Couverture ElectroniqueS n°127

L’électronique ne suscite pas suffisamment de vocations. Or, la pyramide des âges montre que de nombreux ingénieurs partiront à la retraite dans quelques années et qu’ils ne pourront donc pas être tous remplacés. A partir des années 1970 et jusqu’à la crise de 2001, les recrutements d’ingénieurs et de cadres dans le secteur de l’électronique ont attiré les jeunes en grand nombre, car cette industrie symbolisait le progrès technologique et faisait rêver. Certes, l’électronique est toujours synonyme de progrès technique, mais celui-ci fait de moins en moins rêver, car il a été banalisé par la miniaturisation et parce qu’il est moins mis en valeur par les responsables éducatifs. Aujourd’hui, l’électronique fait tellement partie de notre environnement que la plupart des gens en ont oublié sa présence dans la vie de tous les jours, à la maison, au travail, à l’école, dans les transports, ou encore dans le cadre de leurs loisirs. Pour le grand public non familier avec cette industrie, le progrès technologique est devenu naturel et le fait d’y prendre part en exerçant un métier d’ingénieur en électronique n’intéresse pas ou en tout cas beaucoup moins les jeunes qu’au cours des précédentes décennies. D’autres domaines tels que les métiers de la santé, de la sécurité, de l’environnement, du BTP, les attirent davantage, car ils sont plus “ visibles ”, plus rémunérateurs ou leur semblent davantage porteurs d’avenir. Le corps éducatif et les parents, persuadés que la production électronique a quasiment disparu de France en raison de la multiplication des plans sociaux, n’encouragent pas les jeunes à aller vers les métiers de l’électronique, alors que les besoins en ingénieurs restent importants. Aussi, le secteur vit-il une véritable crise de vocation qui devrait entraîner des difficultés de recrutement dans les années qui viennent, difficultés qui seront aggravées par la structure même de la pyramide des âges dans le secteur de l’électronique. Un flux important d’ingénieurs et de cadres partiront prochainement à la retraite et ne trouveront pas de remplaçants parmi les jeunes diplômés. Les ingénieurs, remis temporairement sur le marché de l’emploi en raison de la crise actuelle, ne suffiront pas à absorber la totalité de la demande. « Après chaque crise, les ingénieurs victimes de plans sociaux retrouvent rapidement un emploi », affirme Jean-Christophe Prunet, responsable de la commission chargée de l’attractivité des métiers à la Fieec (Fédération des industries électriques, électroniques et de communication) et président de Rohde & Schwarz France. Saurons-nous recréer des emplois de production après la crise ? Actuellement, peu d’entreprises ont une visibilité en matière de recrutement et les directions des ressources humaines que nous avons contactées, sont dans leur grande majorité incapables d’indiquer les profils des postes qui seront disponibles au moment de la sortie de crise. Tous les profils d’ingénieurs et de techniciens ne devraient avoir aucun mal à être recrutés. Comme toujours, les spécialistes de l’électronique analogique et des hyperfréquences devraient être particulièrement recherchés. A l’inverse, comme après les précédentes crises économiques, le personnel non qualifié qui perd son emploi, au gré des fermetures d’usines et des délocalisations, « ne retrouve pas ou à beaucoup de mal à retrouver un poste » dans l’électronique, ajoute Jean-Christophe Prunet. Il reste beaucoup plus longtemps sans emploi ou est dans l’obligation de se reconvertir, car la production électronique détruite par les plans sociaux a beaucoup de mal à se reconstituer une fois la reprise venue. « En France et à la différence des Etats-Unis, nous ne savons pas réembaucher après une crise. Essayons, cette fois-ci, de nous préparer à une sortie de crise dans de meilleures conditions. C’est l’objet de notre plan de reconquête des marchés, c’est pour cela que nous avons réfléchi aux besoins du futur et que nous avons élaboré des programmes d’innovation assurant un retour sur investissement », a expliqué Pierre Gattaz, lors des assises de la Fieec, le 27 mai dernier. « Si nous ne faisons rien, nos marchés partiront de France et nous serons contraints de suivre nos grands comptes là où ils iront. Cela signifie que le travail qui aurait pu être accompli en France sera pris en charge par des équipes indiennes, mexicaines ou chinoises », a-t-il mis en garde. « Le haut débit numérique peut être mis en œuvre de deux manières : soit en achetant tout auprès de Cisco, soit en profitant de l’opportunité de recréer une filière des télécoms en France. Il faut faire rêver nos jeunes ingénieurs qui sont nombreux à partir dans les services. Nous avons besoin de compétences en matériel. Si nous ne parvenons pas à attirer ces compétences, nous ne recréerons pas d’emplois en France dans ce domaine », ajoute Pierre Gattaz. Selon Jean-Christophe Prunet, c’est depuis 2001 que l’électronique a un problème d’image auprès des jeunes. « Cette crise a eu des effets dévastateurs sur l’emploi en électronique, car en matière d’effectifs, nous sommes redescendus à un niveau inférieur à celui des années 1990 ». Alors, 80 millions de téléphones mobiles, soit un quart de la production mondiale de l’époque, étaient fabriqués en France. Aujourd’hui, nous n’en fabriquons plus. Les embauches massives opérées en 2000, parfois à prix d’or, ont finalement affaibli la filière électronique. Beaucoup d’entreprises n’avaient pas les moyens de s’aligner sur les meilleures offres et les plans sociaux qui ont suivi ont eu un impact très négatif sur les métiers de l’électronique. Aussi, leur attractivité est-elle devenue une priorité de la Fieec, car sans ingénieurs de haut niveau capables de concevoir et de développer des produits électroniques, il ne se recréera pas d’emplois de production. Déjà, certains grands groupes, encore trop peu nombreux, qui ont été relativement épargnés par la crise, tirent la sonnette d’alarme. Yves Barou, le DRH de Thales, vient d’annoncer un plan massif de recrutement pour la fin 2009. Le groupe d’électronique de défense, qui a déjà recruté 6 000 ingénieurs et cadres l’année dernière dont la moitié en France, cherche à nouveau à pourvoir 4 500 postes pour la fin 2009, dont 2 000 pour la France. « Dans trois à quatre ans, il n’y aura pas assez d’ingénieurs pour tout le monde », a-t-il déclaré à BFM. « Nous avons développé des initiatives pour mieux nous faire connaître », explique-t-il, car « en matière de recrutements, il y a également une vive concurrence. Face à nous, il y a par exemple, en Inde ou en Chine, une importante production d’ingénieurs », a-t-il souligné. Seulement 150 candidats pour cent places à l’entrée des grandes écoles Cela semble un bon calcul de recruter en période de crise, car les entreprises qui le font auront sans doute plus de candidats que dans quelques mois, lorsque la reprise sera là. Afin de revaloriser les métiers de l’électronique, la Fieec a entrepris des actions de communication sur les professions offertes par la filière. Le problème se pose, à l’origine, en termes de recrutement à l’entrée des grandes écoles. A l’âge d’or de l’électronique, « il y avait dix à quinze étudiants pour une place, aujourd’hui, il n’y en a que 1,5 en moyenne, soit 150 candidats pour 100 places alors qu’il y en avait 1 000 à 1 500 auparavant. Cela pose également un problème de niveau de compétences, non seulement à la sortie des écoles d’ingénieurs, mais aussi en ce qui concerne les formations courtes aboutissant à un DUT ou un BTS. En effet, beaucoup des diplômés de ces filières courtes poursuivent ensuite leurs études dans des écoles d’ingénieurs, et le manque de techniciens se fait sentir, peut-être de manière encore plus criante. Cependant, certaines écoles préfèrent ne pas remplir tous leurs quotas ou encore recruter à l’étranger, plutôt que de prendre tous les candidats qui se présentent ». Le mot même d’électronique a été retiré de certaines formations. De plus les métiers de l’électronique ont la réputation d’être assez compliqués et de nécessiter une formation en continu tout au long de la carrière. « Nous devons délivrer un message positif, dire que l’électronique est partout, qu’elle est indispensable à tous les secteurs industriels. Nous devons travailler sur la communication. Lors des salons destinés aux étudiants, la fédération du bâtiment, par exemple, diffuse des dépliants sur sa filière. Nous devons procéder de la même manière, en menant une campagne de sensibilisation le plus tôt possible, c’est-à-dire à partir du lycée, dès la seconde ou la première. Nous travaillons donc à échéance de sept ans », explique Jean-Christophe Prunet. Ainsi dès la fin de l’année 2009, la Fieec prévoit-elle de diffuser des brochures, des minifilms, ou encore d’intervenir lors de conférences. « Il faut faire en sorte d’augmenter le nombre de candidats et que ceux qui s’engagent dans des études d’électronique décident de rester dans cette voie. Aujourd’hui, il y a de l’ordre de 11 000 jeunes qui entrent dans la vie professionnelle en électronique, dont la moitié d’ingénieurs et la demande des entreprises est à peu près identique, ce qui leur permet un taux de placement extrêmement élevé, de l’ordre de 97 % dans les six mois qui suivent leur sortie de l’école », conclut Jean-Christophe Prunet. Jean-Christophe Prunet, responsable de la commission chargée de l’attractivité des métiers à la Fieec et président de Rhode & Schwartz France: “ Après chaque crise, les ingénieurs victimes de plans sociaux retrouvent vite un emploi. Ce n’est pas le cas du personnel non qualifié ” Opération séduction envers les lycéens grenoblois Entre le 1er et le 3 avril dernier, et pour la troisième année consécutive, a eu lieu une opération de séduction auprès de deux lycées de l’agglomération grenobloise. STMicroelectronics, Soitec et Grenoble INP se sont associés dans le cadre du programme SEMI “ High Tech U ”. Il s’agissait, comme les deux années précédentes, de démystifier l’accès aux filières scientifiques en apportant un éclairage complémentaire aux lycéens qui, pour certains, ont tendance ces dernières années à s’en écarter. Ce programme a proposé aux lycéens de prendre part à différents ateliers sous forme ludique ou pour découvrir les réalités de l’électronique. A Minatec, ils ont par exemple pu pénétrer dans une salle blanche. Un “ module Solaire ” a également été introduit pour cette cession 2009. Les lycéens ont pu ainsi caractériser électriquement des cellules photovoltaïques, et participer à un projet d’utilisation de l’énergie solaire. Selon Lisa Anderson, vice-présidente de la fondation SEMI, ce programme est une réussite : « Non seulement 94 % des lycéens ayant répondu à l’enquête finale de satisfaction disent être maintenant plus intéressés par les carrières scientifiques et le métier d’ingénieur, mais 83 % disent qu’ils ont une meilleure compréhension des voies d’enseignement conduisant à une carrière dans les hautes technologies ». Prêt de main-d’œuvre : l’électronique fait figure de précurseur Le prêt de main-d’œuvre, qui permet de réduire la voilure en plaçant temporairement des salariés dans d’autres entreprises, sans se séparer définitivement de leurs compétences, est en train d’être mis en œuvre au sein du pôle de compétitivité mondial Minalogic, dédié aux micro et nanotechnologies et aux logiciels embarqués, dans la région Rhône-Alpes. Soitec est actuellement en train d’y recourir, afin de limiter les effets induits d’un plan social qui devrait normalement toucher 98 salariés de l’entreprise. Selon Nicolas Leterrier, délégué général de Minalogic, il s’agit de préparer l’avenir malgré la crise. « Le pôle met ainsi en application son rôle fédérateur et adapte l’offre à la demande. C’est très enrichissant pour les salariés, car cela leur permet d’exercer de nouvelles compétences et de s’intéresser à de nouveaux marchés », estime-t-il. Deux domaines sont particulièrement demandeurs : les technologies de la santé et l’énergie (notamment le solaire et le nucléaire). Les centres de recherche tels que le CEA et l’Inria (Institut national de recherche en informatique et automatique), qui bénéficient de budgets décidés en 2008 et qui sont donc moins touchés par la crise que les entreprises, seraient intéressés par des missions de 12 à 18 mois. Les compétences souhaitées sont par exemple celles de techniciens de salle blanche, de techniciens de maintenance d’équipements industriels, de spécialistes des logiciels embarqués et des systèmes complexes. Les salariés qui acceptent d’être transférés conservent les avantages de leur contrat de travail d’origine. Ils ont droit au maintien de leur rémunération. A l’issue de la mise à disposition, ils retrouvent leur emploi ou un emploi équivalent et tous les droits de leur contrat de travail initial avec une rémunération au moins égale. La convention de mise à disposition impose de détailler les caractéristiques des emplois d’affectation (qualifications professionnelles exigées, lieu d’exécution de la prestation de travail, régime du temps de travail ou horaires, exigence d’une formation à la sécurité pour les emplois à risque), le terme de la mise à disposition et les conditions de son renouvellement. Le gouvernement voudrait élargir ce type d’expérience à l’ensemble des entreprises. Une proposition de loi allant dans ce sens a été examinée, fin mai, à l’assemblée nationale. Si elle était adoptée, elle généraliserait le partage de salariés entre employeurs, alors que cette possibilité n’est aujourd’hui réservée qu’aux seules PME dans le cadre d’une convention. Nicolas Leterrier, délégué général de Minalogic : « Un transfert temporaire vers une autre entreprise peut être très enrichissant pour le salarié »

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