Couverture ElectroniqueS n°127

Oui, il est possible pour une entreprise de sous-traitance de prospérer en France, affirme Patrick Guérinel, directeur commercial chez A2E Technologies. A la condition de s'assurer d'une fabrication de produits propres et de cibler des produits demandeurs de compétences rares. Alors que tout le monde ne jure que par la délocalisation, vous soutenez que la sous-traitance a un avenir en France. Comment pourra-t-elle donc survivre ?Grâce, tout simplement, à la volonté et à la créativité des sous-traitants eux-mêmes et grâce à la prise de conscience par les donneurs d'ordre de l'importance des facteurs proximité et réactivité ainsi que des capacités d'innovation des sous-traitants français pour la réussite des projets qui sont aussi des partenariats. Sans oublier les réformes potentielles des pouvoirs publics à l'étude en ce moment.Pouvez-vous préciser chacun de ces points ?Tout d'abord, le sous-traitant a intérêt à s'assurer des rentrées fixes, c'est-à-dire à se constituer un portefeuille de produits propres et à acquérir des compétences rares qui lui ouvrent les portes de marchés de niche, qui sont souvent des segments à forte valeur ajoutée. La réalisation de produits propres garantit une charge de travail régulière à l'entreprise et permet à cette dernière une meilleure visibilité. Au départ, A2E Technologies a ainsi assuré sa progression grâce aux commandes de la société Adetec, à la fois société commerciale et laboratoire d'étude et de développements de produits de télétransmission de données. Créée en 1995, la société Adetec, bien qu'elle soit détenue à 51 % par Christian Blin, p-dg d'A2E Technologies, est une entité juridiquement indépendante. Tout comme dans le cas des produits propres, les contrats d'exclusivité pluriannuels passés avec les clients garantissent une charge de travail régulière pour le sous-traitant. Dernièrement, A2E Technologies a tissé un lien privilégié avec une start-up du secteur de la sécurité piscine, lien qui se concrétise aujourd'hui par des fabrications s'échelonnant sur plusieurs années : de 50 000 à 100 000 produits sur deux ou trois ans, soit plusieurs millions d'euros de chiffre d'affaires.Et en ce qui concerne les compétences rares ?Les compétences rares permettent de pénétrer des marchés de niche qui peuvent s'avérer très porteurs comme ceux des équipements de puissance destinés à la défense, l'avionique, l'automobile ou le médical. Dans notre cas, nous avons racheté, en 2001, la société Enertronic, un bureau d'études spécialisé en électronique de puissance. Ce qui nous a permis de nous faire une place dans les marchés des alimentations et générateurs spécifiques tels que plasma, hydrogène et lasers, sans oublier les convertisseurs d'énergie pour véhicules électriques et les interrupteurs statiques de haute énergie. D'ailleurs, nos ministères de tutelle devraient veiller à mieux soutenir les entreprises prospectant ce type de niche high-tech, qui, du fait de l'évolution des technologies et de la rareté des compétences mondiales, peuvent devenir les points forts de la France de demain…Et en ce qui concerne la production de grandes séries ?Pour la production de grandes séries de cartes électroniques, et pour la conception des moules ainsi que la fabrication de pièces injectées, A2E Technologies s'est associé à deux fabricants, l'un tunisien, l'autre polonais. C'est un fait, les sous-traitants des pays à faible coût de main-d'&oelig;uvre sont de plus en plus actifs : je vous rappelle qu'une dizaine de sociétés marocaines et tunisiennes étaient présentes au dernier Forum de l'électronique. Toutefois, et il faut le mentionner, la délocalisation n'est pas une fin en soi. Elle intervient du fait des pressions constantes des clients et des contraintes fiscales et administratives trop lourdes pour notre industrie. Mais le sous-traitant français qui ne fait pas appel à l'externalisation dans ce type de pays, y compris la Chine, est, pour moi, un industriel qui ne remplit pas son rôle de partenaire envers son client. D'une manière générale, nous nous devons d'anticiper les stratégies de nos clients sous peine de disparaître…Comment devraient, à votre avis, évoluer les associations entre sous-traitants français et sous-traitants des pays à faible coût de main-d'&oelig;uvre ?La relation client-fournisseur traditionnelle doit faire place à un engagement réel, qu'il soit juridique ou financier, le sous-traitant français prenant alors, par exemple, une participation dans le capital de son partenaire. D'habitude, ce type d'engagement se dessine après une période d'observation mutuelle d'environ deux ans. Si, à la fin de cette période, les deux parties n'arrivent pas à conclure un accord, il faut tout reprendre de zéro en réinstaurant des relations client-fournisseur usuelles avec leur lot d'aléas (consultation, remise en cause, etc.).Ces recettes sont-elles une garantie de succès pour le sous-traitant ?Il faut encore être conscient de l'importance de la présence commerciale sur le terrain. C'est elle qui permet à la société d'avoir une vision prospective des marchés et de leurs évolutions. C'est elle qui transforme la relation traditionnelle de dépendance du sous-traitant envers son donneur d'ordre en un véritable partenariat, constructif et créateur de richesse pour les deux parties.En outre, pour garantir la pérennité de nos entreprises, l'Etat doit rapidement s'engager dans des réformes fortes. Il ne faut pas que l'industrie électronique française se retrouve prisonnière d'un scénario similaire à celui du textile des années 1970-1980. La sous-traitance électronique représente, dans l'Hexagone, encore 60 000 emplois, et l'ensemble de la filière regroupe encore 220 000 personnes… Il semble cependant que l'Etat prenne conscience de l'enjeu. Dernièrement, Jacques Chirac a missionné Jean-Louis Beffa, p-dg de Saint-Gobain, pour qu'il examine dans quels secteurs et selon quelles modalités pourrait être engagée une relance des grands programmes scientifiques et technologiques. Une des neuf personnalités participant à cette mission n'est qu'autre que Pierre Gattaz, représentant les syndicats de l'industrie électronique.Toutefois, c'est la classe politique (et donc nos élus) dans son ensemble qui doit être consciente de l'enjeu que représente l'électronique en France, et qui doit militer avec nous pour la pérennité et surtout pour la reconquête de notre assise industrielle. Malheureusement, dans la pratique, le blocage des subventions imposé par Bercy (Anvar, Drire…) a contraint certains clients à transférer à l'étranger leurs cahiers des charges portant sur des études nouvelles. La France voit ainsi lui échapper l'étude de nouveaux produits en même temps que leur production.

« La sous-traitance électronique française a un avenir, mais à certaines conditions »

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