Couverture ElectroniqueS n°127

Longtemps pressentis pour dépasser les limitations du silicium en forte puissance, les semiconducteurs composés semblent sur le point de sortir des laboratoires et de se prêter à la fabrication de composants pour l'électronique de puissance. Savoir maîtriser les pertes en électronique de puissance, c’est le nerf de la guerre pour l’intégration, la réduction des coûts systèmes, mais aussi la fiabilité à long terme. Réduire les pertes, c’est diminuer l’encombrement et le poids du système de refroidissement, donc in fine du système – ce qui s’avère crucial dans l’embarqué. C’est aussi, outre le coût non négligeable du refroidissement, une manière de limiter les cyclages thermiques ainsi que les risques de pannes, une limitation de la durée de vie. Mais, de l’aveu même du responsable de la recherche de Mitsubishi Electric, Gourab Majumdar, senior chief engineer de la division Power Device Works, les progrès en semiconducteurs silicium plafonnent. « En prenant une base 100 pour les pertes des transistors bipolaires, qui comprennent les pertes à l’ouverture, à l’état passant et à la fermeture, la première génération d’IGBT a permis de les réduire à seulement 67 %, et la dernière génération d’IGBT de la société disponible sur le marché, la cinquième, était à 22 %. La sixième génération, en cours d’introduction et présentée au salon PCIM qui s’est tenu à Nuremberg du 12 au 14 mai , descend à 17 % seulement des pertes des bipolaires, mais pour passer à l’étape supérieure, de l’ordre de 10 %, seul le carbure de silicium est capable d’offrir un tel potentiel » a-t-il expliqué. Le potentiel du carbure de silicium butait jusqu’à maintenant sur un certain nombre de problèmes techniques de production du matériau et de réalisation des composants du type transistor. En effet, si les diodes en carbure de silicium ont fait leur apparition commerciale depuis plusieurs années (avec, aux Etats-Unis, la poussée de Cree et en Europe l’implication d’Infineon), dans les faits l’offre restait jusqu’à maintenant limitée à des applications très spécifiques. Les performances de ces diodes n’étaient pas mises en doute, mais l’addition économique demeurait difficile à résoudre. Arrivée des premiers transistors en vue En théorie, si le matériau et le composant semiconducteur restent d’un coût plus élevé, il remplace une diode silicium dont les performances bien inférieures nécessitaient des composants passifs plus volumineux, en termes de dissipation et de filtrage, qui pouvaient faire pencher la balance en faveur du carbure de silicium. Cette notion théorique semble devenir progressivement une réalité si l’on regarde l’offre en module IGBT des différents fabricants qui exposaient presque tous plusieurs modèles intégrant des diodes Schottky en carbure de silicium au salon PCIM. Il reste cependant encore des progrès à faire en tenue à fort courant. Selon la société Vincotech, dont le dynamisme se traduit en un grand nombre de nouveaux modules IGBT présentés au salon, il reste ainsi plus intéressant de mettre en parallèle plusieurs puces à tenue en courant limité que de recourir à des modèles monolithiques de forte valeur. Ce qui se comprend aisément du fait de la surface de puce nécessaire, des défauts des procédés de production du matériau et des techniques de fabrication de semiconducteurs. Mitsubishi Electric a présenté lors des conférences associées au salon PCIM sa vision de l’avenir en matière de composants basés sur des semiconducteurs composés. Son choix se porte pour l’instant sur des transistors Mos en carbure de silicium dans sa variété 4H, qui se distingue par une mobilité électronique élevée et une conductivité thermique de 4,9 W/ cm.K. Un module prototype basé sur des transistors Mos 1 200 V avec diode Schottky en antiparallèle, également en SiC, lui a permis de réaliser un convertisseur 400 V triphasé d’une puissance de 3,7 kW découpant à 15 kHz, d’une densité de 9 W/ cm3 considérée par la société comme exceptionnelle. Par contre, si l’année 2010 est indiquée sur un des graphiques d’évolution de la société, cette dernière n’a pas confirmé si cela correspondrait à une réalité commerciale. En Europe, c’est Siced, société commune à parts égales entre Siemens et Infineon, qui semble le fer de lance de l’innovation dans ce domaine avec des développements de transistors JFet à jonction verticale. Ces transistors seraient particulièrement robustes, mais sont normalement conducteurs et doivent être associés en cascode à un transistor Mos faible tension. Un prototype de module 1 200 V, rassemblant pour chaque commutateur six puces JFet SiC avec un transistor Mos afin d’obtenir un composant d’une résistance à l’état passant de seulement 70 mΩ, a été présenté lors de PCIM. L’américain International Rectifier travaille, lui, depuis plus de cinq ans sur la conception et la production de transistors en nitrure de gallium. Sa technologie repose sur des tranches de nitrure de gallium sur silicium et pourrait s’apparenter à celles employées ces dernières années pour les applications radiofréquences de puissance, ciblant notamment les infrastructures radiotélécoms – la dernière annonce en date étant l’offre de fonderie du géant américain des semiconducteurs radiofréquences RF Micro Devices. International Rectifier a dévoilé d’une façon assez confidentielle son engagement et ses premières réalisations lors du dernier salon Electronica en novembre 2008. Au salon PCIM, une conférence a permis d’en savoir un peu plus. Pour l’Américain, pionnier des transistors Mos de puissance, les performances de ces derniers en terme de résistance à l’état passant sont aujourd’hui proches des limitations physiques et nécessitent de passer aux semiconducteurs composés pour gagner un ordre de grandeur. En revanche, il estime que la voie carbure de silicium restera tributaire de coûts de matériaux élevés : il estime le prix d’une tranche de SiC de 100 m de diamètre à plus de mille dollars, soit 50 fois le coût d’une même tranche de silicium ! De plus, la qualité nécessaire pour la fabrication de puces avec un rendement de production acceptable se paierait, elle, près de 5 000 dollars, soit un prix de 65 $/ cm2. Or la société évalue la limite de viabilité économique pour servir le marché des puces de puissance à 3 $/ cm2. Par ailleurs, elle souligne que les procédés de fabrication nécessaires en carbure de silicium pour réaliser les différentes structures des transistors sont éloignés des méthodes de fabrication classique de composants silicium, et que leur surcoût ne pourra être amorti que pour des commandes de composants spécifiques destinés à des marchés comme le militaire, le spatial, voire certaines applications radiofréquences. A contrario, elle assure avoir mis au point un procédé de production de composants en nitrure de gallium sur silicium à un coût compétitif, ne nécessitant qu’une modification mineure des processus et des machines d’une ligne de production actuelle de composants silicium de puissance. L’Américain a réalisé différents prototypes de transistor Hemt en GaN qui lui permettent d’annoncer une amélioration en résistance à l’état passant d’un facteur 2 à 10. Et il espère en cinq ans améliorer d’un ordre de grandeur, l’indice de performance du coût multiplié par la résistance et la charge de grille. Ses premiers produits commerciaux devraient être des transistors 30 V destinés à des convertisseurs de tension continue pour lesquels il estime le marché économique plus adapté que la gamme des transistors de forte tension (600 V et plus). Il annonce par exemple une amélioration de trois points du rendement d’un convertisseur 30 A acceptant 12 V en entrée et 2 V en sortie par rapport à des solutions à l’état de l’art en silicium. Par ailleurs, ces transistors permettraient de monter en fréquences pour réduire l’encombrement des composants passifs. Un prototype de convertisseur GaN a ainsi été mesuré avec une fréquence de fonctionnement de découpage de 5 MHz à un rendement de 86,5 % pour une conversion de 12 V en 1,8 V, avec un module de 7 x 9 mm. Soit 65 % plus petit qu’une solution silicium grâce à la réduction de la taille de l’inductance et des condensateurs de sortie. La société prévoit déjà de porter le rendement de ce convertisseur à 90 % en 2010 avec différentes améliorations. Il devient par exemple nécessaire d’avoir des circuits de commande PWM capables de gérer des fréquences beaucoup plus élevées. En effet, les premiers tests montrent des comportements satisfaisants avec des commutations à 10 MHz, et la société anticipe de monter au moins jusqu’à 50 MHz. Reste que, pour l’instant, la société n’a pas annoncé de date de commercialisation. Premier transistor JFet normalement ouvert Son compatriote SemiSouth croit, lui, à la viabilité commerciale du carbure de silicium et a démarré l’échantillonnage de transistors. Il revendique avoir réalisé le premier transistor JFet en carbure de silicium normalement ouvert, et s’est doté d’une unité de production d’épitaxie de carbure de silicium et de fabrication de structure en tranchée. Son modèle référencé SJEP120R125 est spécifié pour une tenue en tension de 1 200 V, une résistance à l’état passant de 125 mΩ maximum et une énergie de commutation typique de 170 μJ. Il annonce un niveau de pertes de 30 W dans une commutation à 18 kHz et un rapport cyclique de 50 % pour un courant de 15 A, et 50 W à 50 kHz. A titre de comparaison, un IGBT silicium de même calibre présenterait dans ces conditions des pertes respectives de 50 W et 100 W selon SemiSouth. Dans une application d’onduleur solaire mise au point par le Fraunhofer Institute, ce composant aurait permis d’atteindre sous une puissance de 1 000 W un rendement de 98,8 % avec seulement 5 W de perte dans le semiconducteur, soit une suppression de plus de moitié des pertes par rapport au silicium et une quasi-disparition du besoin de dissipation et de composants de filtrage. Outre le carbure de silicium, le nitrure de gallium pourrait offrir des semiconducteurs de puissance performants. Le marché du semiconducteur de puissance composé va décoller La société d’étude française Yole Développement s’est attachée à l’observation du marché des semiconducteurs de puissance et notamment des semiconducteurs composés.Elle recense ainsi quelque 22 acteurs industriels s’impliquant dans le développement de transistors en carbure de silicium avec pas moins de 19 réalisations établissant un état de l’art suivant les différentes voies technologiques suivies. L’étude estime que la croissance, déjà rapide, du marché des composants semiconducteurs en carbure de silicium, diodes schottky jusqu’en 2009, de 27 % par an en moyenne, sera accélérée à 62 % par an de 2010 à 2012 avec l’arrivée commerciale des transistors pour représenter en 2012, 22 M$ pour les diodes et 82 M$ pour les transistors. L’étude voit également une pertinence dans l’utilisation du nitrure de gallium pour des tensions de fonctionnement jusqu’à 1,2 kV et anticipe qu’il pourrait présenter des progressions similaires à celle du carbure de silicium. Ce module 1 200 V associe plusieurs puces SiC en parallèle pour descendre à l’état passant à une résistance de 70 mΩ. Comparaison des différentes structures de transistors en carbure de silicium Résistance (en mΩ.cm2) Capacité grille drain Tenue en avalanche Complexité de fabrication Sensibilité au matériau Sensibilité au procédé Fiabilité Dmosfet 4,6 Elevée Oui Complexe Faible Modérée Modérée JFet latéral normalement conducteur 8 Elevée Oui Complexe Modérée Modérée Elevée JFet vertical normalement conducteur 1,88 Elevée Non Simple Modérée Modérée Elevée JFet vertical normalement ouvert 2,9 Faible Non Simple Elevée Elevée Elevée Bipolaire 4,4 Elevée Oui Simple Elevée Modérée Dégradée

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