traiter et les analyser, des solu-Document : ES_108_MULTI_CIRCUI tions de gestion de l'énergie pour limiter la consommation électrique, etc. Pendant très longtemps, l'électronique était enfouie. Mais avec les différentes interfaces qui ont vu le jour, notamment avec l'avènement des smartphones, le grand public se rend compte que tous les appareils numériques de son quotidien fonctionnent grâce à l'électronique qui, du coup, devient plus visible pour tout un chacun. Donc, il y a une grande évolution au niveau des produits grand public avec ces innovations qui gagnent aujourd'hui le domaine industriel et perT.pdf;Page : 1;Format : (185.00 x mettent ainsi aux industriels de mieux utiliser et de mieux optimiser leurs systèmes et leurs machines. Un exemple de cette révolution est le thermostat qui était auparavant placé dans un coin de la maison et que l'on regardait de temps en temps, qui a évolué vers un outil qu'il est possible de consulter et de commander à distance, par exemple pour mettre le chauffage dans votre maison avant que vous ne rentriez chez vous, bref un outil offrant de nombreuses fonctionnalités qui n'étaient pas disponibles auparavant. L'Internet des objets permet également à des sociétés de proposer de nouveaux services à leurs clients. Par exemple, Cap-tronic accompagne un fabricant de chaudières qui a rajouté une couche de communication dans ses produits. Certes, cela a nécessité que cette entreprise change un peu son métier et gère cette évolution mais cela se répercute rapidement sur l'activité de la société grâce aux nouveaux services qu'elle peut ainsi proposer à ses clients avec des produits communicants. Donc, l'IoT constitue une opportunité de croissance très forte pour le secteur de l'électronique. Mais attention à prendre le train à temps car les entreprises qui ne franchissent pas le pas risquent d'être défavorisées par rapport à celles qui se seront lancées tout de suite dans cette aventure. Il faut également noter que le fait que 65.00 mm);Plaque : composite;D l'électronique se diffuse dans de multiples applications peut constituer un défi dans des entreprises qui ne sont pas habituées – pour certaines, pas du tout habituées – à intégrer de l'électronique. Et c'est notre rôle, chez Captronic, de les accompagner. Il y a un exemple frappant, c'est celui de l'éclairage, un secteur qui a muté en profondeur avec l'avènement des diodes électroluminescentes en lieu et place des ampoules à incandescence et à fluorescence. L'industrie de l'éclairage a dû s'adapter à l'intégration de ces composants électroniques qu'il faut contrôler et qui sont arrivés dans ce secteur d'activité où l'électronique n'était pas légion. C'est aussi le cas, par exemple, de l'agriculture ou de l'agroalimentaire, domaines dans lesquels on voit arriver des solutions à base d'électronique vraiment innovantes telles que les drones, la robotique, etc. Aujourd'hui, l'électronicien, quel que soit son niveau, est ainsi à même de participer à des projets particulièrement intéressants. L'électronique offre aujourd'hui un vaste panel de métiers et de fonctions très différents, dans de multiples applications. C'est réellement passionnant. GABRIELE TOSATTI, responsable de filière Mécatronique & Énergétique au sein du Campus E.S.P.R.I.T. Il faut vraiment faire passer le message que l'électronique, “ c'est le métier de demain et cela, quel que soit le niveau : du monteur-câbleur à l'ingénieur. ” Qu'a changé la création en 2018 du CSF (Comité stratégique de filière) dédié à l'électronique et comment cette prise en compte par les pouvoirs publics de l'importance stratégique de l'électronique traduit-elle concrètement pour les acteurs du secteur ? GABRIELE TOSATTI La première action que cela a permis de mettre en place, c'est le déclenchement de financement pour les formations. C'est le cas de notre formation de technicien en test et développement. L'État, Pôle emploi et les régions ont fait un gros effort en ce sens, qui s'est notamment traduit par le financement de l'hébergement et de la restauration des stagiaires de notre formation. Cela va dans le sens d'un accompagnement de l'industrie pour aider et faciliter le recrutement. C'est important de créer de l'attractivité pour tenter de résoudre ce phénomène de pénurie de main-d'œuvre en électronique. PHILIPPE ALBRIEUX Nous décrivons ici les problèmes que rencontrent les entreprises pour recruter des électroniciens mais tout n'est pas négatif. Le point positif, et la création du CSF dédié à l'électronique le montre, c'est que les choses bougent. Tout le monde se rend compte aujourd'hui que l'électronique est présente absolument partout. Et tout le monde est convaincu du rôle de l'électronique pour l'économie de notre pays, que ce soient les industriels, mais aussi, donc, les politiques qui ont compris qu'il y a là un véritable enjeu stratégique, ne serait-ce qu'au niveau de la Défense nationale avec le niveau de confidentialité mais aussi de pérennité des produits que cela implique. Mais il y a tout de même un acteur qui manque dans tout cet écosystème, il s'agit de l'Éducation nationale. Et c'est un réel problème car l'Éducation nationale a un rôle primordial à jouer. Certes, la formation en entreprise est importante, cruciale même, mais nous manquons beaucoup de techniciens dans le domaine de l'électronique, dont la formation revient à l'Éducation nationale. Malheureusement, la filière technique de l'enseignement a été sacrifiée au profit de la filière générale ces deux dernières décennies et on en paie aujourd'hui le prix, en particulier dans l'électronique. Il serait donc grand temps d'inverser la tendance, mais cela prendra du temps. Vous êtes d'accord avec ce constat et avec le rôle de l'Éducation nationale ? GABRIELE TOSATTI La disparition de nombreux bac pro technologiques au profit des bacs généralistes a clairement fait du mal à la filière car nous avons aujourd'hui des candidats avec un niveau technique beaucoup plus faible qu'auparavant. Surtout, nous avons ainsi créé une désorientation totale des élèves au niveau bac qui, ne connaissant plus du tout les filières techniques, s'orientent essentiellement vers des études supérieures sans que cela ne corresponde véritablement à leur choix, avec à la clé, une forte proportion d'échec. Il faut vraiment remettre les filières techniques de l'enseignement au centre du jeu. Beaucoup de jeunes ont assisté à cette table ronde organisée par Electroniques dans le cadre du Forum de l'électronique qui s'est déroulé en septembre dernier. PHILIPPE ALBRIEUX, président de la PME CIF (Circuit Imprimé Français) et du collège « Equipements et services » d'Acsiel “ On estime qu'il y a environ 20 000 postes non pourvus en électronique dans notre pays. Ce qui constitue un réel frein au développement des entreprises, qui peinent à recruter. ” PIERRE-JEAN ALBRIEUX Au niveau des besoins dans le domaine de l'électronique, nous avons une pénurie à tous les niveaux de formation. Comme cela a été dit, nous avons besoin d'ingénieurs, de techniciens mais aussi d'opérateurs qui sont réellement en voie de disparition. Il y a eu des tentatives de discussion avec l'Éducation nationale, notamment en 2005, mais cela n'a pas empêché l'institution de sabrer nombre de filières technologiques sans même tenir compte de l'avis des industriels. Actuellement, il n'y a quasiment plus d'enseignement technologique au lycée, ce qui est dramatique parce qu'un titulaire de bac technologique répondant aux besoins des industriels n'aurait aucun mal à trouver un emploi. On n'a pas forcément besoin de doctorant dans le domaine de l'électronique mais les niveaux bac technique sont, en revanche, très recherchés. En France, nous avons une très bonne formation universitaire et de très bonnes écoles d'ingénieurs, notamment dans le domaine de l'électronique. Et sur ce point, nous sommes devant les Allemands. En revanche, ce qui pèche chez nous, c'est le savoir-faire en matière d'industrialisation. Et sur ce point, les Allemands sont en revanche bien en avance sur nous. Donc, ré-industrialiser la France, c'est un objectif louable et même capital pour notre économie, mais pour y parvenir, il faut les ressources humaines qui répondent parfaitement aux besoins. Et ce n'est pas l'intelligence artificielle qui va remédier à ce problème. Donc il faut absolument ré-intégrer l'enseignement technologique dans le cursus car on ne peut plus faire n'importe quoi au niveau de la production sachant le niveau de détails qu'il faut aujourd'hui pour industrialiser correctement des produits. Quant au CSF dédié à l'électronique, il s'agit tout d'abord d'apporter un niveau d'alerte et de remettre l'industriel au cœur du processus. Certes, cela a pris du temps car les industriels de l'électronique ont été des lanceurs d'alerte dès 2005 - je vous laisse faire le calcul. Mais aujourd'hui, ce CSF existe bel et bien et l'électronique est enfin reconnue comme une filière stratégique pour notre économie. Et puis dans le CSF, il y a un aspect important lié à la formation, avec un état des lieux tant au niveau national qu'au niveau des régions. Parallèlement, nous avons mené une étude sur la dégradation de l'enseignement technologique dans les bacs pro, étude dont les résultats ont été portés à la connaissance de l'Éducation nationale, avec la suggestion de la création d'un BTS et d'une option de bac pro entièrement consacrés à la fabrication électronique. Aujourd'hui, les IUT font un excellent travail mais cette formation sert trop souvent de tremplin vers des niveaux bac+5, avec nombre de diplômés des IUT qui intègrent ensuite une école d'ingénieurs, ce qui crée un manque au niveau des techniciens supérieurs. L'industrie et l'Éducation nationale devraient davantage coopérer mais ces deux entités ne sont pas dans le même espace-temps. Cela a pris près de 15 ans entre les premières alertes des industriels de l'électronique et la création du CSF consacré à ce secteur d'activité. Et pour l'instant, nous n'avons aucun retour par rapport à notre étude. Mais il ne faut pas tout mettre sur le dos de l'Éducation nationale. Le fait est qu'aujourd'hui, les jeunes boudent les filières techniques au profit d'autres filières jugées plus attractives. Alors, est-ce le manque de formation qui a généré le peu d'intérêt des jeunes pour les filières techniques ou l'inverse ? C'est difficile à dire. Mais il est clair que la fermeture de grandes usines de l'électronique en France au début des années 2000 a réellement créé un traumatisme dans l'imaginaire collectif, dont on paie encore le prix aujourd'hui et qui a instillé dans l'esprit des gens l'idée que l'électronique n'est pas une filière d'avenir pour leurs enfants. Or, aujourd'hui, c'est tout l'inverse : il y a davantage d'emplois créés que d'emplois détruits dans notre filière, notamment grâce à un tissu industriel important. Il faut vraiment changer l'image de l'électronique mais ce sera long car on médiatise beaucoup moins aujourd'hui la PME qui embauche 20 ou 50 personnes que le grand groupe qui fermait une usine entière de 1 000 ou 2 000 employés sur notre territoire il y a 15 ans. Aujourd'hui, il existe encore en France de nombreux domaines applicatifs de l'électronique qui tirent le secteur vers le haut. C'est vrai notamment pour le militaire, l'automobile, et l'aéronautique où il y a encore énormément d'activité. JEAN-PHILIPPE MALICET Le problème dépasse le simple secteur de l'électronique puisqu'il touche en fait toute l'industrie. Pendant des années, on nous a expliqué qu'il n'y avait plus d'industrie en France et on a alors énormément développé le modèle fabless, sans usine. Mais comme on l'a déjà dit, on a aujourd'hui compris qu'il est capital de conserver en interne un savoir-faire d'industrialisation. D'ailleurs, c'est ce que font les grands groupes qui se sont rendu compte que c'était absolument essentiel pour leur développement. Même les grands acteurs du secteur automobile réintègrent en leur sein de la production en électronique car c'est absolument stratégique à l'heure où il y a de plus en plus d'électronique dans les moteurs thermiques et, surtout, où les motorisations hybrides et électriques commencent à se répandre dans le parc automobile. Et puis, la propriété intellectuelle revêt un intérêt tout particulier pour se différencier de la concurrence. Or, on sait que, dans l'automobile, l'innovation technologique vient pour une grande part de l'électronique. Donc, l'industrialisation en interne est incontestablement un facteur de différenciation pour les grands groupes. Mais il y a une réelle pénurie de main-d'œuvre dans notre pays. On voit d'ailleurs que certains donneurs d'ordre externalisent leur production non plus pour des questions de coût de main-d'œuvre mais pour des questions de disponibilité des compétences, alors que les ingénieurs français sont très bien formés, ne sont pas si chers que ça par rapport à des ingénieurs allemands par exemple, et sont plutôt fidèles à leur employeur. Dans le même ordre d'idée, il est courant aujourd'hui que des startup ne réussissent pas à recruter des stagiaires. Bref, ce manque de compétences constitue un réel frein au développement d'une entreprise, notamment d'une PME qui n'a pas le temps nécessaire pour chercher et recruter le bon candidat, et encore moins pour le former. Comment rendre l'électronique plus attractive auprès des jeunes ? JEAN-PHILIPPE MALICET Je suis également surpris parfois par la méconnaissance des métiers de l'électronique, non seulement de la part des parents d'élèves mais aussi de certains professeurs. Donc, il est crucial de communiquer auprès des enseignants, et surtout auprès des jeunes, et cela le plus tôt possible. D'autant que l'on peut montrer des applications de l'électronique très ludiques. Il faut communiquer sur les métiers, sur la diversité des métiers, sur le fait que l'électronique s'immisce partout, dans tous les secteurs applicatifs, et surtout sur les belles réussites. Il est à noter que la French Tech va dans ce sens et a remis à l'honneur l'entrepreneuriat. Si l'on ajoute à cela le fait que les métiers de l'électronique seront amenés à évoluer, on peut vraiment dire que cette filière de l'électronique offre des opportunités de carrière très intéressantes pour ceux qui souhaitent s'y engager.

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