Couverture ElectroniqueS n°127

Selon Christian Kafka, vice-président en charge de l'Europe de l'Ouest chez Silica et membre du bureau directeur du SPDEI(*), la France peut toujours jouer un rôle dans la production de biens électroniques à condition que ses industriels osent aller démarcher à l'étranger et que le gouvernement s'implique davantage. Comment voyez-vous évoluer la distribution en France ? En 2003, le marché français de la distribution a chuté de 9 %. Je ne pense pas qu'il doive encore fortement diminuer dans les années à venir. En fait, il devrait être tiré par l'aide au design. Toutefois, en raison de l'offensive des ténors du domaine, il est à craindre que quelques petits distributeurs de l'Hexagone disparaissent. Est-ce que les délais et les augmentations de prix qui ont vu le jour en début d'année et se sont estompés en mai ont repris ? Au cours du troisième trimestre 2004, du fait d'une diminution de la demande en Asie, la plupart des délais sont redevenus normaux, c'est-à-dire de l'ordre de 8 semaines pour les circuits logiques et linéaires et les transistors petits signaux. Les prix qui ont atteint leur pic au début du troisième trimestre devraient baisser progressivement dans les semaines à venir. Des problèmes demeurent toutefois en mémoires flash, en particulier pour les produits AMD dont quelques-uns sont encore sous allocation, et en Eeprom, où les délais tournent autour de 12 à 16 semaines. L'aide au design est devenue une priorité pour la distribution aujourd'hui. Qu'en est-il pour Silica ? Cela fait plusieurs années que Silica fait de l'aide au design une de ses priorités. A terme, cette activité devrait représenter entre 30 % et 35 % du chiffre d'affaires. En France, nous nous appuyons sur 9 personnes qui aident à choisir les composants idoines pour une application précise, qui interviennent dans l'aide à la conception comme dans le transfert de production. Le président du SPDEI proposait que ce soit les fabricants de composants qui rémunèrent le distributeur pour l'aide au design. Qu'en pensez-vous ? C'est une excellente idée, et Arrow et Avnet, pour ne citer qu'eux, discutent actuellement cette question avec les fabricants de composants, qui demeurent toutefois réticents à tout changement dans ce domaine… Le marché de l'obsolescence semble également prometteur. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Que ce soit dans les domaines de l'avionique, de l'automobile ou du médical, le marché des composants obsolescents est très important. Aujourd'hui, chez Silica, nous stockons des composants pour des périodes de durée variable, en fonction de la demande de nos clients. Nous nous appuyons aussi sur des partenaires fabricants spécialistes des composants obsolètes. Favorisée par le mouvement d'externalisation de la production chez les OEM, la sous-traitance est devenue un secteur “ qui compte ”. Quelle part de chiffre d'affaires représente-t-elle chez Silica en Europe, en France ? La sous-traitance représente environ 20 % du chiffre d'affaires de Silica en Europe. En France, du fait de la présence de grandes usines d'assemblage électronique, ce pourcentage est plus élevé encore, compris entre 35 % et 40 %. Chez Avnet, une filiale spécialisée baptisée SCS (Supply Chain Solutions) s'occupe des grands comptes de ce secteur (Solectron, etc.). Un accord lie SCS aux autres filiales du groupe de telle façon que, lorsqu'une de ces entités fait part à SCS d'un marché, elle puisse récupérer une partie du résultat. Problème plus général : en France, on évalue le DTAM à 25 % du TAM. Est-ce que cette part pourrait progresser ? On me disait il y a quatre ans : “ La bonne nouvelle est que le DTAM peut augmenter ; la mauvaise, c'est que ça fait 20 ans qu'on en parle et que ça ne bouge pas ! ” Cela s'est vérifié. Aujourd'hui, je ne pense pas que cette part puisse augmenter de manière significative. Quel est le poids des délocalisations dans la diminution du marché de la distribution ? Les délocalisations jouent bien sûr un rôle. Mais la délocalisation n'est pas une fatalité. En outre, elle a trop souvent été, jusqu'alors, initiée au sein d'une stratégie de type “ pourquoi pas ”. Plusieurs entreprises en sont d'ailleurs revenues, qui ont rapatrié des productions délocalisées en Chine par exemple. Pour quelles raisons ? Les coûts des infrastructures peuvent s'avérer conséquents, plus élevés qu'en Europe. Quant au coût de la main-d'&oelig;uvre, environ le dixième de celui de la France, il n'égale souvent, du fait de l'automatisation manifestée notamment par l'emploi d'équipements CMS, que 5 % du prix de revient d'une carte électronique. Une différence que peuvent compenser le distributeur et le fabricant de composants. En outre, la conformité des produits aux normes n'est pas toujours assurée : l'estampille “ Made in China ” n'est pas un gage de qualité ! Puis gérer des équipes chinoises n'est pas si aisé : les différences culturelles induisent des incompréhensions qu'il faut vaincre. Enfin, nul n'est à l'abri des contrefaçons. Les Chinois sont honnêtes mais leur législation dans ce domaine est, pour le moins, permissive. Il vaut mieux se méfier. Ce que certaines sociétés ne semblent pas comprendre : j'ai vu, dernièrement, un donneur d'ordre du secteur de la défense qui voulait faire fabriquer en Chine une carte pour le militaire d'une valeur de 7 000 $. Il ne prend que le risque de voir cette carte apparaître sur le marché à un prix deux fois moindre… Vous n'êtes donc pas un adepte de la délocalisation ! C'est le moins qu'on puisse dire : je milite pour le maintien d'une industrie électronique forte dans l'Hexagone. Ne serait-ce que parce qu'il ne peut y avoir de conception digne de ce nom sans production. Il est capital que l'ingénieur de conception ait des feed-back en provenance de la production. Or, la France est, à ce jour, réputée pour ses ingénieurs de conception. En outre, rappelons cette vérité simple : des produits qui partent à l'étranger signifient des emplois en moins. Enfin, nous disposons, dans l'Hexagone, de sous-traitants qui sont à la hauteur : Asteel, Eolane, NCF pour n'en citer que quelques-uns. Que fait Silica pour aider les entreprises françaises à continuer à produire dans l'Hexagone ? Notre société fait tout ce qui est en son pouvoir pour le maintien du travail sur le territoire. Nous travaillons main dans la main avec nos fournisseurs, les fabricants de composants, dans les négociations que nous menons avec les clients. Avec pour objectif que ces fabricants de composants fassent un effort. Dans quels domaines les entreprises françaises devraient-elles s'investir ? Dans le médical, dans la sécurité, dans la domotique, dans les équipements de la défense, dans les produits blancs pourquoi feraient-elles moins bien que l'Italie dans ce secteur ?, dans l'automobile… Quel autre conseil donneriez-vous aux industriels français de l'électronique ? D'aller voir ce dont ont besoin les étrangers. Le Liban, par exemple, qui reconstruit Beyrouth, manque de volets roulants, de dispositifs de sécurité, d'alarmes… D'une manière générale, les Français sont trop frileux et trop sédentaires. En outre, les fabricants de l'Hexagone devraient penser à rapatrier tout ou partie des productions automatisées aujourd'hui délocalisées, à l'image de ce que font les Allemands. Ce d'autant plus que le “ Made in France ” jouit d'une bonne réputation. Vous connaissez bien la Chine. Pensez-vous qu'elle puisse devenir un géant de l'électronique tant en conception qu'en fabrication ? Absolument. Un “ phénomène Silicon Valley ” n'y est pas exclu. La Chine dispose de possibilités financières et économiques, de capacités éprouvées de production et d'aptitudes certaines en conception via ses centres universitaires. Dans ce pays, en effet, les ingénieurs sont très compétents. (*) SPDEI : syndicat français de la distribution.

« Nous avons toujours les moyens de fabriquer en France »

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