Couverture ElectroniqueS n°127

Avec l'accélération du Plan France Très Haut Débit, tous les voyants semblaient au vert pour le Sycabel en 2019. Pourtant, la fin de l'année a été marquée par un fort ralentissement des livraisons de câbles à fibre optique qui inquiète les membres du syndical du câble. Explications. L 'industrie câblière est particulièrement active en France. Représenté par le Sycabel, le syndicat professionnel des fabri-cants de fils et câbles électriques et de communication, qui regroupe la quasi-totalité des sociétés du câble implantées dans l'Hexagone, ce secteur emploie plus de 8 000 personnes sur près de 40 sites de production répartis dans 70 % des régions de notre territoire. Et en 2018, le chiffre d'affaires cumulé des membres du Syca-bel a progressé de 9 %, pour atteindre quelque 2,7 milliards d'euros, essentiellement grâce au déploiement spectaculaire de la fibre optique dans le cadre du Plan France Très Haut Débit. C'est pourtant un message d'alerte qu'a lancé le Sycabel le mois dernier au point de convoquer la presse pour faire part de ses « vives inquiétudes » concernant son activité câbles à fibre optique, qui compte pour une part importante de son chiffre d'affaires (l'activité câbles de communication – qui comprend notamment les câbles à fibre optique – représente 28 % de l'activité du syndicat). Représenté par son président Eric Francey (également directeur du Transformation Program Office du groupe Nexans), sa déléguée générale Marie-Thérèse Blanot, et son vice-président en charge des télécoms Jacques de Heere (également PDG d'Acome), le Sycabel a ainsi fait part lors de ce point presse d'une baisse très forte (20 %) et très brutale (en quelques semaines seulement) de ses livraisons de câbles à fibre optique, une première depuis 2011. Cela alors même que les déploiements de la fibre optique s'accélèrent dans l'hexagone. Mais au-delà de ce constat, le syndicat identifie les causes et les conséquences de cette forte baisse qui pour-raient affecter non seulement l'industrie du câble à fibre optique en France, mais également la qualité et l'évolutivité des réseaux à très haut débit déployés. Pour comprendre la situation et l'inquiétude du Sycabel, revenons sur la genèse du Plan France Très Haut Débit. C'est en 2008 que la France a choisi un modèle spécifique d'équipements en très haut débit fixe associant déploiements privés et publics et encadré initiale-ment par la loi de modernisation de l'économie. Avec le lancement en 2013 du Plan France Très Haut Débit, l'ambition du gouvernement était de couvrir 100 % du territoire en Très Haut Débit (THD, débit supérieur à 30 Mbit/s) à l'horizon 2022 – soit 35 millions de lignes fixes à équiper – dont au moins 80 % en fibre optique jusqu'à l'abonné (FTTH, débit supérieur à 100 Mbit/s). L'État a affecté une enveloppe de 3,3 milliards d'euros à cet objectif qui mobilise donc acteurs privés et publics dans les territoires. La définition d'objectifs au niveau national pour le déploie-ment du THD a mis l'accent sur l'existence d'une filière française forte, spécialisée dans les réseaux de télécommunications, dont la fibre optique. JACQUES DE HEERE, vice-président du Sycabel en charge des télécoms et PDG d'Acome “ Certaines lignes de production de câbles à fibre optique sont carrément à l'arrêt sur notre territoire et il y a un risque que cette situation perdure une bonne partie de l'année 2020. ” Mobilisation sans faille de la filière « Fibre Optique » La bonne exécution du Plan France Très Haut Débit est un enjeu stratégique pour tous les acteurs de cette filière qui l'ont soutenu par des efforts continus ayant notamment permis la création de 20 000 nouveaux emplois sur notre territoire. Pour leur part, sur les six dernières années, les industriels du Sycabel ont investi massivement dans de nouveaux équipements de production, construit plus de 55 000 m² de locaux industriels et six usines supplémentaires, et recruté ou reconverti plus de 735 personnes, indique le syndicat, qui précise qu'entre 2013 et 2018, leur investissement a atteint 210 millions d'euros, soit 18,5 % de leur chiffre d'affaires cumulé. Résolument mobilisés pour le déploiement rapide de la fibre optique, ces industriels ont réitéré et démontré, trimestre après trimestre, l'engagement pris de fournir des produits hautement performants et fiables, dans le respect des calendriers de production, afin que les opérateurs, les régions et les collectivités puissent offrir un service de qualité sur des réseaux pérennes. Le Sycabel a ainsi apporté une contribution notoire aux enjeux de la couverture du pays en THD. Parallèlement, la profession participe activement aux travaux des différentes instances concernées par le plan. Elle est partie prenante au sein de la plateforme Objectif Fibre qui s'implique dans la définition de profils et de programmes de formation adaptés, ainsi qu'au référencement de centres de formation sur tout le territoire. Au 31 mars 2019, 39 centres de formation étaient référencés par Objectif Fibre et plusieurs dizaines de milliers d'installateurs ont déjà été formés. Le Sycabel s'associe par ailleurs aux travaux du comité d'experts en fibre optique de l'Arcep et contribue à l'évolution corrélative des normes dans le cadre des groupes de travail constitués au sein de l'Afnor. Toutes zones comprises, le rythme de déploiement du FTTH s'est fortement accru ces dernières années sur notre territoire, pour atteindre actuellement plus de 4 millions de locaux raccordables par an, ce qui augure bien de la tenue des objectifs FTTH fixés pour l'échéance de 2022. À titre de comparaison, 1,5 million de locaux avaient été raccordés au FTTH en 2015, 2 millions en 2016, 2,6 millions en 2017 et 3,2 millions en 2018. Les chiffres publiés par l'Arcep à la mi-2019 attestent de ce rythme soutenu puisqu'au 2 e trimestre, l'organisme comptabilisait 30 millions d'abonnés à l'internet haut débit, dont 20 % d'abonnés au FTTH, pour un territoire fibré à 50 %. Au total, à la mi-2019, l'Arcep fait état de 21,6 millions de locaux équipés en THD (58 % de l'objectif) et 15,5 millions de locaux éligibles au FTTH (52 % de l'objectif). À noter que sur les 15,5 millions de locaux éligibles au FTTH, 13 millions sont raccordables dans les zones très denses (ZTD) et les zones moins denses (ZMD) relevant d'opérateurs privés (ZMD-AMII, Appel à manifestation d'intention d'investissement), et 2,5 millions sont raccordables dans les zones moins denses relevant des collectivités territoriales (ZMD-RIP, Réseau d'initiative publique). Sur le seul premier semestre 2019, pas moins de 2 millions de lignes FTTH ont été déployées, soit autant que sur toute l'année 2016. Ce fort rythme de développement a bénéficié à tous. Le marché concurrentiel a permis aux intervenants de se différencier techniquement et opérationnellement, et aux consommateurs de bénéficier d'abonnements à l'internet à THD en fibre optique parmi les plus attractifs au monde. Et malgré la multiplicité des acteurs (collectivités territoriales, opérateurs d'envergure nationale, opérateurs aménageurs, etc.), les réseaux d'infrastructure sont homogènes grâce à une régulation encadrante. Le choix de la fibre optique jusqu'au logement (FTTH) est pertinent pour l'avenir car il garantit l'évolutivité des réseaux qui peuvent accueillir des débits de plus en plus élevés sans modification des infrastructures passives (fourreaux, câbles, connecteurs, etc.). Il s'agit d'une véritable avancée technologique pour la France. Chute brutale de l'activité câbles à fibre optique en France Bref, le sérieux revers subi par l'industrie française du câble à fibre optique au 3 e trimestre est venu assombrir ce tableau presque idyllique. C'est d'autant plus inquiétant pour les membres du Sycabel que ces derniers ont tenu leurs engagements pour répondre à l'appel du gouvernement consécutif à la tension perçue sur le marché du câble à fibre optique en 2018, notamment en maintenant leur capacité de production à un niveau répondant pleinement aux besoins du Plan France Très Haut Débit. Cette baisse brutale – le Syca-bel évoque même une interruption de production dans certaines usines françaises de câbles à fibre optique – des livraisons soulève une vive préoccupation dans les rangs du syndicat professionnel, tant au niveau de la gestion industrielle et de l'emploi que de la pérennité des investissements réalisés en France. Ce changement est d'autant plus préoc-cupant que la filière « Fibre Optique » a été reconnue comme stratégique pour la « Souveraineté Télécom » de la France. Quatre acteurs majeurs du secteur des télécommunications, dont le Sycabel, ont en effet créé le Comité stratégique de filière « Infrastructures numériques » qui vise à fédérer la chaîne de valeur, renforcer la filière industrielle et exporter le modèle français du THD. Niveaux d'importation alarmants et risques avérés Selon le Sycabel, cette baisse brutale trouve sa source dans l'explosion sur la même période des importations de câbles à fibre optique, notamment en provenance de la Chine et de la Corée du Sud, comme le montrent les statistiques douanières. Ces entrées en douanes ont par exemple atteint un niveau très élevé en juillet 2019 pour représenter l'équivalent de 45 % de la production de câbles à fibre optique du Sycabel, alors que ce taux, quoi qu'en progression, n'était que de 13 % en 2017 et de 23 % en 2018. « En 2018, il a fallu accélérer le déploiement de la fibre optique sur notre territoire afin de respecter la feuille de route du Plan France Très Haut Débit et de tenir l'objectif de 80 % de lignes fixes éligibles à la fibre optique en 2022. Ce qui a entraîné, à ce moment-là, des tensions sur l'approvisionnement en câbles à fibre optique et une augmentation des délais de livraisons, malgré l'augmentation de la capacité de production des membres du Sycabel. Cela a incité certains industriels des télécoms à commencer à s'approvisionner ailleurs, notamment en Chine qui a alors massivement exporté vers l'Europe et la France pour écouler son surplus de production, le marché chinois du câble à fibre optique étant à ce moment-là en phase de ralentissement », explique Jacques de Heere, vice-président du Sycabel en charge des télécoms. Ces importations massives, couplées au manque de main-d'œuvre qualifiée sur l'ensemble du territoire, font peser des risques accélérés sur la filière industrielle du déploiement des réseaux en fibre optique, s'alarme le syndicat. Il existe tout d'abord un risque de surcapacité pour les industriels nationaux, donc de dégradation de l'environnement industriel. Les indicateurs d'activité montrent déjà une tendance baissière inquiétante qui s'est étendue au-delà du 3 e trimestre de 2019. « Certaines lignes de production sont carrément à 1204,73 l'arrêt et il y a un risque que cette situation perdure une bonne partie de l'année 2020 », 1043,54 s'inquiète Jacques de Heere. Mais au-delà des conséquences pour l'industrie du câble à fibre optique en France, le Sycabel identifie aussi un risque d'introduction et d'installation d'équipements non optimisés dans le déploiement de la fibre dans les csiel Alliance Electronique semaines et mois à venir avec pour conséquence, une dégradation potentielle de la qualité et de l'évolutivité des réseaux déployés. Au final, comme conséquence au recours massifs aux importations de câbles à fibre optique, le Sycabel évoque le risque du déploiement d'un réseau national inhomogène, à deux vitesses, nécessitant la mise en place de procédures pour contrôler la qualité des infrastructures. Et le syndicat de fournir toute une série d'arguments pour se faire l'avocat d'une production locale de câbles à fibre optique, rappelant en premier lieu que ses membres sont implantés en France et qu'ils produisent des câbles à fibre optique selon un cahier des charges circonstancié, correspondant aux exigences définies par la réglementation qui encadre la mise en œuvre des infrastructures du numérique. En effet, répondre aux ambitions du Plan France Très Haut Débit ne signifie pas seulement procéder au déploiement du THD selon un calendrier précis. Il convient également, et surtout, de réaliser des infrastructures pérennes, de qualité, propres à garantir la souveraineté télécom de la France sur l'ensemble de son territoire. Perspectives et recommandations Les réseaux dits de qualité s'appuient sur des matériels conformes aux spécifications normatives adéquates et sont déployés par des installateurs qualifiés selon l'état de l'art des procédures d'installation. Les normes et règles d'ingénierie auxquelles les matériels doivent se conformer sont fixées par le « Recueil de spécifications fonctionnelles et techniques sur les réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses » du comité d'experts en fibre optique de l'Arcep (Arcep/ CEFO), rappelle le Sycabel. Concernant la qualification des installateurs, le référentiel de formation d'Objectif Fibre, qui définit le plateau technique, les programmes et profils de formation, établit les niveaux de qualification requis pour l'installation de la fibre optique jusqu'au logement. Et pour ce qui est des procédures d'installation, les guides pratiques d'Objectif Fibre définissent les bonnes pratiques à appliquer selon les différents types de déploiement et de locaux à raccorder. Le respect de ces dispositifs assure la pérennité des réseaux et leur capacité à évoluer pour accueillir de nou-veaux services plus performants, de nouvelles technologies pouvant apporter plus de débit et de qualité. Ainsi, on peut noter que le CEFO a déjà entrepris d'intégrer la prise en compte de la technologie XGSPON dans son recueil de spécifications, précise le syndicat professionnel. Le Sycabel insiste sur l'obligation incontournable d'appliquer ces règles sur le terrain, faute de quoi le territoire verrait coexister des réseaux FTTH inhomogènes et d'inégale qualité. Les réseaux de moindre qualité correspondraient alors à des choix opportunistes de matériels mal opti-misés par rapport aux recommandations du CEFO. La profession suggère de mieux faire connaître le référentiel technique que constituent les documents précités et de prendre des mesures pour en vérifier l'application conforme, à l'occasion de l'attribution du statut de « zone fibrée » par exemple. Il convient enfin de rappeler à leurs responsabilités les gestionnaires des projets financés en tout ou partie par les pou L'indicateur avancé, publié chaque tri voirs publics sur les risques qui représentent la grande majorité d que fait peser l'importation de produits non européens – souvent non conformes aux normes répertoriées dans le référentiel national – sur la qua-lité des déploiements sur le territoire et sur le tissu indus des industriels de la fibre optique en r triel européen et national. Plus généralement, le Sycabel émet toute une série de recommandations pour les années à venir. Tout d'abord au niveau du déploiement des réseaux à très haut débit. Car si personne ne semble douter de la réalisation de l'objectif FTTH (80 % de locaux éligibles au FTTH à plus de 100 Mbit/s) du Plan France THD à l'horizon 2022, il existe encore une incertitude qu'il convient de lever quant à la réalisation de l'objection de 100 % de locaux raccordés au THD (débit supérieur à 30 Mbit/s). Par ailleurs, le Syca-bel pointe le fait qu'aucun plan n'est à ce jour prévu pour la couverture en FTTH après 2022 des 20 % de locaux res-tants qui se situent, pour l'essentiel, en zone rurale. Or, il n'est pas envisageable de laisser se créer une nouvelle frac-ture numérique entre les terri-toires, d'autant que l'appétence des TPE/PME pour les services THD est croissante. Leur rac-cordement doit être accéléré pour ne pas les exclure de l'économie numérique, estime le syndicat des câbles. Le financement du déploiement stre par le Sycabel, est réalisé à partir des donn après 2022 de la fibre jusqu'au ournisseurs de composants de réseaux optique logement tion avec les ambitions dans les de couverture 20 % restant du pays e en ZMD n'étant pas totalement finalisé à ce jour, il est urgent, selon le Sycabel, de d'ores et déjà lancer les études tech-niques et économiques pour préparer la suite du déploie-ment, d'autant plus que le coût de raccordement d'une prise est beaucoup plus élevé en ZMD qu'en ZTD. La réglementation est un autre point sur lequel le Sycabel s'est penché. Les retours d'expérience montrent ainsi que la règlementation commence à apparaître comme un frein au déploiement. Si sa complexité se justifiait au lancement du Plan France THD, le syndicat des câbles préconise aujourd'hui de simplifier la réglementation. Le Sycabel insiste une nouvelle fois sur le fait que la pérennité des réseaux repose sur le choix de matériels conformes aux normes en vigueur, installés et recettés selon les règles de l'art par des installateurs qualifiés. Les retours d'expérience des réseaux en fibre optique montrent en effet la nécessité de renforcer le contrôle dans le choix des produits, la qualification des installateurs et la conformité des installations. Il en va de la maîtrise des coûts d'exploitation et de maintenance (OPEX) et du taux de disponibilité des réseaux FTTH déployés. Enfin, le syndicat collectées auprès de ses adhérents professionnel réaffirme l'impor- et outil permet de suivre l'activité tance rès Haut Débit. de la création d'un Comité stratégique de filière (CSF) des infrastructures du numérique pour organiser et fédérer toute la filière industrielle dédiée. Le sérieux revers subi par l'industrie française du câble à fibre optique au 3 e trimestre 2019 coïncide avec une forte accélération des importations de câbles à fibre optique provenant d'Asie, en particulier de Chine et de Corée du Sud. 87,3 Evolution de l'activité trimestrielle 323

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