Couverture ElectroniqueS n°127

Désormais privée de ses imageurs automobiles et surtout de ses mémoires, l'activité circuits intégrés de Toshiba dispose encore d'atouts sur lesquels semble compter le japonais, fournisseur historique de composants et d'appareils électroniques, pour accomplir sa renaissance. Au milieu des années 1980, Toshiba fait figure de pionnier des ordinateurs portables, un secteur dont il restera l'un des leaders mondiaux jusqu'à la fin des années 2000. A ujourd'hui dans la tourmente, Toshiba a longtemps été le fleuron de l'industrie microélectronique japonaise. Intégré verticalement, le grand groupe nippon concevait et produisait les composants nécessaires à ses propres systèmes, qui s'étendaient alors de la télévision à l'informatique en passant par la bureautique, l'industriel ou encore les transports. En outre, il commercialisait une flopée de composants à l'extérieur de l'entreprise, à commencer par les mémoires flash dont il revendique la paternité. Jusqu'au début de l'actuelle décennie, Toshiba figurait d'ailleurs le plus souvent parmi les trois premiers fournisseurs de circuits intégrés au monde (hors fonderies). Le déclin s'est fait sentir bien avant la récente vague de scandales qui a induit le dépeçage du fabricant. Toshiba est né en 1939 d'une fusion entre Tokyo Electric (pionnier de la lampe à incan-descence et fabricant de petits appareils électriques) et Shi-baura Engineering Works (fabricant de matériel télégraphique puis de machinerie électrique lourde). Durant la guerre, la société produit des radios, des tubes à vide, des générateurs et d'autres fournitures militaires. Elle s'est considérablement développée après la Seconde Guerre mondiale, d'abord sur son marché domestique (téléviseurs, magnétoscopes, systèmes d'air conditionné, de chauffage et de ventilation, bureautique, etc.), puis, sous l'exhortation des pouvoirs publics nippons prônant l'exportation à tous crins, à l'échelle mondiale dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. À l'origine du premier PC portable « compatible IBM » de l'industrie, le T1100 (1985), Toshiba deviendra par exemple l'un des leaders mondiaux de ce secteur jusqu'à la fin des années 2000. Concurrence asiatique Mais, dès le début des années 2010, le japonais a souffert, comme une grande partie de l'électronique nippone, de la concurrence croissante des chaebols sud-coréens (Samsung et LG en tête), désormais capables de produire des appareils électroniques moyen et haut de gamme, et des fabricants taïwanais et chinois imbattables sur l'entrée de gamme. Sa production interne de composants en a logiquement souffert. À partir de 2014, en raison de ventes en chute libre et de pertes croissantes, Toshiba a envisagé de sortir du marché des ordinateurs fixes et portables, une division qui sera finalement cédée à Sharp/Fox-conn. En 2015, le japonais abandonne le marché des téléviseurs qu'il sous-traitait déjà depuis 2010. À la concurrence accrue sur les produits finaux s'ajoutèrent les scandales. En 2015, une enquête révèle que la société maquille ses comptes pour atténuer les effets financiers de ses ventes en baisse. Afin de satisfaire leurs actionnaires, les dirigeants de Toshiba avaient pris l'habitude d'exiger de leurs chefs de divisions des résultats irréalisables. Pour atteindre leurs objectifs, ces derniers se sont mis à anticiper des ventes futures et à retarder des charges passées dans les bilans financiers. Le scandale n'a fait que précipiter les difficultés financières du groupe, paralysé par plusieurs vagues de changement de direction. Plus grave peut-être, il révélait une culture d'entreprise dont Toshiba n'a pas été la seule victime au Japon, et qui, entre dirigeants hors sol et cadres incapables de leur tenir tête, limitait considérablement l'esprit d'initiative pourtant indispensable à toute entreprise high-tech. Le bourbier nucléaire À la concurrence et aux scandales s'ajouta rien de moins qu'un tsunami, celui qui déclencha le drame de la centrale nucléaire de Fukushima. En 2006, désireux de se lancer sur un marché alors porteur aux États-Unis et en Asie, Toshiba mise 5,4 milliards de dollars sur le fabricant américain de centrales nucléaires Westinghouse. Après la catas-trophe de 2011, le Japon, l'Allemagne et d'autres pays décident pourtant de couper tout investissement dans ce secteur. Empêtré dans des chantiers aux coûts mal maîtrisés, Westinghouse plonge dans le rouge et, avec une dette avoisinant les 10 milliards de dollars, se met en banqueroute. La maison-mère doit alors céder urgemment ses bijoux de famille pour ne pas disparaître à son tour dans un tourbillon de pertes. Du côté des semi-conducteurs, Toshiba revend d'abord ses imageurs à Sony, qui y voit un bon moyen d'accentuer rapidement sa pré-sence en capteurs d'images pour l'automobile. L'activité mémoires suivra : désormais baptisée Kioxia (mélange du japonais kioku, « mémoire », et du grec axia, « valeur »), elle représentait, lors de l'année fiscale 2018, un chiffre d'af-faires annuel équivalant à 10,5 milliards d'euros pour un bénéfice net de 500 millions d'euros environ. Il s'agit là du deuxième fabricant mondial de mémoires flash NAND, avec une part de marché de 18,1 %, derrière Samsung (34,9 %) et devant Western Digital (14 %), Micron (13,5 %), SK Hynix (10,3 %) et Intel (8,7 %) (1) . Toshiba a dû en revendre 60 % à un consortium financier emmené par Bain Capital (2) en 2018, pour un montant estimé à 18 milliards de dollars. Au sein de cet hétéroclite consortium figurent des clients, comme Apple, Dell, Seagate et Kingston, mais aussi un concurrent, SK Hynix. Initialement prévue pour septembre 2019, l'introduction en Bourse de Kioxia a été retardée jusqu'à présent, tant en raison d'un marché des mémoires en grande méforme que d'un contexte de guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, mais aussi entre le Japon et la Corée du Sud. < Toshiba ne possède plus que 40 % de Kioxia, qui regroupe ses activités en mémoires flash et disques durs SSD. 3 Md€ de ventes annuelles en composants Mais Toshiba, ce n'est pas que des mémoires. La partie semi-conducteurs et stockage de données du groupe, qui pèse encore un quart de son chiffre d'affaires, est estimée à près de 7 milliards d'euros de ventes pour 2019. Cela en fait la deuxième filiale de Toshiba en importance, derrière les infrastructures (routes, chemins de fer, contrôle aérien, etc.) et devant l'énergie (génération, distribution, stockage) et les solutions numériques (informatique et réseaux). L'objectif de Toshiba est justement de s'appuyer sur cette double culture, à la fois bien implantée dans le monde physique et dématérialisée dans le monde numérique, pour devenir un leader dans la numérisation et l'exploitation de données issues du monde physique. Derrière ce concept un peu nébuleux de « cyber-physical systems » se cachent en fait des applications telles que l'industrie 4.0, les smart grids, la robotisation, l'automobile autonome ou encore la médecine avancée. Du côté des seuls semi-conducteurs, Toshiba peut compter sur un catalogue assez large de composants qui pèseront environ 3,15 milliards d'euros de vente cette année et, espère le fabricant, 3,5 Mde en 2021. Les composants Toshiba (microcontrôleurs, transistors de puissance, composants d'isolation, etc.) visent notamment la commande de moteurs et d'alimentations. En ce qui concerne les micro-contrôleurs, Toshiba est en train d'achever sa transition entre ses cœurs propriétaires historiques 8 et 32 bits et les modèles à cœurs ARM, qui représentent l'avenir de sa gamme. Parmi ces derniers figurent les TX3/Z3 (modèles Cortex-M3 généralistes) et TXZ4 (Cortex-M4 pour la commande moteur et la bureautique), les TX00 (Cortex-M0 basse consommation et faible encombrement), les TX03 et TX04 (Cortex-M3 et M4 haut de gamme) et les plus ancien TX09 à cœur ARM926EJ-S. Souvent disponibles sous 5 V, les TX03, TX04, TXZ4 ainsi que les futurs TMPM4K à cœur Cortex-M4F 160 MHz visent par exemple le contrôle vectoriel de moteurs triphasés dans l'électroménager, l'industriel ou la bureautique. Toshiba dispose également d'un large catalogue de microcontrôleurs et processeurs dédiés à l'automobile, allant de la simple commande de moteur (ventilation, pompe, habitacle) aux processeurs d'images Visconti pour conduite assistée. « Nos microcontrôleurs ne viennent pas concurrencer les modèles à tout faire des plus grands fabricants du secteur, et sont tous équipés de fonctions spécifiques comme des interfaces PHY, des ports haut débit ou des fonctions de sécurité », explique Armin Derpmanns, responsable du marketing pour les semi-conducteurs du japonais en Europe. L'avenir des microcontrôleurs Toshiba s'inscrit dans deux familles, les TXZ+ (modèles Cortex-M3/M4 en Cmos 40 nm) et TXZ+E (versions 8 bits et Cortex-M0/M3 en 130 nm, plus économiques), les deux se distinguant par la présence en série de fonctions de sécurisation des données. Un vrai savoir-faire en puissance Toshiba dispose également à son catalogue de composants optoélectroniques. Ses opto-coupleurs disposent désormais de diodes LED à longue durée de vie (dégradation de l'émis- (1) Source : TrendForce, ventes au deuxième trimestre 2019. (2) Basé à Boston et cofondé par Mitt Romney, le groupe d'investissement et de gestion d'actifs Bain Capital n'est pas un inconnu de l'industrie des sion lumineuse limitée à 10 % au bout de 100 000 heures), d'une consommation réduite (0,3 mA pour le TLP2310) et de boîtiers ultra-compacts incluant un SO6 à 2,3 mm d'épaisseur. Sa prochaine génération de photorelais, va, elle, adopter une architecture DTMOS et des boîtiers toujours plus petits, notamment un VSON de 2,45 x 1,45 x 1,3 mm. Enfin, Toshiba propose un large panel de composants de puissance, parmi lesquels des commutateurs et correcteurs de facteur de puissance à diodes et/ou transistors de découpage intégrés, ainsi que des modèles O-Ring et de redressement. Il commercialise également des transistors IGBT et Mosfet, et des modules SiC pour les plus hautes valeurs de puissance. Des composants GaN sont actuellement en phase de développement chez le japonais, pour les fréquences de découpage supérieures. Officiellement, tous ces composants ont vocation à rester dans le giron de Toshiba. Il est fort possible que le japonais conserve son modèle économique d'intégration verticale, même s'il commercialise désormais l'essentiel de ses circuits intégrés à l'extérieur de sa maison mère. D'autres futurs semblent également possibles. À l'instar d'un IBM, le japonais pourrait, pour ses activités high-tech, privilégier la gestion de données numériques aux aspects purement hardware. Il pourrait également choisir de revendre ses semi-conducteurs, qui sont moins utilisés en interne et nécessitent l'entretien d'usines dédiées, soit à un acteur local (comme Renesas, la voiture-balai de l'industrie microélectronique nippone), soit hors de l'archipel. semi-conducteurs. Parmi ses actifs qui s'élèvent à plus de 100 milliards de dollars figurent par exemple NXP Semiconductors (ancienne activité circuits numériques de Philips) et Sensata Technologies (ex-capteurs de TI).

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